Axel Dörner & cie.

Cool Quartet with Lina Nyberg featuring Éric La Casa - Dancing in Tomelilla (Hibari, 2012)

Le Cool Quartet est un projet jazz de reprises de standards plutôt old-school. Genre jazz vocal de la première moitié du vingtième et années 50. On y retrouve Axel Dörner (trompette), Zoran Terzic (piano), Jan Roder (contrebasse) et Sven-Åke Johansson (batterie). Deux invités pour ce live enregistré dans le hall d'un hotel suédois, Lina Nyberg (chant) et Éric La Casa (prise de son, mixage). On pourrait s'attendre - étant donné les musiciens présents - à des reprises très libres, façon Peeping Tom. Mais il n'en est rien. Ou presque... Les interprétations sont propres, faites dans les règles du jazz, avec beaucoup de joie et d'énergie. Le quartet augmenté est ici pour rendre hommages à ses premières inspirations. Au jazz de la première moitié du vingtième siècle et des années 50, qu'il interprète très bien. Ce qu'on entend notamment à partir de la quatrième piste. Et j'en viens donc au plus marquant dans ce disque: les trois premières pistes, qui sont une composition d'Éric La Casa intitulée "September in Tomelilla". Une composition qui mérite de s'y arrêter, une pièce qu'on ne peut que respecter ou déclamer, tant le parti pris est radical.

Une composition où le preneur de son Éric La Casa assume un parti pris extrême, une position radicale qui en détruirait presque le concert capté, mais qui en même temps participe à la création d'une musique autre, à côté, étrangère. Alors oui, les fans de Dörner ou de SAJ pourront être déçus en entendant la manière dont Éric La Casa traite leur musique! Car durant ces trois pistes, on n'entend non plus le concert, mais la prise de son. Éric La Casa prend le son dans une chambre au-dessus de la salle de concert, il se place sur le trottoir, dans un ascenseur, ou dans la cuisine. Même dans la salle de concert, il peut tout aussi bien se coller à la batterie, ou ne laissait transparaître plus qu'un ou deux musiciens lors du mixage. Parfois on dirait une ode au technicien, un éloge à  la prise de son, un hymne à la gloire des techniciens souvent cachés sous une illusoire neutralité (qui cache elle aussi un parti pris stylistique). Mais en même temps, il s'agit aussi de rendre compte du lieu de captation, d'en mesurer l'étendue, l'ambiance, l'extérieur, l'environnement sonore et humain, les contours et l'espace. Après, il est fortement possible, d'après les derniers textes d'Éric La Casa que j'ai pu lire (même si ce n'était pas à propos de ce disque), qu'il ne s'agisse pour lui que d'improviser avec les musiciens, de créer un espace sonore à partir de pièces musicales. Car Éric La Casa traite le concert capté ici comme une matière sonore récoltée lors de sessions de field-recordings. Ni plus ni moins. Il s'agit seulement de construire une pièce musicale avec un matériau autre et particulier: un concert de jazz - qui devient ici une pièce d'art sonore. Et il y arrive. Ces trois pièces - qui occupent plus de la moitié du disque - sont vraiment prenantes, captivantes et même parfois amusantes. On se plaît à chercher où est placé le micro et où il va se retrouver. On s'imagine à écouter un concert, tordu, à l'intérieur de la grosse caisse. Trois pièces très bien construites, où s'enchainent des morceaux d'enregistrements, des monceaux d'un concert en lambeau. Recommandé - y compris pour les cinq dernières pièces, standards dansants qui peuvent s'avérer soulageant après ce voyage au pays du microphone, enregistrées plus "normalement", même si on entend quelques interludes qui ne "devraient" pas être là, ainsi que des conversations et autres bruits "parasites"!

Axel Dörner/Ernesto Rodrigues/Abdul Moimême/Ricardo Guerreiro - Fabula (Creatives Sources, 2012)

fabula est un enregistrement live certainement un peu plus représentatif de Dörner que le Cool Quartet, notamment de sa facette "réductionniste". Aux côtés du célèbre trompettiste, trois fidèles du label CS: Ernesto Rodrigues (violon alto), Abdul Moimême (guitare électrique préparée) et Ricardo Guerreiro (ordinateur).

Il s'agit ici d'une longue improvisation électroacoustique. Une pièce minimale où toutes les textures se mélangent et se confondent. En 45 minutes, le quartet propose une succession de nappes sonores qui évoluent par micro-modulations. C'est intrigant et envoûtant, on est plongé dans une masse sonore calme et contemplative. Les évolutions sont lentes et linéaires, microscopiques la plupart du temps. De nombreuses techniques étendues sont utilisées pour créer ces agencements de textures souvent incroyables, mais surtout pour confondre les sources. Car il s'agit ici d'une musique collective, "holiste" pourrait-on dire tant les individualités disparaissent au profit d'un son global et collectif. Une exploration profonde de masses sonores variées et virtuoses, un très bon exemple de l'état actuel de la musique improvisée dans sa tendance minimale et réductionniste. Des dynamiques variées, des textures recherchées, un cohésion de groupe surprenante et absorbante pour une improvisation libre minimale et contemplative certes, mais intense et envoûtante! Une réussite.

Ernesto Rodrigues/Christine Abdelnour/Axel Dörner - nie (Creative Sources, 2012)

Je ne suis pas un inconditionnel d'AD, mais placé entre de bonnes mains, sa musique peut vraiment se révéler ahurissante et digne de l'engouement qu'il suscite. Le placer par exemple entre les altistes Ernesto Rodrigues (violon) et Christine Abdelnour (saxophone) lui permet de produire une musique extrêmement puissante et créative.

Un trio exceptionnellement virtuose et un des meilleurs disques du label CS depuis longtemps. La rencontre est rêvée entre une exploratrice sonore intransigeante et deux musiciens très à l'aise dans le minimalisme et la recherche de textures. La surprise de nie, c'est que contrairement à ce qu'on pourrait attendre, ces trois improvisations sont très vivantes et réactives, parfois même violentes, fortes et agressives. Il s'agit de mettre en place différentes strates, d'assembler différentes couleurs et plusieurs timbres, mais de manière plutôt rapide et énergique. Les aplats sont en constant mouvement, l'intensité bouge sans cesse et les reliefs sont surprenants, autant que l'étendue des couleurs présentées. Trois musiciens qui semblent s'amuser tout en étant à l'aise sur de multiples terrains, des terrains souvent escarpés, fracturés, mais qui peuvent aussi durer et se plonger dans une calme contemplation du son. Chacun fait preuve d'une virtuosité monstrueuse, d'une recherche sonore aboutie sur un seul et même instrument. Et chacun sait écouter l'autre et réagir de la manière qui semble la plus naturelle et adéquate possible. Un grand moment d'improvisation libre, vivant, puissant, tendu et organique! Recommandé.