another timbre

A chaque saison, Simon Reynell publie quatre nouveaux disques sur son label another timbre, quatre disques d’improvisation libre réductionniste, de musique contemporaine, ou de musique minimaliste. Avant cet été, la publication dont il semblait être le plus fier est un double disque de pièces composées par Laurence Crane entre 1992 et 2009 pour orchestre de chambre, et réalisées principalement en 2013 par l’Apartment House ; un superbe disque en effet, sobrement intitulé Chamber Works 1992-2009, sur lequel on retrouve Andrew Sparling (clarinettes), Alan Thomas (guitare), Nancy Ruffer (flûtes), Philip Thomas (piano), Anton Lukoszevieze (violoncelle), Gordon MacKay (violon), Simon Limbrick (percussions), Sarah Walker (orgue électrique), Ruth Ehrlich (violon), Angharad Davies (violon), Hilary Sturt (alto), et Laurence Crane lui-même sur une pièce, avec des objets.

De mon côté, je n’avais même pas ne serait-ce qu’entendu le nom de ce compositeur avant de voir ce disque. Je ne sais pas si d’autres disques sont disponibles, depuis combien il compose, ni rien ; j’imagine seulement que c’est un compositeur anglais de la même génération qu’Antoine Beuger, un compositeur fortement marqué par Cage et les minimalistes américains. C’est en tout cas ce que laisse penser cette douzaine de pièces présentées sur ce disque. Et même si je parle ici de Cage, de Beuger et des minimalistes, je dois tout de suite dire que Crane se démarque fortement de Wandelweiser et du minimalisme américain, qu’il se démarque d’ailleurs de toutes tendances et de toutes références.

Crane me fait l’effet d’un compositeur vraiment atypique, qui écrit une musique très personnelle. Peut-être qu’il s’agit d’une forme de minimalisme, contrairement à ce que Pisaro peut en dire, car Crane utilise souvent de longues notes tenues, ou joue sur la répétition constante d’un demi-ton, on a aussi parfois d’entendre certaines des compositions tintinabulliques d’Arvo Pärt. Les notes sont longues, avec de longues résonances ou de longues tenues, elles sont fortement espacées, il n’y a presque pas de pulsation perceptible, tous les éléments sont répétées au millimètre près, ou simplement transposés quand il s’agit d’une sorte de figure musicale. Mais là où Crane s’écarte fortement du minimalisme européen en tout cas, et de Wandelweiser, c’est dans son approche très narrative et dramatique de la composition. Crane utilise volontairement des intervales et des accords harmonieux, des quintes, des accords parfaits majeurs, et autres figures musicales qui font tout de suite leur effet. Crane compose avec des éléments harmoniques souvent lumineux, des accords doux, émotionnellement intenses, dramatiques. De plus, Crane joue avec la structure de manière dramatique, la répétition et les transpositions ainsi que l’ajout progressif d’éléments racontent une histoire, une histoire abstraite et épurée, mais riche au niveau narratif et émotionnel. La musique de Crane, en résumé, semble aussi épurée et réduite au niveau harmonique, que riche et complexe au niveau émotionnel et structurel.

Je n’ai pas très envie de parler de chaque pièce dans cette chronique, car il y en a beaucoup, et quitte à détailler, ce serait plus intéressant de faire des analyses musicologiques peut-être, ce dont je ne suis pas capable. Je préfère donc  en parler de manière générale, et simplement présenter ce disque comme je le peux. Et c’est difficile. Pourquoi ? et bien simplement parce qu’il est sublime, et que j’ai du mal à cerner pourquoi il est aussi touchant et renversant. Crane parvient à composer d’une manière simple mais riche, on dirait qu’il compose en économisant ses moyens, mais tout en bouleversant. C’est beau, tout simplement beau, mais Crane atteint une beauté très personnelle, avec des éléments musicaux banals et des formes plus singulières, Crane parvient à atteindre des émotions musicales comme seuls quelques rares compositeurs y parviennent. Donc évidemment, voici un disque hautement recommandé, une des plus belles découvertes de l’année assurément.