KASPER T. TOEPLITZ - Perdu (Radical Matters, 2012)

Perdu - sous-titré aussi "mystery bass - solo electric bass" - est un solo de basse à l'origine étrange. Car il s'agit en effet d'un enregistrement retrouvé par Kasper T. Toeplitz dans ses archives, un enregistrement dont l'auteur lui-même ne se souvient plus de l'origine et de la conception, de la date de l'enregistrement, ni de quoique ce soit. Un solo de basse "mystérieux" publié sans retouches ni ajouts, à l'état pur. Cette volonté de publier un album dont on ne saura jamais rien de l'intention qui a primé lors de la composition souligne un point intéressant et polémique: qui doit primer de la forme et du contenu? les émotions ressenties sont-elles subordonnées à la musique elle-même ou au concept à l'origine de la composition? peut-on réellement transmettre musicalement et émotionnellement une intention sans l'aide du discours ou de codes musicaux implicites?

Autant de questions soulevées et simultanément bafouées. Car avec Perdu, on se retrouve avec de la musique à l'état brut. Une musique primitive construite sur une structure aux effets psychoacoustiques violents. Il s'agit tout d'abord d'un long crescendo de 20 minutes environ, un crescendo qui part d'un souffle imperceptible de plusieurs minutes, d'un souffle qui s'amplifie, qui s'électrifie, qui se réverbère jusqu’au bruit blanc quasiment. Le mur se construit petit à petit jusqu'aux limites du supportable, jusqu'aux limites de la basse électrique et de l'ampli, il prend une densité et une richesse surprenantes, puis se décompose et offre un répits d'une vingtaine de minutes encore, où le son s'affaiblit progressivement et lentement, où des nappes presque statiques se séparent petit à petit les unes des autres, avant de repartir de plus belle. Et c'est lors du second climax que nous atteindront les plus hauts sommets du supportable, ou de l'insupportable, peut-être certains n'atteindront d'ailleurs pas ces limites, mais plongeront dans l'insupportable et couperont direct la lecture de ce disque - probable. Pour ceux qui continueront le voyage, c'est une descente aux enfers qui vous attend. Une descente violente, profonde, qui laisse des traces, séquelles, cicatrices. Une descente dans les méandres de la basse électrique, dans les recoins les plus chaotiques de l'électricité, dans un mur de son d'une hauteur et d'une épaisseur saisissantes. Un mur sombre, imposant, organique, qui ne cesse de croître. On croit toujours arriver au bout, mais le mur s'épaissit constamment, le crescendo ne s'arrête pas, cherche les limites de la saturation et du supportable. Une quête du point culminant, du point de non-retour où la musique ne peut plus qu'imploser d'elle-même après son explosion permanente.

Puis STOP. Perdu s'interrompt brusquement, quand la limite a été franchie. Seul un léger larsen, subtil et délicat, subsiste. Une sorte de souffle, la dernière forme de vie qui a survécu à cette attaque sonore massive et puissante. Après la tension insurmontable, la résolution apaisante, le long souffle reposant, "le calme après la tempête". Exactement ce qu'il fallait pour finir cette pièce massive de 70 minutes et panser les blessures auditives et mentales.
Hautement recommandé!

(informations & extraits: http://www.radicalmatters.com/radical.matters.cd.cdr.catalogue.asp?tp=1&c=453)