Lasse Marhaug & Mark Wastell - Kiss Of Acid (Monotype, 2011)


Lasse Marhaug: ordinateur, composition
Mark Wastell: pré-enregistrements

Si la figure légendaire de Merzbow s'impose constamment comme le totem de la noise, une autre figure ne se laisse pas éclipser et domine la scène scandinave: Lasse Marhaug, membre du duo Jazkamer et fondateur du label norvégien Pica Disk. Monotype vient donc de publier une de ses œuvres en compagnie du violoncelliste Mark Wastell, moins prolixe et plus discret (même si on peut trouver pas mal de pièces auxquelles il participe chez Another Timbre notamment), qui s'occupe uniquement de field-recordings ici.

Kiss Of Acid est donc une sorte de drone composé par Marhaug, un drone lourd mais instable, qui à tout moment peut se submerger  dans le silence pour brusquement émerger quelques secondes plus tard, ou ressurgir imperceptiblement, avec peine. On se trouve donc en plein territoire à tendance ambient et minimaliste, chaque texture se déploie et évolue très lentement: la perception s'aiguise dans cet espace nuageux et flottant. Un album qui demande pas mal d'attention pour bien saisir les interventions de Wastell, souvent sourdes ou noyées dans les nappes de Marhaug, et qui apparaissent quelque fois de manière inattendues et imperceptibles. Kiss Of Acid, une sorte d'hallucination comme son titre l'indique, qui nous fait vivre le rythme du corps à travers les enregistrements de tam tam, mais qui nous fait aussi vivre l'hallucination même à travers la distorsion du temps et de l'espace que nous font subir des longues nappes lisses qui sont modulées selon une pulsation organique, pas vraiment pulsée donc, selon un mouvement proche du vertige ou des marées.

Peut-être pas psychédélique, mais quand même. Avec ses cloches, ses tambours, ses flûtes au bord du souffle, et ses drones, Kiss Of Acid nous plonge dans un univers mystique et hallucinogène, moulé dans une structure ésotérique. Une structure qui nous amène au cœur du son comme du silence, au cœur donc du vide comme du  plein, de l'espace et du néant. Car tous les sons ont l'air irrésistiblement attirés par le silence dans lequel ils finissent souvent par plongés, la présence du silence est constante même quand le son est au plus fort. Kiss Of Acid apparaît alors comme une sorte de dialectique mystique du bruit et du silence, Marhaug et Wastell semblent atteindre la béatitude lorsqu'ils réussissent pleinement à faire simultanément vivre les contraires. Une teinte de taoïsme donc, ainsi qu'une teinte d'ésotérisme plus une de musique bruitiste et d'ambient, beaucoup de contemplation et de méditation, voilà à quoi peuvent ressembler les couleurs de cette unique pièce de 40 minutes.

Un album méditatif, beau, chaleureux et original qui nous fait voler dans des espaces nouveaux, teintés de religion et de mysticisme, de dialectique et d'ésotérisme. Une hallucination qui atteint la plénitude de l'être à travers la communion des contraires et la sensibilité à l'homme, au cosmos et à l'être.