Leonel Kaplan, Diego Chamy, Ivar Grydeland, Axel Dörner - Portraits 2004 (Audition Records, 2011)

Pour cet album, deux sessions enregistrées en 2004, deux trios autour de Leonel Kaplan. Le premier trio est composé de Leonel Kaplan à la trompette, Diego Chamy aux percussions et Ivar Grydeland à l'électronique et au banjo, et a été enregistré live en Argentine. La deuxième session réunit Dörner et Kaplan toujours à la trompette, aux côtés de Chamy aux percussions encore, et provient d'un concert enregistré en France. Deux performances respectivement de 20 et 30 minutes, où se succèdent des explorations sonores électroacoustiques et acoustiques puissantes et abyssales.

La première piste est certainement la plus singulière des deux, l'exploration sonore atteint des profondeurs vertigineuses et l'interaction entre chacun est extrêmement intense. Cette pièce est principalement constituée de strates qui se superposent les unes en réponses des autres. Des strates qui sont comme de courtes vagues, des nappes qui apparaissent aussi vite qu'elles laissent place aux suivantes. Chaque idée est cependant pleinement déployée avant d'être enchainée par une autre, et elles acquièrent toutes une intensité très dynamique grâce à la collaboration de chacun qui approfondit systématiquement les textures de ses deux partenaires. Car chacun sait répondre de manière à vraiment déployer l'idée de ses partenaires, et ces multiples déploiements aboutissent à un univers hétérogène mais unifié. Mais c'est surtout les strates en elles-mêmes qui sont profondément originales: entre les expérimentations électroacoustiques de Grydeland (radios, fréquences), les bourdons percussifs de Chamy (peaux frottées, cymbales martelées) et les explorations abyssales de la trompette de Kaplan (comment peut-on jouer de manière si grave et rauque? comment le souffle peut-il être si puissant?), l'interaction de ces trois mondes forment un univers hors du commun, aussi profond que puissant, aussi intense que varié. Un univers où les reliefs sont d'une richesse surprenante, reliefs dans l'intensité comme dans le timbre, où l'exploration sonique atteint des hauteurs vertigineuses ou des profondeurs abyssales. Un très bel exemple de musique improvisée électroacoustique façon artisanale et intelligente.

La seconde pièce, entièrement acoustique cette fois, est beaucoup plus linéaire. Les souffles de Kaplan et Dörner s'entremêlent, se croisent et se mélangent par dessus une sorte de drone sur des peaux frottées très basses. Lentement, quelques notes sporadiques émergent et se transforment en nappes statiques et continues. De la même manière que dans la précédente pièce, des strates sonores se superposent ou s'entremêlent, se soutiennent ou dialoguent. Un mélange de notes continues, de sortes de flatterzunge et de courtes phrases agressives, de techniques étendues riches et variées contribue à cette musique synergique qui s'intensifie de manière assez progressive et minimale, mais avec force et assurance. Une performance peut-être moins variée et plus linéaire, mais l'interaction paraît plus réussie dans la mesure où la symbiose et toutes les connections semblent mieux établies, les réponses plus proches et personnelles, mieux adaptées aux potentialités de chacun. Il y a quelque chose de plus homogène et de plus communautaire qui fait ressortir une émotion plus chaleureuse parce que plus intime. Et par cet aspect symbiotique et synergique, l'exploration gagne en profondeur, les trompettes comme les percussions semblent exploitées de manière encore plus riche. Même le côté linéaire est rééquilibré par le relief mis dans l'intensité, par les différents agencements spatiaux mis à contribution dans cette grande improvisation texturale qui sait mettre à profit les relations entre les instruments et les musiciens.

Deux pièces différentes qui explorent chacune des univers variées, entre drone, ambiant, réductionnisme, improvisation libre, EAI, et musique progressive; ces performances exploitent des techniques surprenantes pour créer des progressions envoutantes à travers des unités sonores très diversifiées. Le plus étonnant reste l'intensité constante de ces improvisations, la tension est constamment à son comble malgré les reliefs (notamment dans le volume sonore). Des masses sonores en mouvement qui s'aèrent parfois ou bien se resserrent, il en ressort toujours un sentiment d'épuisement et d’essoufflement tellement l'écoute est intense et les sentiments véhiculés sont puissants. Quant à la diversité et à la variété des paysages sonores, seule l'écoute peut en rendre compte, à vous d'admirer ces explorations absolument créatives et aventureuses, consistantes et profondes, cohérentes et intelligentes. Hautement recommandé!

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