Hans Koch, Thomas Rohrer, Antonio Panda Gianfratti - Aicó (Creative Sources, 2011)


Hans Koch: saxophone soprano, clarinette basse
Thomas Rohrer: violon, saxophones soprano & mélodique
Antonio Panda Gianfratti: percussions

Aicó rassemble trois musiciens issus d'horizons différents, tout d'abord: Hans Koch, clarinettiste suisse très remarqué depuis les années 80, notamment pour sa présence au sein de l'Hardcore Chamber Music (trio qu'il fonde avec Fredy Studer et Martin Schütz), puis Thomas Rohrer et Antonio Panda Gianfratti, deux artistes brésiliens que j'entends pour la première fois. Bien sûr, ces trois pièces sont aventureuses et originales comme la plupart des publications de Creative Sources, mais elles possèdent surtout une énergie remarquable et un son magnifique comme on a que trop rarement l'occasion de l'entendre.

La première pièce d'Aicó forme un dialogue énergique entre les deux vents et la batterie, un dialogue puissant qui se rapproche du free jazz par l'intensité, et du réductionnisme par la richesse du timbre et l'utilisation de diverses techniques étendues (souffle continu, slap, multiphoniques). Aucune contrainte ne semble entachée l'énergie de cette pièce, l'espace sonore -vaste et aéré- est formé de phrases rythmiques, mélodiques, abstraites, dialogiques, où l'immense spontanéité de chacun n'est limitée que par l'écoute et l'attention à l'autre. Progressivement, les interventions se font de plus en plus condensées, puissantes et intenses, jusqu'à ce que la tension atteigne une force décuplée par la présence joyeuse qui affecte ce trio.

La deuxième pièce se déploie quant à elle en trois temps durant 25 minutes. La première partie se compose de strates abstraites qui se superposent et s'enchevêtrent: harmoniques, cymbales frottées et souffles vivent en symbiose dans un son unifié et une dynamique homogène qui laisse place à l'individualité de chacun: un véritable processus d'individuation au sein d'une musique communautaire. Les percussions se retirent alors progressivement pour laisser place à un duo aux allures ornithologiques fait de pépiements, de hululements et de cris de toutes sortes. L'homogénéité se trouve alors éclatée par les deux souffleurs qui créent durant cet deuxième tiers un pic aussi intense qu'aigu, aussi puissant que dispersé, tout en se maintenant dans un équilibre cohérent, tel un plateau escarpé au sommet d'une colline. Pour poursuivre cette analogie -aussi fumeuse soit-elle-, je dirai que la troisième partie est une redescente dangereuse et ardue vers la vallée. En fait, l'homogénéité et la dispersion des précédentes dynamiques fusionnent dans ce mouvement au dénivelé stable mais plein d'anfractuosités hétérogènes. La progression vers le silence et l'apaisement de la tension est régulière certes, mais la descente n'en est pas moins escarpée et mouvementée, l'unité du timbre est maintenue à travers la diversité des dynamiques et des énergies parfois volatiles.

Ce long mouvement paraît avoir laissé des séquelles sur la troisième pièce, également construite sur des nappes unifiées par leur caractère lisse et arythmique, mais quand même et toujours escarpées dans leurs mouvements. Il y a encore le même équilibre entre les trois individualités, mais la tendance à l'abstraction devient proéminente et ressert et tend l'espace. Tensions qui s'équilibrent néanmoins, car si l'interaction entre les différentes strates peut parfois être extrêmement tendue, le son global flotte plutôt dans un apaisement singulier et une sorte de satisfaction empreinte de plénitude, caractéristiques certainement dues en grande partie à la notion primordiale et fondamentale d'équilibre, très justement mise en œuvre durant ces trois pièces.

Aicó rassemble donc trois pièces variées, ouvertes et riches aussi bien dans leurs dynamiques et leurs mouvements que dans les formes de tensions et/ou d'équilibres, mais également, et surtout, dans les recherches sonores et musicales à l’œuvre dans l'exploration du timbre et des formes /structures possibles de dialogues, d'écoutes et de réponses, d'interactions interindividuelles et communautaires. Dans leur équilibre et leur joie, ces trois pièces semblent alors atteindre une forme de béatitude et de plénitude (complètement immanente à la musique) rarement présente dans l'improvisation qui se caractérise trop souvent par l'instabilité et une forte tension proéminente. Recommandé!