Scott Smallwood/Sawako/Seth Cluett/Ben Owen/Civyiu Kkliu + MPLD

scott smallwood, sawako, seth cluett, ben owen and civyiu kkliu - phonography meeting 070823 (winds measure, 2011)

Comme d'habitude sur le label winds measure, la pochette (signée Ben Owen) est magnifique et la musique est littéralement hors du commun. Pour phonography meeting 070823, il s'agit d'une suite de field-recordings, quoique qu'une suite évoque peut-être un peu trop la musique, il faudrait peut-être mieux dire qu'il s'agit d'une fresque en cinq tableaux, ou d'un poème en cinq strophes je ne sais pas. Plus précisément, il s'agit de cinq tableaux sonores composés de field-recordings uniquement, cinq propositions de cinq musiciens qui se succèdent. Dans les notes, on peut lire que la "phonographie" n'est rien d'autre que l'écriture des sons, l'écriture sonore; et effectivement, chaque musicien propose ici, avec son propre langage sonore, un univers à faire vaciller l'imaginaire, un univers construit à partir d'un langage composé de sons divers, et non de notes. Smallwood commence avec des gouttes d'eaux qui tombent mécaniquement dans du liquide, gouttes accompagnées d'une sorte de métronome, tandis que des voitures circulent ponctuellement; et parfois, cet univers sonore est interrompu par une mélodie mécanique elle-aussi. D'un autre côté, Civyiu Kkliu clôture cette fresque avec un drone puissant, brutalement interrompu par des bruits blancs, qui finiront eux-mêmes par fusionner avec le bourdon, dans un finale brutale et intense. Entre-temps, on peut entendre des enregistrements citadins, des fêtes d'anniversaires enfantines, inquiétantes et fantomatiques, des bruissements de feuilles, du vent, des micros ultrasensibles, etc.

La force de cette suite poétique vient de la diversité esthétique des matériaux: des matériaux parfois très abstraits que l'on peine à reconnaître, d'autres d'une limpidité envoutante, on est toujours balancé entre la musique (mélodies, rythmes) et le bruit (souffles), entre l'abstrait et le concret, entre le déterminé et l'indéterminé. Cette diversité produit des univers multiples qui demandent une attention et une activité importante de la part de l'auditeur, si jamais il veut s'y retrouver. Les différentes strophes de ce poème (ré-)activent la puissance et les possibilités de l'imagination, de la sensibilité auditive, autant chez les musiciens (lors des enregistrements et lors de la création) que chez les auditeurs. Musique pour le corps et l'esprit, qui peuvent enfin se réunir (alors qu'ils étaient faussement séparés par une idéologie scientiste) dans cette musique poétique, aventureuse, sensible, nouvelle, charmante et envoûtante.


 
mpld - lacunae (winds measure, 2011)

mpld est le nom de scène d'un projet de l'artiste sonore Gill Arnò, projet basé sur l'amplification d'un projecteur de diapositives. Après de nombreux CD en éditions limités, le label winds measure a pris pour la première fois l'excellente initiative de publier une performance en DVD-R, afin que l'on puisse contempler le son aussi bien que l'image. Des extraits sont d'ailleurs disponibles sur le site du label ainsi que sur le site de Gill Arnò, qui explique également le dispositif qu'il utilise la plupart du temps (à noter d'ailleurs que le DVD est livré avec une carte postale où le dispositif est également représenté par un dessin exhaustif).

Si Gill Arnò avait utilisé des projecteurs 16mm ou 35 mm par exemple, on aurait pu parler d'une entreprise de déconstruction systématique, mais ici, bien au contraire, ce vidéaste/musicien sculpte des images et des sons à partir de photogrammes, les diapositives se fondent les unes dans les autres et construisent une autre image, mouvante, épileptique. En utilisant deux projecteurs, chaque image est perturbée par une autre qui tente de la pénétrer, et cette perturbation prend un rythme lancinant, tout en s'inscrivant de manière autonome, extérieure aux images. Ce rythme perturbateur est saisi par des micros installés directement dans les projecteurs (tandis qu'un larsen est produit par des retours placés entre les projecteurs et l'écran); et pour Gill Arnò, il ne reste plus qu'à modifier (ordinateur et table de mixage) les sons générés par le dispositif de projecteurs pour également produire du son, du son directement issu de l'image produite par les superpositions. On peut le voir, l'interaction entre l'image et le son est on ne peut plus intime, aucun élément n'est subordonné à l'autre, et sans connaître le dispositif utilisé, il me paraitrait difficile de savoir si c'est l'image qui génère la musique, ou si la musique produit l'image... Généralement, les images sont des paysages (quelques personnages apparaissent à la fin de la performance), paysages au grain vieux et épais, aux contrastes ternes, et rythmés par des perturbations épileptiques et hypnotiques. Quant à la musique, il s'agit de boucles mécaniques aussi épileptiques que l'image, boucles générées par le mécanisme même des projecteurs. Mais contrairement aux images, la musique est plus narrative, du moins plus linéaire, et la modification des sons suit une logique de densification et d'intensification. Long crescendo qui atteindra un climax saisissant de violences, brutalement interrompu par une coda sensible et poétique de quelques minutes. Plus les minutes passent, plus le son devient dense, fort, et saturé; mais plus qu'il n'agresse, ce son hypnotise avant tout, Gill Arnò possède un charme hors du commun et parvient à saisir organiquement l'auditeur/spectateur de ce voyage sonore et visuel exceptionnel.

Une performance intense, puissante et absolument envoutante malgré la violence qu'elle recèle: au-delà de l'image et au-delà du son, lacunae nous amène dans un territoire organique et émotif sensationnel. Hautement recommandé!