Keith Rowe & Michael Pisaro - 13 Thirteen



Si la rencontre de Keith Rowe et Michael Pisaro n'est pas complètement inattendue, elle n'en reste pas moins franchement intrigante. On peut penser à tout ce qui rassemble ou réunit ces deux musiciens, à commencer par leur instrument - la guitare, mais aussi une histoire marquée par la musique improvisée et le free jazz, certaines oeuvres de John Cage, un goût prononcé pour les musiques dites "classiques", le plaisir à jouer dans des situations où la composition et le hasard s'entremêlent, etc. Mais il s'agit quand même de deux générations différentes, de deux continents. Entre les premières improvisations électroacoustiques d'AMM au milieu des années 60 et les premières compositions minimalistes et aléatoires de Wandelweiser, il y a quand même un monde, et c'est la rencontre de ces deux mondes qu'on s'attend à trouver sur ce disque. 


On s'y attend, on l'espère, mais ce n'est pas tout à fait ça, heureusement ou non, peu importe c'est comme ça. Avant cette rencontre, Keith Rowe et Pisaro s'étaient préparés en écrivant chacun une partition qu'ils suivraient durant leurs enregistrements. Une partition chacun, suivie seulement par celui qui l'a écrite, et composée à distance. Peu de mots ont été échangés, chacun savait ce qu'il avait à faire et l'a fait, durant plusieurs heures. On pourrait faire un parallèle avec un autre duo de guitares où Pisaro et Sugimoto suivaient une partition, mais sans s'entendre, sauf qu'ici c'est l'inverse : une performance commune pour deux partitions distinctes.

Si les membres de Wandelweiser avaient tendance à se démarquer de la musique improvisée avec leurs pupitres et compagnie, la présence de plus en plus forte d'improvisateurs qui jouent leur musique rend de plus en plus ténue la frontière entre certaines compositions et certaines performances réductionnistes. Il n'y a pas si longtemps, on a également pu entendre une collaboration entre la chanteuse pop Julia Holter et Michael Pisaro, une collaboration qui semblait comme l'affirmation que non, ce dernier ne voulait pas forcément rentrer dans la catégorie des compositeurs "sérieux". Quant à Keith Rowe, plus ça va, plus il se démarque des improvisateurs et affirme avec insistance l'influence de compositeurs "institutionnels" (de John Cage à Chostakovitch) - ainsi les fameuses radios de KR sont de plus en plus facilement remplacées par des extraits de musique classique. Tout ça pour dire que les deux guitaristes n'appartiennent pas clairement à aucune catégorie officielle et qu'ils savent très bien jongler avec les barrières stylistiques et les frontières formelles. Preuve en est si besoin cette proposition de compositions distinctes qui leur a si bien réussie.

Quelque soit la structure que chacun s'est imposée, ce qui frappe au premier abord est la simplicité de cette rencontre. On attend quelque chose d'énorme (moi du moins j'attendais quelque chose de magistral, étant donné l'importance que j'accorde à chacun de ces musiciens), mais non, tout se joue en finesse, en délicatesse. Keith Rowe et Michael Pisaro se respectent, s'approuvent et communiquent à travers des accords distillés, des bruitages fantomatiques, des sinusoïdes légères, des extraits de quatuors à cordes lumineux. Ils construisent une musique fine et élégante composée de quelques strates abstraites et rugueuses souvent mais aussi mélodiques parfois. Des strates et des couches qui ne sont jamais envahissantes ni silencieuses. Guitare sur table et guitare classique ne s'affrontent pas, pas plus que l'ordinateur de Pisaro et les citations de Keith Rowe, non tout se questionne, se répond et se complète dans une harmonie incroyable.

La finesse et l'élégance de cette rencontre sont marquantes. Au début, on a l'impression d'assister à quelque chose d'anodin un peu, puis peu à peu on se rend compte que leur musique nous transporte ailleurs, avant de brutalement nous renvoyer dans la réalité, pour encore s'échapper. Tout se joue pour chacun dans cet affrontement entre le réel et l'imaginaire, dans l'influence que le son et la musique peuvent avoir sur notre perception du réel. Après avoir écouté ce disque, il faut un temps d'adaptation pour retrouver notre ouïe normale, notre ouïe sociale, car la force de cette rencontre est de choquer nos habitudes. Pisaro et Keith Rowe construisent un paysage sonore qui n'est ni faible ni fort, ni agressif ni doux, ni abstrait ni mélodique, ils jouent dans un entre-deux perturbant et déroutant, un entre-deux qui modifie notre perception de la musique, de l'environnement, et du monde.

Sentir sa perception se modifier est déjà une expérience rare, et généralement cela se fait de manière plutôt brutale. Mais troubler la perception de manière aussi fine et légère est quasiment une expérience unique, que seule cette rencontre pouvait susciter.


KEITH ROWE & MICHAEL PISARO - 13 Thirteen (2CD, erstwhile, 2017)


Magda Mayas & Jim Denley - Tempe Jetz

Entre le remarquable coffret du Splinter Orchestra et un beau solo sur Sofa, le saxophoniste et flûtiste australien Jim Denley n'arrête plus de sortir des disques, lui qui peut pourtant passer plusieurs années sans en sortir un. Et ce n'est pas tout, il a également fallu qu'il sorte un duo aussi remarquable en compagnie de Magda Mayas, autre improvisatrice aujourd'hui largement reconnue et membre importante de la scène berlinoise, qui expérimente sur ce disque le clavinet, sorte de clavecin électrique improbable.
Voilà donc qu'arrive Tempe Jetz, publié sur Relative Pitch. Je n'écoute plus autant de "musiques improvisées" (et je le dis certainement à chaque fois que je chronique un disque d'impro libre...), mais Jim Denley fait partie de ces rares improvisateurs que j'apprécie toujours autant à chaque nouveau disque, peut-être est-ce aussi du fait qu'il n'est pas qu'un improvisateur, et qu'il sait rompre avec certains codes (au même titre que Martin Küchen ou Anthony Pateras).  Peut-être, mais en attendant, ici il s'agit bien d'impro libre, de réductionnisme même, d'une collaboration concentrée principalement sur le timbre, le calme, l'improvisation et les techniques étendues.

On a donc un bon disque d'impro ici, très bon même. Un disque où Jim Denley et Magda Mayas explorent toutes les possibilités de leurs instruments (saxophone alto, flûte basse et clavinet) ainsi que toutes les interactions possible entre les deux musiciens. Lors de ces improvisations, Denley et Mayas fabriquent des univers liquides et  bouillonnants, des continuums percussifs, et des souffles abrasifs. Ils fabriquent des timbres et des sons comme on peut parfois en entendre dans le réductionnisme, mais avec des personnalités affirmées et une certaine créativité à ce niveau, tout en sachant bien structurer les intentions, les tensions, et les pauses. Si les deux musiciens peuvent être très bien distincts, ils parviennent aussi à se mélanger et à s'entremêler de manière parfois chaotique et magique.

Ils n'explorent pas forcément un univers sonore complètement inouï, mais ils le font comme avec sagesse et parcimonie. Contrairement à beaucoup d'improvisateurs, les techniques étendues semblent utilisées à bon escient, rien n'est gratuit. Il ne s'agit pas de chercher pour chercher de nouveaux timbres, de nouvelles couleurs et de nouvelles textures. Le duo utilisent plutôt ces derniers pour créer une musique personnelle, ou interpersonnelle tellement les deux voix sont prononcées. Avec Tempe Jetz, Jim Denley et Magda Mayas offrent une musique spontanée et maîtrisée, exploratrice et structurée, abstraite et intentionnée, calme et réfléchie, tout en sachant créer des tensions au bon moment et se laisser immerger dans des labyrinthes soniques quand il faut.


MAGDA MAYAS & JIM DENLEY - Tempe Jetz (CD, Relative Pitch, 2017)



Randy Gibson / Andrew Lee - The Four Pillars Appearing from The Equal D under Resonating Apparitions of The Eternal Process in The Midwinter Starfield 16 VIII 10 (Kansas City)

Aujourd'hui, ça ne fait plus beaucoup de doutes, Andrew Lee est l'un des jeunes musiciens américains les plus intéressants que je connaisse, et certainement le pianiste le plus incroyable dans le milieu des musiques expérimentales et minimalistes. Après de nombreuses publications consacrées aux membres de Wandelweiser (Eva-Maria Houben et Jürg Frey), à la musique minimaliste américaine (Tom Johnson) ainsi qu'une mémorable réalisation de November de Dennis Johnson, il n'est pas si étonnant qu'il se consacre dorénavant à la musique de Randy Gibson, un élève de La Monte Young, pour qui November fut justement une révélation et une grande source d'inspiration

Outre son indéniable talent d'interprète et de pianiste, ce que j'apprécie toujours chez Andrew Lee est son choix de compositeurs pas aussi connus qu'ils ne le méritent. Et c'est bien grâce à lui que j'ai pu découvrir certains musiciens américains restés dans l'ombre de figures plus médiatiques ou populaires pendant des années. Cette fois, la collaboration avec Randy Gibson m'a révélé non pas un vétéran ou une figure tutélaire du minimalisme, mais un  jeune musicien américain qui a débuté sa carrière durant les années 2000, après des études avec La Monte Young, dont il est très proche et par qui il est plus que marqué.


C'est sans aucun doute ce parrainage qui l'a amené vers des recherches sur l'intonation juste et le piano. Mais puisque que Andrew Lee travaille habituellement avec un piano tempéré, la solution pour mener à bien cette collaboration a été de trouver un compromis : un compromis radical qui consiste à n'utiliser qu'une note sur le piano, à ne jouer que les , pendant une sorte d'improvisation de 3 heures et demi, qui n'est pas sans rappeler le permier mouvement du Musica ricercata de Ligeti - pièce où le pianiste ne jouait que des la.
Sauf qu'ici, aucune fondamentale ne viendra conclure ce disque, et de toute façon, la comparaison ne peut pas aller beaucoup plus loin. A l'aide d'un dispositif électronique d'amplification et de filtres, Gibson et Lee parviennent à jouer sur toutes les harmoniques propres au et à composer une sorte de pièce proche d'une intonation juste ou naturelle. Car c'est ce qui importe toujours à Gibson, l'intonation juste, et le dispositif électronique ainsi que la contrainte de ne jouer que des octaves ne sont là que pour retrouver la musicalité propre à un accordage "naturel".

Ainsi, seul, au piano, accompagné d'un léger dispositif électronique, avec l'ultime contrainte de ne jouer que des , Andrew Lee a enregistré cette pièce d'une traite, durant 3 h 30, trois heures qui révèleront des motifs mélodiques et des beautés jusqu'alors méconnues. Les trente premières minutes constituent une sorte d'introduction duranl laquelle Andrew Lee semble s'échauffer, se concentrer et tester son "matériel". Les notes sont longues, étirées, espacées par de longs silences. On prend conscience de leur richesse harmonique à travers le spectre qui résonne suite à chaque attaque. Puis dès la deuxième partie, les martèlements commencent. Ce n'est plus tout à fait le même univers, mais ce n'est pas franchement différent. Tout n'est qu'affaire de temps et d'espace. Mais en accélérant le rythme, en mélangeant les octaves, des bourdons apparaissent et des formes de mélodies surgissent de manière fantomatique.

Et puis c'est parti pour 3 heures continues de ré. Toujours cette même note déclinée sur sept octaves. Une seule note utilisée durant plus de 3 heures, et pourtant, ce n'est minimaliste que dans la forme et le concept. Car dans la réalité, dans l'expérience de l'écoute comme dans le contenu, la musique créée lors de cette performance est une musique en constant changement, en évolution permanente. Je ne sais pas quelles formes de consignes et de structures peut suivre Andrew Lee lors de cette "improvisation", mais la musique née de cette collaboration change sans cesse de forme, de caractère, et de couleur. Le moindre petit changement de rythme, l'introduction d'une seule note supplémentaire dans les nombreux clusters bourdonnants et martelés, chaque évènement est un bouleversement de l'ordre. Chaque nouveauté, si minime soit elle, explose tout l'espace, forme une nouvelle mélodie, dévie le bourdon de manière abrupte, et c'est toute la forme de la pièce qui change.

Mais surtout, à un niveau moins formel, cette écoute révèle une beauté incroyable. Cette composition de Randy Gibson explore la beauté naturelle et très mathématique des octaves. Une beauté basée sur la simplicité et la clarté. Mais il va plus loin, beaucoup plus loin, en allant chercher des  harmoniques aussi naturelles et mathématiques mais beaucoup moins claires et plus envoutantes, car on n'a pas forcément l'habitude de les entendre. Il confronte ainsi un monde du visible (le ) et de l'invisible (les harmoniques) pour former un univers où tout retrouve sa force, sa forme, sa beauté, sa puissance, sa cohérence. Une pièce magique et merveilleusement belle.

RANDY GIBSON / ANDREW LEE - The Four Pillars Appearing from The Equal D under Resonating Apparitions of The Eternal Process in The Midwinter Starfield 16 VIII 10 (Kansas City) (3CD, Irritable Hedgehog, 2017)


Junko & Thomas Tilly - Wild Protest

Le lyrisme sauvage de Junko d'un côté, la finesse d'écoute et d'enregistrement de Thomas Tilly de l'autre côté : voilà bien une rencontre que je n'aurais pas prévu et que j'ai découvert avec plaisir. Aussi improbable et étonnante qu'elle paraisse néanmoins, cette collaboration marche, et même très bien. 
Junko Hiroshige, qu'on a pu entendre aux côtés de Dustbreeders, Masayoshi Urabe, Mattin et Michel Henritzi entre autres, n'est pas là pour nous épargner. Sa voix est bien l'actrice principale de cette collaboration inouïe, sauvage et poétique. Cette voix qui hurle je ne sais quoi, du plus haut possible de ses cordes vocales, ce cri incessant et toujours plus fort et intense qui ne se fatigue jamais, cette blessure sonore béante qui ne cesse de s'élargir, oui cette voix envahit tout le disque, elle est là, elle se pose au milieu d'une forêt et absorbe tout l'environnement, pour le concentrer en un cri unique et inépuisable.

De son côté, Thomas Tilly ne fait que capter cette présence vocale, ce cri au milieu de la forêt. Je m'attendais à quelques montages fins et savants dont il a le secret, à une accumulation de matière sonore bruitiste, ou à une composition électroacoustique magistrale. Mais non, Thomas Tilly ne fait que se poser, choisir l'emplacement idéal, et capter cette voix dans cet environnement. Sa présence est discrète mais fondamentale. Car ce qui n'aurait pu être qu'un solo vocal hystérique et primitif se transforme ici en un chant naturel qui finit par revêtir des touches de plus en plus douces et naturelles. Car il ne s'agit pas que de trouver le meilleur emplacement et la meilleure manière d'enregistrer pour mettre en valeur la voix de Junko, il s'agit de trouver un équilibre entre cette voix et le milieu dans lequel elle évolue. Et c'est grâce à cet équilibre entre les sons naturels et la performance de Junko que cette dernière revêt un caractère de plus en plus doux et chantant, comme un oiseau rare perdu au milieu de cet environnement, un animal perdu qui cherche ses repères ou sa famille, n'ayant aucune crainte d'être surpris grâce à la présence bienveillante des micros.

Et finalement, hormis lors du climax atteint sur les dernières minutes, cette collaboration se révèle surprenante pour sa douceur, sa finesse, et son équilibre instable entre la nature et la culture, entre le chant improvisé et gratuit de Junko, et l'environnement sonore très marqué par le finalisme et le déterminisme naturel. Si la sauvagerie culte de Junko frappe toujours au premier abord, frappe même très fort, elle finit par trouver sa place dans le cours naturel de l'environnement forestier. Thomas Tilly conserve la puissance et l'intensité de Junko mais la transforme quelque peu en la confondant dans un environnement marqué par le calme et la douceur. Et au final on ne sait plus si c'est la forêt qui hurle ou si Junko se fond dans cet environnement et lui répond de la manière la plus naturelle qu'elle connaisse. Quoiqu'il en soit, le dialogue instauré entre Junko et la forêt, par l'intermédiaire indispensable de Thomas Tilly, se révèle passionnant, riche, beau, sauvage et doux à la fois.


JUNKO & THOMAS TILLY - Wild Protest (LP, 2016, Vent des Forêts)



Pan Daijing - Lack

En 2013, comme beaucoup d'auditeurs pas nécessairement proches des musiques expérimentales, ni forcément au courant de l'activité de PAN et de Rashad Becker, j'ai été vraiment surpris par le premier disque de ce dernier et j'attendais le deuxième volume avec impatience. Puis ce dernier est sorti, mais là, ça a été la déception, je le trouvais beaucoup trop convenu, trop attendu. Parallèlement, le label berlinois le plus en vogue des musiques expérimentales ne cesse de produire des disques à tendance house et dancefloor, esthétiques qui ne m'intéressent pas du tout du coup je n'espérais plus grand chose de ce label.

Mais par curiosité, je voulais quand même écouter ce nouveau disque sorti cet été par la musicienne  sino-germanique Pan Daijing. Et là je n'en revenais pas. Lack aurait pu être la suite de Traditional Music of Notional Species dans la mesure où on y retrouve l'utilisation des mêmes filtres tant prisés par Rashad Becker. Mais Lack pourrait aussi être la musique d'une descente de kétamine mal gérée au milieu d'une free party. Aussi, Lack, c'est la rencontre entre deux influences très fortes, la musique électroacoustique et l'indus.
Je n'aime pas spécialement parler de genres ou d'influences, mais là, c'est souvent trop flagrant. On retrouve les mêmes modulations sonores que celles utilisées par Rashad Becker, ces enregistrements détendus et arrondis pour former d'étranges mouvements soniques. Des procédés similaires qui ne forment pourtant pas la même musique du tout. Car Pan Daijing n'hésite pas à utiliser sa voix dans d'étranges incantations qui peuvent aussi rappeler Diamanda Galas, tout comme elle peut utiliser d'instruments distordus ou de sonorités très harsh dans une ambiance à la Throbbing Gristle, sans parler des beats hardcore festifs sortis de free party.

Tout ça non pas pour dire que Pan Daijing manque de personnalité ou fait du vulgaire montage. Bien au contraire, la musique de Pan Daijing ne ressemble à aucune autre et cette artiste sait largement faire preuve de créativité. Elle ose au contraire des assemblages et des montages inattendus, elle ose explorer le son et surtout les atmosphères de manière très singulière, parfois avec douceur, parfois avec violence. Autant de pièces qui forment parfois des plongées angoissantes dans des mondes sonores incroyables, ou des rêveries surprenantes et détendues dans des textures accueillantes. Une magnifique rencontre entre la musique électronique, la voix, l'indus et les musiques expérimentales.


PAN DAIJING - Lack (LP, 2017, PAN)

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Cristian Alvear & Seijiro Murayama - Karoujite

Depuis quelques semaines, j'ai écouté de nombreux disques, plusieurs dizaines certainement, mais il n'y en a qu'un seul qui revient toujours. Je devrais dire deux peut-être avec les ChamberEvents de Burkhard Schlothauer, mais je reviens toujours aussi inlassablement vers Karoujite, la première publication d'une collaboration qui continuera de se produire j'espère : Cristian Alvear et Seijiro Murayama. Si le premier était encore inconnu il n'y a pas si longtemps, on n'arrête pas de découvrir de nouvelles compositions pour guitare, anciennes ou composées pour lui, écrites par des membres de Wandelweiser surtout (Pisaro, Frey, Beuger, Malfatti, Thut) mais aussi par de plus jeunes compositeurs inspirés par les musiques expérimentales et minimalistes (d'incise, Sarah Hennies, Taku Sugimoto, Ryoko Akama par exemple).

Pour ceux qui connaissent déja bien, ou même juste un peu, Cristian Alvear et Seijiro Murayama, cette rencontre enregistrée au Japon ne les étonnera pas plus ça que dans la forme. Car en gros, il s'agit de trois pièces répétitives, remplies par les frottements de cymbales de Seijiro Murayama, ou par les battements rapides de caisses claires, et ponctuées par la répétition lente mais pas trop d'une note de guitare, ou un accord léger. Voilà pour un descriptif grossier et sommaire, qui correspond d'une certaine manière à ce qu'on entend mais pas vraiment à ce qu'on ressent.

Car la musique de ce duo, malgré les répétitions, n'a rien de minimaliste, on pourrait même être tenter de la qualifier de maximaliste tant elle parvient à remplir l'espace, et ce de plus en plus au fur et à mesure qu'avance le disque. C'est une musique répétitive, oui aucun doute, mais loin des répétitions parfaites et monotones. Non, il s'agit de répétitions avec leurs faiblesses, leurs erreurs, leurs à peu près en somme. Et la musique évolue sur ce terrain glissant et indomptable de la faiblesse humaine, de la résonance du lieu, de la spontanéité d'une matière sonore qu'on peut créer, mais jamais totalement maitriser. C'est comme si le duo invoquait une matière sonore, et lui laissait champ libre pour ensuite créer l'espace sonore qu'elle souhaite. D'où la beauté et l'unicité de ces espaces sonores inouis.

Cristian Alvear et Seijiro Murayama jouent de la guitare et de la batterie, jusqu'ici pas de problème. Ils composent ensemble une musique répétitive et peut-être minimaliste. Mais l'écoute de ce disque nous plonge surtout dans la création d'espaces sonores riches, dans la création d'une écoute unique, dans la création d'un monde musical où les éléments primaires s'opposent (la pulsation de la guitare et le jeu lisse de la batterie) pour mieux se rejoindre et former un espace homogène et équilibré : un espace musical puissant, beau, envahissant, toujours plein, riche et fluctuant, incertain et fluide. On est loin des clichés du minimalisme et de la musique répétitive tout en étant dedans en somme. On n'est plus dans la composition stricte ni dans l'improvisation libre, mais dans une musique très cadrée, propre, qui sait rester ouverte à tous les possibles, et qui joue de tous ces possibles incertains et beaux.


CRISTIAN ALVEAR & SEIJIRO MURAYAMA - Karoujite (CD, 2017, Potlatch)


Splinter Orchestra - Mungo

Splinter Orchestra est un collectif qui existe depuis maintenant une quinzaine d'années, au sein duquel on a pu retrouver la plupart des improvisateurs et musiciens expérimentaux australiens des années 2000 et 2010. Aucun disque n'était sorti depuis dix ans (à l'époque où ce projet évoluait avec Chris Abrahams, Clayton Thomas, Clare Cooper, Monika Brooks, Mike Majkowski, ou encore Dale Gorfinkel), mais l'orchestre revient aujourd'hui avec un triple CD dans lequel on retouve quelques musiciens phares tels Jim Denley, Laura Altman ou encore Cor Fuhler.
Un triple CD pour trois mouvements qui se déroulent dans divers lieux à divers moments : à l'aube dans un parc naturel, à midi dans un batiment en bois, et en pleine nuit sur une piste d'atterrissage. A chaque fois, ils étaient une vingtaine de musiciens à suivre quelques consignes ouvertes sur les placements et les déplacements par rapport aux microphones, mais surtout à prêter une attention extraordinaire à l'espace comme au temps pour créer trois pièces complètement différentes, le reflet de là où elles se déroulaient.

Il ne s'agit pas du tout d'enregistrements de terrain à chaque fois, l'environnement est présent certes, mais surtout pas au premier plan. Ce dont il s'agit, c'est d'un dialogue hors du commun entre une vingtaine de musiciens, avec un certain lieu à un moment x. L'orchestre entame une sorte de dialogue avec l'espace sans pour autant faire de ce dernier un élément musical. En fait, l'espace et le temps semblent être des éléments compositionnels plutôt que sonores ou "instrumentaux". Le dialogue n'est pas sonore et concret, il est plutôt abstrait. Les lieux d'enregistrements semblent former des partitions qui invitent les musiciens sur des territoires sonores différents et uniques, des territoires qui n'auraient jamais pu se former ailleurs à un autre moment.

Ceci-dit, si les ambiances et les environnements changent au fil de ces trois disques, il s'agit toujours du même orchestre et des mêmes musiciens qui jouent, et de fait, il y a quand même une cohésion et une unité entre ces trois disques. L'orchestre navigue régulièrement entre quelque chose d'abstrait et abrasif, et quelque chose de mélodique et archaïque. Les instruments frottent et craquent d'un côté, mais chantent aussi de manière primitive et simple. Les flûtes, les voix et les percussions primitives côtoient des cordes triturées et des objets incongrus ainsi que des saxophones comme fissurés. Il y a quelque chose d'atmosphérique mais étrangement intense et captivant, comme un univers imprévisible et exotique qui se déroule sous nos yeux. On est toujours à cheval entre une musique apaisante et tendue, mélodique et abstraite, maximaliste et réductionniste.

Je dois dire que je n'écoute plus beaucoup de musiques improvisées, que je me lasse de nombreux improvisateurs. Mais là, il s'agit de ces disques qui me font aimer l'improvisation, qui me font aimer l'expérimentation. Car il s'agit d'un disque qui contrairement à beaucoup d'autres, possède son univers propre, une ambiance personnelle, des sonorités créatives. Il ne s'agit pas seulement d'improvisation, de concept sur l'espace et le temps, de dialogue avec l'environnement, il s'agit d'un acte créatif, d'une proposition fraiche et innovante qui donne du sens à l'improvisation ainsi qu'à la musique expérimentale. Une beauté.


SPLINTER ORCHESTRA - Mungo (3CD, Splitrec, 2017)


Splinter Orchestra - Mungo National Park March 2016 from Axel Powrie on Vimeo.

Jonas Kocher - Plays Christian Kesten & Stefan Thut

Accordéoniste suisse qu'on a pu entendre aux côtés de Michel Doneda, Hans Koch, Jacques Demierre et bien d'autres improvisateurs, Jonas Kocher s'est illustré comme un instrumentiste délicat, précis, innovant et minimaliste. Ceci-dit, hormis au sein de l'Apartment House, je ne pense pas l'avoir déjà entendu réaliser les pièces d'autres compositeurs, ni même les siennes. C'est maintenant chose faite avec ce deuxième disque en solo, consacré cette fois non plus à une exploration intime de l'accordéon, mais à la réalisation de deux pièces écrites par Christian Kesten (pour Jonas Kocher) et Stefan Thut.
La précision, la délicatesse et la subtilité dont pouvait faire preuve Jonas Kocher quand il improvisait sont ici mises au service de ces deux compositeurs. Pour untitled (solo for accordion), de Christian Kesten, Jonas Kocher joue uniquement sur les deux octaves les plus hautes de son instrument. Deux octaves choisies par Kesten car elles offrent une multitude de possibilités microtonales et de tremblements dus à la fragilité des anches. Kesten et Kocher se rejoignent ici dans une volonté d'explorer les plus subtils mécanismes de l'accordéon, d'explorer sa richesse, ses "défauts", et ses surprises. Ils les explorent de manière fine et minimale, il ne se passe pas grand chose, Jonas Kocher jouent deux ou trois longues notes tenues superposées, mais ce quelque chose est toujours intéressant. On ne sait jamais à quelle vitesse les notes vont se frotter les unes aux autres, de quelle manière elles vont remplir l'espace ni combien de temps dureront-elles. La beauté de cette pièce tient à un équilibre suprenant entre la réduction drastique des moyens et la richesse des effets. Car si Kocher n'explore qu'une partie réduite de son clavier, il n'empêche que toutes sortes d'accords surgissent et produisent des harmoniques qui se renouvellent sans cesse et créent un espace sonore toujours neuf, très humain, sensible et organique.

La seconde pièce présentée sur ce disque, eine/r, 1-6 de Stefan Thut, offre une musique qui paraît plus mathématique et hasardeuse, mais aussi plus abstraite et minimale. Ici encore, les moyens sont réduits et Jonas Kocher n'utilise qu'une très faible partie de son clavier, quelques notes disséminées à travers un environnement quotidien. On ne sait plus trop si la musique vient ponctuée le silence, si elle remplit l'espace, si c'est le bruit de fond qui constitue l'espace sonore dans lequel les notes disparaissent ou si la musique est constituée d'un silence qui tente vainement de prendre place. Il s'agit là encore d'une musique délicate et précise. Jonas Kocher sait choisir l'attaque et le volume qui conviennent à l'étrange univers radicalement minimal de Stefan Thut. Les premières notes d'accordéon, et plus particulièrement les basses, dramatisent l'espace sonore, le quotidien auquel elles appartiennent. Puis, peu à peu, à force de répétitions, chaque note devient de plus en plus monotone, et les bruits de fond de plus en plus importants, jusqu'à ce que l'accordéon s'évanouisse, qu'il s'efface dans l'espace sonore qu'il a lui-même créé. Tout paraît simple et banal au premier abord, mais il fallait une grande précision, une approche très sensible et une écoute profonde pour arriver à ce résultat. C'est ici que l'on se rend compte que les années passées par Jonas Kocher à trifouiller les moindres recoins de son instrument, jusqu'aux plus infimes détails, ont fait de lui un musicien exceptionnel, capable de réaliser les musiques les plus subtiles et exigeantes.


JONAS KOCHER plays Christian Kesten & Stefan Thut (CD, Bruit, 2016)


Coppice - Preamble to Newly Cemented Dedication to Freedom

Dès les premiers sons de ce nouveau disque du duo Coppice, on pense aux étranges synthèses de Rashad Becker, avant de plonger dans des modules électroniques proches d'un dub à la Hey-O-Hansen, voire dans les installations recyclées de Matmos. Oui ça fait beaucoup de comparaisons dès les premières lignes, mais les trois morceaux présentés sur ce nouveau mini disque changent vraiment des précédents Coppice.

Pas de vieux orgues recyclés, ni de ghetto blaster et de cassettes, juste des synthés modulaires et quelques objets sont utilisés sur Preamble to Newly Cemented Dedication to Freedom. Noé Cuéllar et Jospeh Kramer produisent ici une "musique sensuelle" faite de boucles mélodiques filtrées et de beats légers et métalliques. Ils choisissent une nouvelle direction, ou plusieurs directions, plus douce, plus électronique. Une direction qui paraît plus facile d'accès, de par ses mélodies lentes et décalées, avec ses rythmiques claires et électroniques, mais qui reste toujours aussi créative et unique. Coppice n'essaye pas de faire de la musique électronique "facile", ils continuent de défricher des territoires sonores jamais explorés, de créer une musique personnelle et forte, de proposer quelque chose d'inouï et d'unique en somme. C'est peut-être court, très court, et ça peut paraître facile, ou léger, mais ce disque n'en reste pas moins un disque qui se reconnaît entre mille, un disque créatif et puissant fait de trois propositions fortes et nouvelles.


COPPICE - Preamble to Newly Cemented Dedication to Freedom (mini CD, Aposiopèse, 2016)


Ghédalia Tazartès, Paweł Romańczuk, Andrzej Załęski - Carp's Head

Le parcours de Ghédalia Tazartès est tortueux. C'est le moins qu'on puisse dire, il est aussi tortueux que sa musique en fait. Cette espèce de poète sonore apparu dans les années 70 est une figure de l'ombre des musiques alternatives françaises. Il n'a jamais appartenu à aucune scène et s'est toujours détaché de tout mouvement, il a aussi pu quitter le monde musical pendant 10 ans pour y revenir dans les années 2000. Et jusqu'à cette période, il a toujours composé et réalisé ses disques seuls, avec quelques invités pour l'accompagner quand même, mais c'était sa musique, celle qu'il rêvait, qu'il composait, une musique furieuse et tropicale qui puisait ses sources dans le punk, le blues, le RIO,  l'underground, la musique concrète et le free jazz. Tazartès a toujours su surprendre, et les années 2010 nous surprendont encore pour les collaborations inédites qui voient le jour sous différents labels. Car après Super Disque  en compagnie de Jac Berrocal et David Fenech, Alpes avec les français GOL, Vooruit avec Chris Corsano et Dennis Tyfus, Ghédalia Tazartès nous propose maintenant un nouveau trio avec deux musiciens polonais issus de l'avant-garde : le multi-instrumentiste Paweł Romańczuk, et le percussionniste Andrzej Załęski.

Cette nouvelle collaboration nous entraîne sur des territoires "connus". Il s'agit toujours de folklores imaginaires, de musiques traditionnelles imaginées, de blues à la Tazartès. Mais l'imagination de ce musicien français complètement hors-norme et quelque peu déjanté semble comme bridé par ses nouveaux collaborateurs. Romańczuk et Załęski n'empêchent pas Tazartès de s'exprimer, non, ils le soutiennent et semblent le respecter profondément. Ils aiment sa musique et s'adaptent parfaitement à la personnalité unique de Tazartès, à sa voix primitive et ses incantations uniques. Seulement, tous les trois ont fait le choix de produire une musique très claire, très cadrée, une musique mélodique et rythmée simplement. On a l'impression que Tazartès collabore avec un duo pop-rock parfois, même si on est très loin de ça au final. Car au final, on est toujours dans une sorte d'art brut composé avec une multitude d'instruments et un chanteur unique, un art brut qui puise ses racines dans le blues et la musique populaire polonaise, où les éructations rauques de Tazartès s'entretiennent avec des accordéons, des guimbardes, des guitares, des violons, des percussions, ainsi qu'avec des "objets sonores" étranges.

Dans Carp's Head, on a neuf pistes qui forment autant d'univers singuliers, oniriques et fantasmés. Cette collaboration n'offre pas un nouveau tournant, mais une autre facette de ce que la musique de Tazartès peut être. On retrouve un Tazartès plus calme, plus cadré, mais aussi plus clair, un Tazartès qui choisit chaque direction avec prudence. Cette collaboration nous permet de découvrir deux instrumentistes polonais singuliers, qui comme Tazartès, ne s'arrêtent à aucune étiquette, et n'ont  peur de franchir aucune barrière. Trois artistes en somme qui créent une musique unique, une musique qui ne nie pas son histoire et ne cherche surtout pas à s'en détacher, une musique qui revisite l'histoire, qui revisite les traditions et les folklores, avec romantisme, musicalité, émotion et imagination.


GHÈDALIA TAZARTÈS / PAWEŁ ROMAŃCZUK / ANDRZEJ ZAŁĘSKI - Carp's Head (LP, Monotype, 2016) 


Laurence Crane - Sound of Horse

Laurence Crane est un compositeur anglais qui a commencé à écrire des pièces dans les années 80. Oui, ça fait bien une trentaine d'années qu'il compose, et qu'il explore des voies nouvelles et magnifiques, et pourtant, Sound of Horse n'est que le troisième disque qu'il publie. Il y a eu ses œuvres pour piano jouées par Michael Finnissy éditées à la fin des années 2000, ses Chamber Works par l'Apartment House récemment publiées sur Another Timbre, et ce dernier qui regroupe également des compositions pour petit ensemble, réalisées par le sextet norvégien Asamisimasa.

On retrouve sur celui-ci deux pièces déjà présentes sur Chamber Works : Riis et John White in Berlin. Deux pièces complétées par trois autres compositions inédites, réalisées par un ensemble purement instrumental (clarinette, violoncelle, guitare, piano, orgue électrique, percussion et voix). Toutes ces compositions sont proches et différentes. On retrouve l'économie de moyens propre à Laurence Crane, une économie qui n'est pas du minimalisme à proprement parler, mais un choix esthétique qui tend à créer de nouvelles formes avec des matériaux très simples et banales. Laurence Crane compose ses pièces à partir d'accords et d'arpèges très simples, de bourdons, de mélodies et de cadences tout ce qu'il y a de plus commun. Et pourtant, grâce aux résonances, aux pauses, aux superpositions, aux durées et aux répétitions, Laurence Crane parvient à composer une musique unique, fraiche et innovante.

Sound of Horse  regroupe des pièces qui présentent très bien le travail de ce compositeur anglais. Des compositions où la simplicité et la banalité créent de la beauté. Mais une beauté qui n'est pas commune, une beauté unique et personnelle, qui est le véritable travail du compositeur, et pas simplement le fruit de l'usage des matériaux utilisés. Je n'ai cependant pas trouvé Sound of Horse aussi renversant que les Chamber Works, c'est très beau toujours, et ce disque peut être une bonne introduction au travail de Crane, mais les réalisations ne sont pas forcément aussi bouleversantes et justes que celles de l'Apartment House, elles sont très propres ici, très fines, mais elles ne semblent pas toujours atteindre la pointe de beauté propre à chaque pièce de Crane.


LAURENCE CRANE / ASAMISIMASA - Sound of Horse (CD/2LP, Hubro, 2016)


The Necks - Unfold

On va bientôt arriver au vingtième album de The Necks, en presque trente années d'existence. En soi, ce n'est pas extraordinaire, mais ce qui l'est plus, c'est que le trio parvient à conserver une esthétique droite et reconnaissable, tout en se renouvelant au fil des années. Et avec Unfold, la première chose qui change, c'est le format de publication, car si une version vinyle de Mindset et Vertigo était déjà proposée en plus des CD, Unfold reste le premier disque de The Necks qui ne soit pas édité en CD, et qui a clairement été conçu pour une édition vinyle, avec quatre improvisations d'environ vingt minutes.
Ce que j'apprécie le plus avec The Necks, c'est certainement cette capacité à maintenir un haut niveau de tension avec une matière qui paraît redondante, comme un trio jazz-rock pourrait jouer une pièce de Steve Reich. Quand ils jouent une heure sur un disque, on n'a pas forcément l'impression que le morceau ait beaucoup évolué au fil de cette heure, et pourtant, on reste captivé durant tout ce temps. Donc en vingt minutes, c'est un vrai condensé, quatre spots de The Necks qui explosent presque. Ce nouveau format rend l'écoute encore plus tendue, plus intense, on a à peine le temps de voir l'improvisation se développer et se finir qu'on enchaîne avec autre chose. Autre chose qui reste un prolongement, qui n'est pas une suite ni un développement du morceau précédent, mais qui reste dans la continuité pour former un tout cyclique et organique.

Et si Vertigo, le précédent opus de The Necks, abordait la musique avec un aspect un peu cinématographique, Unfold revient à l'improvisation onirique avec une touche vintage cette fois. Le rêve, bien sûr, il est en grande partie induit par les improvisations modales au piano de Chris Abrahams, mais aussi par Tony Buck, cet étrange batteur qui produit des chaos métronimiques avec un toucher suavement survolté. Mais s'il n'y avait que ces deux-là, le rêve deviendrait ennui, redondance, et c'est là qu'intervient Lloyd Swanton, ce contrebassiste qui n'arrête pas de nous réveiller et de rééquilibrer ces improvisations avec des notes sèches et répétitives, dures et brutales. Tout ça est typique de The Necks, il reste juste que sur Unfold, Chris Abrahams utilise régulièrement un orgue électrique seul ou en accompagnement du piano pour produire des accords simples et tenus qui apportent une couleur encore plus "rock" et un peu vintage à ces nouvelles improvisations de The Necks.

Je ne suis franchement pas fan des publications vinyles, mais là, je pense que The Necks a vraiment joué le jeu et s'est adapté à ce format. Le trio s'est adapté et cette adaptation leur a permis de se renouveler et de proposer quelque chose de frais d'une part, mais aussi de plus intense et tendu qu'auparavant. Et on se retrouve avec un des plus beaux et emblématiques disques de ce trio incontournable.


THE NECKS - Unfold (2LP, Ideologic Organ, 2017)


Taku Unami / Devin DiSanto

Depuis le début des années 2000, Taku Unami n'a pas cessé de surprendre et de multiplier les collaborations. Il a commencé comme improvisateur, avec de nombreuses autres figures de l'improvisation libre et de la scène onkyo (Taku Sugimoto, Otomo Yoshihide, Ferran Fages). Il s'est tout de même très vite démarqué par une approche parfois plus conceptuelle, en tout cas plus réfléchie et originale, notamment dans ses enregistrements avec Mattin, Jean-Luc Guionnet, Radu Malfatti ou Keith Rowe, en proposant une musique de plus en plus unique, personnelle et défiante, en compagnie d'Annette Krebs, Takahiro Kawaguchi ou Eric La Casa.

Sa dernière collaboration en date, publiée à la fin de l'annnée dernière sur erstwhile, et malheureusement un peu cachée par la sortie de The Room Extended, est certainement la plus troublante et sauvage qu'il ait jamais produite. Il s'agit cette fois d'un duo avec le jeune musicien américain Devin DiSanto, enregistré en live lors du festival Amplify en 2015, dans une petite galerie new-yorkaise. Cette collaboration sans titre résiste certainement à toute tentative de description et défie toute attente que n'importe quel auditeur, même le plus averti, pourrait avoir.


Durant ce concert, qui dura à peine trente minutes, Taku Unami et Devin DiSanto explorent des territoires complètement inédits. Ils explorent une musique qui remet en question la place de l'artiste et du musicien, du public et de l'écoute, de la création et des habitudes musicales. Le concert proposé est un vrai défi proposé au public, pas le genre de défi chiant qui joue sur la radicalité ou l'extremisme propres au silence ou au bruit, aux très longues durées ou au minimalisme, mais le genre de défi qui va au-delà de toutes nos attentes, de toutes nos habitudes : un défi à l'imagination et à la création.

Sur la base de programmes aléatoires définissant le déroulé du concert, Devin DiSanto et Taku Unami jouent les plans d'une machine interrogative et enchainent et superposent tout ce qui est possible : extraits pop, chants discrets, objets lancés, bruits blanc et électronique, questions-réponses avec un voix informatisée établissant une sorte de diagnostic, nappes synthétiques, micro-contacts. La musique s'enchaine comme ces suites d'averbes ou de nombres récités par DiSanto : de manière machinale, froide, constante, et aléatoire. Tout peut arriver, à n'importe quel moment, et rien ne le laisse présager. Taku Unami et Devin DiSanto se jouent de nos attentes et de nos habitudes : ils utilisent des matériaux connus, mais structurés de manière sauvage et inattendue, de manière aléatoire et surréaliste.

Loin de l'improvisation ou de la musique électroacoustique, ce duo propose une nouvelle forme proche du surréalisme et de l'écriture automatique : une forme innovante, créative, défiante et fraîche. Il propose une musique inattendue et nihiliste qui n'hésite pas à se jouer du public comme de toutes formes musicales, qui joue avec les codes musicaux aussi bien qu'avec les codes sociaux.


TAKU UNAMI / DEVIN DISANTO (CD, erstwhile, 2016)



Keith Rowe - The Room Extended

Voilà plusieurs années maintenant que Keith Rowe n'avait pas publié un solo enregistré en "studio", depuis 2007 avec The Room  en fait. Entre temps on a pu entendre de nombreuses collaborations (avec Radu Malfatti, Taku Unami, Graham Lambkin, Christian Wolff et John Tilbury pour ne citer que les plus marquantes) et quelques enregistrements live, mais jamais d'enregistrements "studio". J'utilise les guillemets car The Room, tout comme The Room Extended, sont des disques qui n'ont pas été réellement conçus en studio au sens propre du terme, mais au calme, dans la maison de Keith Rowe. Et ce dernier, un coffret de quatre CD qui réunit plus de 240 minutes d'enregistrements, a été préparé et enregistré sur une période de trois années. Autant dire que j'attendais cette sortie monumentale avec impatience, et s'il y avait un disque de 2016 que je conseillerais, aux admirateurs de KR aussi bien qu'à ceux qui voudraient découvrir son travail, ce serait celui-ci.
Le lieu de création, la durée des disques, comme la photo d'un scanner personnel qui illustre le coffret donnent le ton : The Room Extended est une œuvre grave, immersive, épique et intime. Comme je le dis souvent, KR fait toujours la même chose, mais ce n'est jamais pareil, il évolue constamment vers de nouveaux horizons. On retrouve la guitare préparée sur table, presque seule sur le premier disque, une guitare de plus en plus abstraite et réduite, de plus en plus silencieuse et discrète, mais qui explose toujours au moment le moins attendu. On retrouve aussi la radio bien sûr, ces radios qui sont un peu la marque de fabrique de KR, et qui intègrent le monde extérieur dans l'expérience très personnelle de l'écoute, ainsi que de nombreux disques de classiques (extraits d'opéras, de quatuor à cordes ou de sonates pour piano, de symphonies romantiques et de concerto classiques qui sont la base des écoutes de KR).

Ces extraits se glissent doucement dans des préparations abrasives et rudes, elles se font discrètes puis de plus en plus présentes, se superposent parfois sans problème, et ne s'opposent jamais à la musique de KR. Elles nous plongent en fait plus profondément dans son intimité, dans ce qui le berce et l'émeut. Car la musique de KR, si elle est semble toujours la même sans être jamais identique, c'est parce qu'elle est le reflet exact de ce qu'est KR à l'heure où il joue. Ici, nous avons le reflet de sa personnalité, à domicile, durant trois années. Trois années où il a exploré ses outils de manière toujours innovante, où il a cherché à construire une musique nouvelle, avec des structures dessinées, ou peintes.

De plus en plus clairement, sa musique se démarque aussi bien de l'improvisation que de la composition. Elle atteint un niveau toujours plus tangible de forme, de plasticité, de couleur. Keith Rowe ne compose pas à proprement parler, il n'improvise pas non plus, il fait de la musique comme un peintre (une activité qu'il a pu exercer parallèlement) : sa musique se construit selon des formules précises où il s'agit d'équilibrer les plans, les tons, les couleurs, de construire du mouvement à partir de formes fixes, de développer des structures narratives grâce à des procédés plastiques ou sonores et abstraits, etc.

Chaque disque représente l'évolution de lignes, de courbes et de formes géométriques à travers des couleurs personnelles faites de grésillements, de crépitements, d'explosions retenues, de souffles, de tremblements, d'interruptions médiatiques et musicales, de passions et d'émotions. Chaque disque représente l'évolution et le travail de Keith Rowe durant trois années. Un travail passionné, intense, nouveau, profond, et très personnel. Un travail touchant et émouvant qui dépeint quelque chose de sombre mais qui donne de l'espoir et laisse rêveur en fondant de nouvelles bases musicales, en fondant une nouvelle manière de composer : une manière qui allie merveilleusement l'abstraction, la plasticité, la passion et le sonore.


KEITH ROWE - The Room Extended (4CD, erstwhile, 2016)

 

Dave Phillips - South Africa Recordings

Autoproduit par Dave Phillips, South Africa Recordings regroupe 36 pièces brutes enregistrées entre novembre 2015 et février 2016 dans plusieurs réserves naturelles sud-africaines, présentées sur deux CD. Les animaux et la nature sont souvent très présents dans les enregistrements de DP, on est bien d'accord. Mais ici, leur univers est laissé intact, il ne s'agit pas de composer une fresque psychoacoustique cauchemardesque et angoissante, il s'agit seulement de capter les différents univers sonores composés par la nature, trouver le point de vue idéal et sélectionner l'enregistrement parfait. Pour autant, DP ne verse pas dans l'éthnomusicographie, ni dans l'exotisme, et encore moins dans le documentaire.

C'est brut et réaliste oui, DP enregistre et ne modifie pas ses matériaux, il n'ajoute rien, ne retire rien, au pire il superpose quelques enregistrements parfois, ou les égalisent. De plus, tous les enregistrements (aux durées très variables : de quelques secondes à plus de vingt minutes) se succèdent sans grand souci de cohérence ou de composition, une écoute aléatoire est même "suggérée". Et pourtant, on est loin d'une recension naturaliste, très loin. Sur ces disques, les enregistrements présentés n'ont pas été réalisé dans un but documentaire. Il ne s'agit pas de capturer le cri typique de telle ou telle espèce, de rendre compte méthodiquement de tel ou tel habitat. Pour DP, l'important semble être de capturer des univers sonores uniques, souvent proches de l'abstraction, parfois même de la musique électronique.

Voici de purs "enregistrements de terrain", mais qui n'y ressemblent pas vraiment, et c'est ce qui fait leur intérêt. Les captations sonores de DP sont loin des clichés naturalistes ou exotiques, elles nous entraînent dans des paysages sonores intrigants et hors normes, mais qui ne cherchent pas à documenter un "terrain" spécifique (tout en le faisant malgré eux). Ces South Africa recordings ne documentent pas l'univers sonore des réserves sud-africaines, mais la manière dont DP a perçu cet environnement spécifique, elle documente la sensibilité de DP aux sons rudes et nasillards, aux univers abstraits et forts, mais aussi à la beauté sonore que la nature et les animaux ont à offrir. Un disque étonnant et déroutant, beau et immersif toujours, qui change des précédents disques de DP, mais aussi des field recordings habituels.


DAVE PHILLIPS - South Africa Recordings (2CD, autoproduction, 2016)


Graham Lambkin - Community

Un livret plein de collages avec les textes utilisés durant le disque, des formats courts sur le premier disque, de nombreux invités qui jouent divers instruments (saxophone, violon, violoncelle) ou parlent : il y a quelque chose de très pop dans ce nouveau solo de Graham Lambkin. L'utilisation fréquente d'enregistrements trouvés ainsi que l'omniprésence de la voix pourraient d'une certaine manière faire penser à un mixte entre Alessandro Bosetti et Marc Baron, mais Community semble se situer encore ailleurs : dans un paysage électroacoustique décalé et unique.

Graham Lambkin ne joue pas sur la musicalité de la voix ou la mélodie propre aux phrases, ni sur l'historicité et la distance des enregistrements. Il utilise des fragments de texte, des vieilles bandes musicales, des enregistrements très courts et quelques manipulations électroniques qu'il superpose les uns sur les autres pour former des collages à l'image de la pochette. Des collages qui utilisent des matières premières très concrètes, très réalistes, mais qui finissent complètement découpés, disloqués, superposés et décalés pour former  des constructions bizarres et sauvages, rudes et extrêmes, malgré la simplicité et la douceur des éléments juxtaposés.

Ceci-dit, quand je parle de collages, il ne faut pas non plus s'imaginer les découpages speed et abrupts de Sec_ ou eRikm, ni les assemblages psychoacoustiques de Dave Phillips, les montages de Graham Lambkin se font de manière beaucoup plus délicate et souple. Il ne s'agit pas de puissance, de rapidité ni même de puissance ou d'intensité. Il s'agit surtout de créer des univers loufoques, de créer des mondes décalés où des éléments qui n'ont rien à faire ensemble se cotoient en toute simplicité. La confrontation de mondes mélodiques et instrumentaux avec des récitations monotones de textes/poèmes, ou avec des enregistrements très concrets de cloches, d'enfants, aussi bien qu'avec des manipulations électroniques abstraites et austères, construit des univers franchement décalés et incongrus. Tout se fait en douceur, calmement, sans verser dans le minimalisme non plus, mais le résultat est détonnant.

Le résultat de tout ça, c'est un des meilleurs disques de musique électroacoustique que j'ai pu entendre ces dernières années. Une musique aussi personnelle et unique que peut l'être celle de Dave Phillips ou celle de Marc Baron, aussi étonnante et fraiche que Songs about nothing de Jason Lescalleet. Graham Lambkin a su construire sur ces deux disques (ou un selon l'édition) une musique électroacoustique décalée qui a quelque chose de la SF kitsch et expérimentale, de la pop ou de la musique concrète déconstruite. Tout est découpé comme un vulgaire journal pour fabriquer une suite de scènes franchement étranges et intrigantes, des scènes qui éveillent et surprennent, des scènes musicales personnelles et hallucinées, des trips électroacoustiques déroutants et frais.

(Concernant l'édition, Community est la première collaboration entre erstwhile et un autre label. Si erstwhile ne publie que des CD, Graham Lambkin ne publie que des LP sur son label Kye, et Community a donc été publié par chaque label soit en vinyle, soit en CD. A noter cependant que l'édition erstwhile propose un disque "bonus" avec une longue pièce de 40 minutes supplémentaire.)


GRAHAM LAMBKIN - Community (2CD/LP, erstwhile/Kye, 2016)

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Dante Boon - clarinet (& piano)

Quand je pense à Verlaine, irrémédiablement et immédiatement, c'est le mot langueur qui me vient à l'esprit. Ce nom semé à travers de nombreux poèmes de Verlaine, qui caractérise très bien l'atmosphère à moitié romantique propre à la fin du 19e, est aussi le premier auquel je pense en écoutant les trios pièces de Dante Boon présentées sur clarinet (& piano), jouées par Jürg Frey et le compositeur.

Le romantisme et la langueur sont tous les deux présents chez certains compositeurs de wandelweiser, mais tout particulièrement chez Jürg Frey. Et lorsque Dante Boon (également membre du collectif wandelweiser) a composé ces trois pièces pour clarinette, c'était soit écrit pour Jürg Frey directement, soit dédié à ce clarinettiste, ou soit en se demandant comment ce dernier pourrait jouer la pièce en question. Il n'est donc pas étonnant que cette langueur romantique traverse l'ensemble de ce disque, qu'elle traverse ces longues mélodies traînantes à la clarinette et ces accords lumineux disséminés.

O'Hare (2014), 3x (2011), et Wolken/Feld (2011) sont trois pièces composées selon des principes d'indétermination et des structures ouvertes. Elles pourraient éventuellement ressembler à autre chose donc, à des pièces très froides, très silencieuses, mais pas jouées par Dante Boon et Jürg Frey. Chaque ouverture, chaque possibilité offerte par ces compositions est une occasion de glisser une phrase ou une note mélodique, lente, chaleureuse et mélancolique. Le silence est bien présent entre chaque occasion, mais il est absorbé par les résonances mélodiques et l'atmosphère propre à chaque note ou chaque accord. Chaque son apparaît comme un premier bourgeon printannier, ou comme un bourgeonnement hivernal persistant. Il envahit l'espace par sa beauté et absorbe ce qui l'entoure : le silence naturel qui sépare chacune de ces épiphanies mélodiques.

Les deux pièces en duo reposent également sur des jeux d'écoute et de réponse, de réactivité et d'interaction, où la musique progresse en fonction des choix et des propositions de chaque musicien. Et c'est là que l'on se rend compte de la profonde intimité qui lie ces deux musiciens, du respect et de l'admiration mutuels qu'ils se portent lorsqu'ils jouent ensemble. Cette relation n'est pas complètement symétrique, car autant au niveau de la composition que de la réalisation, Jürg Frey semble toujours plus ou moins au premier plan et on ressent assez bien l'influence qu'il peut exercer sur Dante Boon. Mais tout de même, quand ils jouent en duo, aussi dissemblables que puissent être une note de clarinette et un accord de piano, il y a une fusion entre les deux qui fait qu'on finit par ne plus vraiment les distinguer, ils finissent par former une sorte de nuage similaire aux orchestres romantiques, ou tout le monde fait partie d'un tout qui le dépasse (la nature, l'art, le son).

C'est donc cette osmose et cette connexion, cette beauté absorbante et langoureuse, ainsi que cette sensibilité musicale et une virtuosité instrumentale (toute en finesse), qui font de clarinet (& piano) un disque incontournable pour découvrir le travail de Dante Boon d'une part, mais également pour continuer de se plonger dans l'univers magnifique de Jürg Frey.


DANTE BOON - clarinet (& piano) (CD, another timbre, 2016)


Michael Pisaro - the earth and the sky (Reinier van Houdt)

Hormis field have ears pour piano et bande magnétique et Fade pour piano, joués par Phillip Thomas sur un disque publié en 2010, ainsi qu'une récente collaboration avec Christian Wolff, les disques de Michael Pisaro offrent rarement l'occasion d'entendre des pièces pour piano. Il aura fallu attendre 2016 pour que le pianiste Reinier van Houdt et Pisaro se trouvent, enregistrent ensemble et publient the earth and the sky, une coffret qui réunit la majorité des compositions pour piano de Pisaro, des pièces écrites entre 1994 et 2016.

Sur les 11 pièces présentées ici (soit 223 minutes d'enregistrement), on retrouve beaucoup de points communs. Mis à part la présence de silence (Pisaro reste membre de wandelweiser) : l'aspect majestueux du piano est souvent mis en avant, la présence de Pisaro à travers des sinusoïdes, des dispositifs d'enregistrement - parfois  inspirés par Toshiya Tsnuoda et toujours savamment pensés, et des générateurs de bruits reste très discrète, les parties pour piano sont souvent mélodiques ou axées sur les harmoniques naturelles. Mais chaque pièce possède bien évidemment son individualité propre.

Chaque pièce est un univers propre qui explore le son de manière particulière. En terme de durée déjà, les réalisations de ces pièces peuvent durer entre 3 et 73 minutes ( pour C. Wolff et green hour, grey future) aussi bien que 10 ou 35 minutes (pour distance (1) et field have ears (2) par exemple). Mais chacune explore différents systèmes de composition et d'enregistrement : des compositions axées sur des répétitions centrées sur les harmoniques comme sur Fade, ou axées sur des aspects plus mélodiques et qui répondent aux compositions traditionnelles pour piano comme sur field have ears (2), des systèmes d'enregistrements avec des micros placés à des endroits stratégiques qui font entendre le piano d'une autre manière comme sur Akasa, ou à travers des stéthoscopes comme sur half-sleep beings, etc.

Ce n'est pas évident de présenter toutes ces pièces, il faudrait en analyser les particularités et les intérêts de chacune. Ici, je dirais simplement que pour qui s'intéresse à l'œuvre de Michael Pisaro ou même à wandelweiser, ou pour qui s'intéresse à de nouveaux systèmes d'écoute ou aux compositions pour piano, il y a largement matière à trouver de superbes trouvailles dans ce disque. De mon côté, je suis ravi d'avoir découvert green hour, grey future, la longue et fantomatique pièce qui ferme ce coffret, mais aussi la mise en abstraction du piano sur les deux versions de pi, ainsi que deux magnifiques réalisations de Les Jours, Mon Aubépine et field have ears (2). Les mélodies sons superbes, les systèmes électroacoustiques sont ingénieux et frais, les compositions profondes, justes et équilibrées, et les réalisations aussi fines que précises.


MICHAEL PISARO / REINIER VAN HOUDT - the earth and the sky (3CD, erstwhile, 2016)



Essential Listenings #01

Trois compositions de Dante Boon jouées par lui-même au piano, et Jürg Frey à la clarinette.
another timbre
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George Cremaschi : contebasse & électronique ; Irene Kepl : violon & électronique ; Petr Vrba : trompette, clarinette & électronique

Double CD de field recordings bruts réalisés en Afrique du Sud, autoproduit par dp. La nature parle. 

Essential Listenings #52

Premier disque sur le nouveau label de Taku Unami. Du smooth jazz expérimental, avec 10 versions de Skylark, par Orlando Lewis (clarinette), Franz-Ludwig Austenmeiser (claviers), Hayden Pennyfeather (basse), Roland Spindler (batterie). Sobrement kitsch, mais vraiment prenant.
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Traditional Music of Notional Species Volume II, deuxième solo du plus acclamé des ingé son.
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Coffret 4 CD de Keith Rowe. Enregistrements intimes de recherches nouvelles et d'expériences passées. Toujours aussi rude et immersif, simplement magique.
erstwhile

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Nouveau solo de Graham Lambkin, plein de field-recordings, textes étranges, enregistrements trouvés, pop music, collages, etc. Edité en un vinyle chez Kye ou en double CD chez Erstwhile.
kye
erstwhile