Kiyoharu Kuwayama & Masayoshi Urabe - Heteroptics (Songs From Under the Floorboards, 2011)


Kiyoharu Kuwayama: violoncelle, alto, percussion & objets
Masayoshi Urabe: saxophone alto, cloches, percussion & objets

Il y a quelques semaines, j'exprimai déjà un enthousiasme énorme pour From the abolition port de Kuwayama (aka Lethe) et Urabe. Dès lors, il est difficile de parler de Heteroptics, tant ces deux enregistrements sont proches: même lieu, mêmes instruments, même label, mêmes musiciens. Toutes les qualités du premier sont conservées sur le second: le lyrisme puissant et intense tout comme l'acoustique consistante et singulière.

Howard Stelzer n'aura pas publié ce clone pour rien, Heteroptics est aussi fort et puissant, rien ne se perd dans la répétition, on a  peut-être même gagné en intensité. Comme dans FTAP, l'espace (un hangar déserté et désolé, immense et froid) se constitue comme un troisième interlocuteur qui tend à déployer pleinement le discours des deux musiciens, qui tend à l'intensifier et à l'exacerber. Le dialogue se fait musicalement saturé, affectivement surchargé, car la réverbération sature la musique d'émotions ici, comme l'acoustique d'une église lors d'une messe qui tend à submerger le prieur. Musique de l'excès, de l'extrême, Heteroptics ne nous laisse que deux options: le rejet complet ou la submersion totale à l'intérieur de ce trop plein de lyrisme (j'ai choisi la deuxième pour ma part).

Si le silence est moins présent, c'est qu'une certaine urgence violente vient le remplacer et l'empêcher de surgir, Kuwayama laisse moins de place à Urabe, à ses silences, ce qui a tout l'air de le mettre sur les nerfs et le pousse à redoubler de puissance alors même que son jeu a toujours été aux limites de la saturation. Les réponses de Kuwayama se pressent d'autant plus et gagnent aussi en intensité: la tension et le volume redoublent dans l'urgence du dialogue. L'attention est plus concentrée sur le partenaire que sur l'acoustique, mais elle est toujours aussi sensible et intense, les réponses sont justes, fortes, et ne font que déployer et intensifier le discours de chacun.

Les cordes, le saxophone et les objets servent toujours le même lyrisme sombre et désolé, mélancolique et intense, dans un équilibre magique entre les instruments et les objets, les bruits et les mélodies, la chaleur des instruments et la froideur de l'espace désaffecté. Heteroptics est une pièce qui nous plonge dans des profondeurs émotionnelles riches, profondes, et même abyssales tant elles sont extrêmes. Son lyrisme exacerbé et sa richesse musicale nous enveloppent et nous submergent dans un monde autre, triste et rassurant, joyeux et oppressant, musical et bruitiste. Une œuvre extrême, radicale, puissante et magnifique, intense et envoutante: à écouter absolument!