Jürg Frey - "Metal, Stone, Skin, Foliage, Air" (L'Innomable, 2011)



Jürg Frey: composition
Nick Hennies: interprétation


Jürg Frey, dont on a déjà pu récemment entendre une œuvre sur le duo Keith Rowe/Radu Malfatti chroniqué ici, fait partie d’une nouvelle génération de compositeurs minimalistes appartenant au collectif allemand Wandelweiser. Quant à « Metal, Stone, Skin, Foliage, Air », il s’agit d’une seule pièce de plus d’une heure publiée par le label slovène L’Innomable et interprétée par le percussionniste Nick Hennies. Une succession de longues séquences qui exacerbent à chaque fois un timbre particulier et une ambiance nouvelle, unique, et puissante.

Chaque séquence explore la puissance harmonique et spectrale du timbre utilisé jusqu’à son plus extrême épanouissement, le timbre paraît même hors de lui-même tellement la répétition et l’immuabilité sont radicales. Pour la première séquence par exemple, Nick Hennies percute une cloche de manière métronomique et mécanique, la même attaque est répétée durant une dizaine de minutes, à intervalles réguliers, jusqu’à ce que le spectre de l’instrument apparaisse de plus en plus clairement. De légers décalages cycliques, très subtils et à peine perceptibles, permettent à ce spectre de se modifier, de créer de nouvelles interactions harmoniques, toujours à la frontière du perceptible, ce qui requiert dès lors une attention parfois extrême, et emmène l’auditeur dans un univers où la concentration, l’attention et la sensibilité au phénomène sonore de manière générale deviennent primordiales et exacerbées. Et il en va toujours de même à travers les multiples séquences, qu’elles utilisent des cymbales frottées par du métal, des morceaux de fers entrechoqués, des feuillages, des peaux de percussions frottées, etc. Il est parfois difficile de déterminer la technique utilisée, et à ces moments, le son est absolument unique et inouï ; mais même lorsque nous pouvons la reconnaitre, Jürg Frey nous amène chaque fois dans un territoire organique (malgré l’aspect mécanique des techniques) et vivant, merveilleux de par sa richesse.

« Metal, Stone, Skin, Foliage, Air » explore et analyse différentes séquences sonores entrecoupées de courts silences, et l’étendue tout comme la singularité de ces séquences sont proprement ahurissantes : des soubassements graves d’un tom basse apparemment gigantesque aux harmoniques pures, aigues, aériennes et envoutantes d’une cloche en passant par d’inquiétants souffles mélangés au glissement d’un cylindre métallique sur une surface rêche. Au final, ces longues séquences voyages à travers des paysages éthérés, riches et féconds, vivant tout en restant d’une simplicité déconcertante et en étant en apparence immuable. Une pièce qui demande certes beaucoup de disponibilité, c'est-à-dire d’attention et de temps, mais qui en vaut la chandelle pour les explorations soniques oniriques qu’elle propose, car chaque séquence réussit à offrir un univers toujours singulier, envoutant et autonome qui se révèle passionnant à partir du moment où on accepte le voyage. Un disque incroyable, hautement recommandé !