Jean-Luc Guionnet - Distances Ouïes Dites (Ensemble Dedalus)

On connait tous, de près ou de loin, Jean-Luc Guionnet en tant que saxophoniste (dans The Ames Room, Return of the New Thing et je passe toutes ses collaborations avec Seijiro Murayama et autres), en tant qu'organiste aussi (la plupart du temps en solo), mais déjà beaucoup moins en tant que compositeur. Pourtant, que ce soit en solo ou en collaboration avec Eric La Casa, Thomas Tilly, ou Marc Baron, l'écriture et les processus de composition font régulièrement partie des enregistrements et des installations de Guionnet.

Avec Distances Ouïes Dites, une composition réalisée par l'ensemble Dedalus, la première chose qui surprend est de ne pas trouver Guionnet dans la liste des interprètes. Pour la création de cette pièce qui a eu lieu à Dijon, les sept instrumentistes (Cyprien Busolini, Deborah Walker, Vincent Bouchot, Eric Chalan, Christian Pruvost, Thierry Madiot et Didier Aschour) de l'ensemble étaient répartis dans différentes pièces plus ou moins éloignées de celle où se trouve le public. La création de cette pièce est une chose, une chose que ce disque transcrit, et il n'y a rien d'étonnant à ce que Guionnet n'ait pas participé à la réalisation de sa composition. Ceci dit, l'enregistrement et le mixage de cette performance pour en faire un disque est un autre processus au sein duquel Guionnet se retrouve à la place centrale (en tant que preneur de son notamment), et au final, il participe tout aussi activement à cette œuvre (en tant que disque) que les musiciens, même s'il n'est pas crédité en tant que tel.

Quant à Distances Ouïes Dites, de quoi s'agit-il en fin de compte ? D'une performance inouïe, comme on peut rarement y assister, d'une richesse et d'une complexité rares. La richesse et la complexité ne sont pas le fait de ce qui est joué, mais de comment est pensée et structurée la performance, et de ce qui est en jeu dans cette performance. Ce qui est joué par les musiciens, ce sont des magnifiques mélodies assez courtes, puis une phase de bruits soudains, des imitations fantomatiques, des échos, etc. Mais c'est le comment qui est complexe et riche surtout car Guionnet fait jouer les musiciens sur une multitude de niveaux et pose de nombreuses questions. Comment un musicien en entend-il un autre s'ils n'ont pas de relations visuelles entre eux, comment se perçoivent-ils lorsque des murs modifient les sons originaux, comment le public perçoit-il ce tout également, avec une perception encore différente de ce que chaque musicien entend ?

Et nous, en tant qu'auditeurs "rétrospectifs" de cette performance, avec un autre point de vue encore plus éloigné géographiquement, encore plus filtré par l'enregistrement et nos haut-parleurs, qu'entendons-nous de cette performance ? On entend une composition qui n'est plus horizontale ou verticale, mais toute en profondeur et en perspective. Même si ce n'est pas systématique, la plupart des instruments graves sont les plus éloignés, et derrière des voix aigues, nous parvient souvent en écho, dans le fond, une résonance grave et caverneuse. De plus, l'écho n'est pas seulement instrumental, il y a aussi celui des murs qui a toute sa place ici et qui est exploité comme une autre voix, comme une des composantes essentielles de la composition. Ce qui est joué et par qui est-ce joué est profondément déterminé par les dimensions de la pièce ainsi que par les matériaux de cette dernière. Ainsi, on peut percevoir les différentes répercussions du son en fonction de leur hauteur et de leur superficie surtout. Et ces répercussions font partie intégrante de comment la musique de Guionnet se construit.

Une musique unique qui construit la représentation et la perception, mais qui est également une méthode géniale de reproduction sonore d'un espace. Car à travers ce disque, on n'assiste pas uniquement à la création de Distance Ouïes Dites, il ne s'agit pas seulement d'une performance sur disque, mais aussi et surtout à la représentation sonore d'un espace, d'une architecture qui résonne et parle à travers la performance. A ce titre, on comprend pourquoi le nom de l'espace, Le Consortium, occupe la place centrale sur la pochette, car c'est bien cet espace qu'il s'agit de faire vivre, de faire parler et de mettre en musique.


JEAN-LUC GUIONNET / ENSEMBLE DEDALUS - Distances Ouïes Dites (CD, Potlatch, 2016) : http://potlatch.fr/records/416/main.html

John Tilbury & Zygmunt Krauze - Grand Tour

Au début des années 60, John Tilbury se trouvait en Pologne pour faire ses premières expériences musicales avec la scène musicale expérimentale locale, en compagnie notamment du pianiste et compositeur Zygmunt Krauze, mais aussi de Tomasz Sikorski et Zbigniew Rudziński. Mais il faudra attendre 2015 avant que le pianiste anglais revienne en Pologne pour une résidence avec ces artistes et se penche sur quelques unes des pièces qui ont marqué tous ces musiciens. Grand Tour présente les retrouvailles de Tilbury avec Krauze et quelques musiciens polonais, mais aussi et surtout de nouvelles réalisations de pièces occidentales plus ou moins connues ainsi que quelques premières de compositions polonaises.

Même si Grand Tour documente la réunion de deux musiciens qui ont joué et collaboré ensemble il y a plusieurs décennies, et que ces derniers décident de jouer des pièces qui datent également de plusieurs décennies, ce disque n'est pas un retour dans le passé, ce n'est pas une célébration de la musique des années 60 ni une tentative d'enregistrer ce qui n'a pas été enregistré il y a 50 ans. La musique proposée par Tilbury et Krauze, en compagnie de deux autres musiciens polonais, Szábolcs Esztényi et Hubert Zemler, est tout ce qu'il y a de plus actuel et contemporain en fait. Ces enregistrements ne documentent pas une collaboration éteinte, mais plus une histoire et un avancement qui ont eu lieu séparément et parallèlement, pour arriver à ce point, à Grand Tour.

Quand, au milieu des années 60, Tilbury rentre en Angleterre, que ce soit au sein d'AMM ou du Scratch Orchestra, il est fortement engagé aux côtés de Cornelius Cardew. C'est peut-être pour cette raison que la première pièce présentée sur ce disque est le Solo with accompaniment de ce dernier, une partition graphique pour instrumentation libre composée l'année du retour de Tilbury. La dernière version que j'ai entendu de cette pièce est celle de Keith Rowe et Radu Malfatti, qui était radicalement différente. Ici, cette version pour deux piano et percussion annihile et revisite les notions de solo et d'accompagnement d'une toute autre manière, notamment en interprétant le solo à deux et en réduisant l'accompagnement à des percussions frottées qui tracent des lignes abstraites sans rapport avec le dialogue instauré par les deux pianistes. Une des plus grandes surprises de ce disque est certainement la réalisation de Keyboard Studies #2, une pièce réalisée sur trois piano cette fois (par Tilbury, Krauze et Esztényi) de Terry Riley, un compositeur que l'on voit rarement dans le même programme que Cardew. Cette étude rarement jouée a été composé un an après le très célèbre In C et y ressemble sous de nombreux aspects. Il s'agit d'une étude basée sur la répétition de motifs modaux superposés et légèrement décalés à un tempo plutôt rapide, elle est ici joué avec précision et légèreté, de manière très lumineuse. Le dernier compositeur "occidental" a être joué est Christian Wolff, avec Tilbury 3, une des nombreuses pièces composées pour ce pianiste qui a tant fait pour les musiques modernes et expérimentales de la dernière partie du 20e siècle. En accord avec le "style" et les intérêts musicaux de ce dernier, cette pièce ouverte joue énormément sur les résonances et sur le silence. Le piano n'est pas préparé, mais tous ses timbres sont exploités pour créer des résonances uniques et toujours envoutantes. Comme son titre l'indique, Echoes II de Sikorski est également une exploration des résonances du piano, mais basée cette fois sur des motifs complètement dissonants et beaucoup plus rapides, également séparés par des silences, mais plus systématiques, longs et profonds. Enfin, les quatre musiciens finissent par se réunir sur un piano droit pour réaliser une étonnante pièce de Krauze intitulée One piano eight hands. Les quatre musiciens jouent ainsi des thèmes aux tonalités enfantines et naïves, aux sonorités mystérieuses et fantomatiques, comme un piano mécanique qui jouerait une berceuse décalée et sarcastique, lumineuse et profonde.

Voilà en bref tout ce qui attend les auditeurs de Grand Tour. Des musiciens variés avec des histoires variées se réunissent pour réaliser des pièces toutes aussi variées... Mais il reste des choses communes, comme l'importance du piano, la volonté d'explorer de nouveaux territoires sonores et de nouvelles formes d'écriture. Ces musiciens ont évolué différemment mais parallèlement comme je le disais plus haut. Il reste de nombreux intérêts partagés, des esthétiques parfois proches, des volontés et des approches similaires, et c'est tout ce que ce disque traduit. Grand Tour présente beaucoup de musiciens, des interprètes, des compositeurs, des occidentaux, des européens de l'est, qui ont longtemps été séparés par l'histoire, par la géographie, mais qui ont évolué sur des territoires communs. Grand Tour présente les différences et les similitudes entre ces musiciens, ce qui les sépare comme ce qui les réunit, c'est le résultat d'une réunion, après des années d'absence, d'une histoire musicale commune et lointaine. Hautement recommandé.


JOHN TILBURY / ZYGMUNT KRAUZE - Grand Tour (CD, Bôłt, 2016) : http://boltrecords.pl/5,polish-oldschool/105,tilbury_krauze_grand_tour,en.html


Mei Zhiyong - Live in Switzerland

Je me rappellerais certainement toujours le premier concert de Dave Phillips que j'ai vu, tout comme le premier disque que j'ai écouté de lui. Ca fait partie de ces expériences qu'on oublie difficilement, de ces émotions intenses qui nous suivent pendant un bon bout de temps. Mais je n'ose même pas imaginer l'intensité d'un concert de dp, si celui-ci est précédé d'une performance de Mei Zhiyong, ce jeune artiste chinois qui fait dans le harsh noise organique et explosif, au-delà des effets psychoacoustiques et cathartiques.

Ce Live in Switzerland documente deux concerts lors d'une tournée européenne en compagnie de dp. Deux concerts d'une intensité, d'une puissance et d'une énergie hors du commun. Mei Zhiyong fait du harsh noise, il ne cherche pas à faire quelque chose d'original, il fait ce qu'il sait faire, mais il tient - il semblerait - à le faire à la perfection. Il prend des micros, il gueule, il fait des larsens, il boucle sa console et ses pédales, il fait du bruit, du bruit qui crisse, toujours plus fort, toujours plus violent, toujours plus harsh et organique. Ca fait plusieurs années que je n'écoute plus trop de harsh, que je me lasse de cette intensité surfaite, et pourtant, ce disque me retient.

J'aurais du mal à dire ce qui distingue ces Live d'autres performances harsh, mais il faut bien dire que Mei Zhiyong tient quelque chose. Quand on écoute ce disque, on éprouve le même plaisir que l'on peut ressentir à l'écoute des premières expériences improvisées ou bruitistes/indus, que ce soient les premiers disques d'AMM, de Nurse With Wound ou de SPK, aussi bien que le dernier live de Coltrane. Mei Zhiyong explore effectivement des territoires bruitistes, extrêmes, mais avec fraîcheur. C'est orgiaque, organique et décomplexé, comme les musiques improvisées peuvent l'être, mais aussi intense, brutal, chaotique et radical comme le sont les meilleures expériences bruitistes, industrielles et noise.

Avec ses murs abrupts, ses découpages inattendus et ses excursions vocales, Mei Zhiyong nous livre ici une expérience extrême et fraîche de harsh aux couleurs nintendo : comme une partie d'Invaders vu à travers les yeux d'un autiste. Une orgie de larsens et de bruits, au service d'un corps qui hurle et invoque tout ce qu'on peut invoquer.


MEI ZHIYONG - Live in Switzerland (LP, aussenraum, 2016) : http://aussenraumrecords.com/


Sarah Hennies - Orienting Response (Cristian Alvear)

Orienting Response a de quoi étonner. Pour commencer, rien que l'objet, une cassette sans fin dans un boîtier en bois, laisse songeur. Mais Orienting Response, c'est aussi la première composition de Sarah Hennies que j'entends où cette dernière ne participe pas à la réalisation, et c'est la première pièce sans percussions, pour guitare seule. Habituellement, tout son travail d'écriture repose sur les dynamiques et les textures propres aux percussions, avant même de s'intéresser aux strutcures ou à d'autres éléments, et en tant que percussionniste, elle a toujours participé à la création de ses pièces (du moins celles que j'ai entendu pour le moment). Mais cette fois, il s'agit d'une pièce commandée par le guitariste chilien Cristián Alvear (dont on a déjà pu entendre quelques excellentes réalisations des plus grands membres de Wandelweiser : Pisaro, Beuger et Frey).

Orienting Response  est une pièce divisée en six parties de différentes longueurs où l'instrumentiste explore un mode de jeu de manière répétitive et minimale. Ca peut être une note attaquée fortement et dont la résonance remplit l'espace, un accord répété de manière rapide et augmenté de quelques notes qui viennent enrichir la matière harmonique, des plages très aérées, d'autres très envahissantes et fortes, etc. Au début, il y a une évolution, une continuité entre les parties, et au fur et à mesure de l'écoute, on perd le fil et la structure perd du sens. C'est quand cette structure perd du sens que Orienting Response gagne en intérêt. Quand il n'y a plus que le son, quand on n'entend plus qu'une exploration sonore minimale mais extrêmement riche.

Alors, on se rend compte que Sarah Hennies n'a pas seulement composé une pièce pour guitare, mais qu'elle a composé une pièce pour guitare qui explore les mêmes thèmes que ses pièces pour percussions. Elle explore également les attaques, le timbre propre au nylon des cordes quand elles sont pincées, les spectres harmoniques créés par les répétitions et les accidents, la manière dont les résonances remplissent et vident l'espace, similaire à la manière dont les répétitions remplissent et obscurcissent la mémoire. Le temps n'a plus vraiment court, et se trouve dilué comme l'espace dans cette pièce. On ne sait plus quand est-ce que ça a commencé, ni si ça peut se finir, on ne sait plus très bien d'où vient le son, s'il est fort ou si nous sommes plus près, s'il est faible ou si l'espace s'est agrandi.

La beauté de cette création est d'avoir su produire ces sortes de flous temporels, spatiaux, et sonores. Le temps, l'espace, ainsi que l'instrument sont comme effacés, dilués, et noyés dans la structure qui les porte, avec très peu de moyens. Il ne s'agit plus de jouer de la guitare, sur telle durée, de telle manière. Il s'agit de produire des séquences sonores uniques qui créent comme des bulles de son enrichies. Des sonorités éclatées, riches, denses, et profondes, à partir de moyens réduits, sont au service d'une structure simple et minimale qui éclate le temps et brouille les frontières spatiales à travers ces sonorités géniales.


SARAH HENNIES / CRISTIAN ALVEAR - Orienting Response (Cassette, Mappa, 2016) : https://mappa.bandcamp.com/album/sarah-hennies-orienting-response


Dominic Lash, Patrick Farmer, Tim Feeney - Performance

Souvent, en regardant simplement la liste des musiciens, des compositeurs, et le label, on peut se faire une idée assez précise de ce que l'on va entendre. Certains en jouent et c'est ce qui fait leur charme, d'autres essaient d'échapper à ces attentes et y arrivent, d'autres se noient dedans et deviennent lassant. Quand j'ai reçu ce disque, je me suis tout d'abord imaginé une improvisation électroacoustique minimaliste en voyant la réunion de Dominic Lash, Patrick Farmer et Tim Feeney, puis je me suis encore imaginé autre chose, quelque chose de plus radical ou de plus silencieux en voyant que les deux duo auxquels participe Dominic Lash sont en fait des compositions de Manfred Werder et James Saunders, mais jamais je n'aurais imaginé ce qui m'attendait en écoutant ce disque pour la première fois.

Performance débute avec une pièce monumentale et monolithique réalisée par Dominic Lash et Patrick Farmer. Il s'agit d'une composition de Manfred Werder, intitulée 2 ausführende seiten 419-424, et réalisée à l'aide d'un dispositif de téléphones mobiles et de sinusoïdes. Je considère ce compositeur comme un des plus extrêmes du collectif wandelweiser, un de ceux qui creuse le plus loin la sculpture du silence et les environnements sonores les plus quotidiens et monotones, souvent sur des durées très longues. Et je m'attendais donc à une de ces pièces radicales et très longues où l'on entendrait au maximum deux trois sinusoïdes et quelques bruits anodins. Pourtant, non. C'est radical, long et monotone, mais d'une toute autre manière. Lash et Farmer ont fait de cette pièce un mur de bruit blanc monolithique et immuable de 45 minutes, un mur pas énorme, mais constant et brutal, constamment percé par une sinusoïde aigüe et incessante. C'est dur au début, agressif et fort, jusqu'à ce que ce bruit fasse partie intégrante de notre environnement, et qu'on se laisse bercer par cette violence apocalyptique. Cette performance laisse un arrière goût de violence et de tourmente, mais aussi, paradoxalement, d'intimité et de douceur, on finit par se faire à cette agression comme aux environnements urbains les plus durs, on l'intègre et la digère pour finalement se noyer dedans et l'apprécier pour ce qu'elle est : une forme sonore riche, continue et constante, travaillée méticuleusement et précisément par un marteau sinusoïdale qui peint des couleurs et des formes mouvantes.

La suite du disque ne laissera personne sur sa faim et est tout aussi étonnante. Fini le "dispositif électronique", et retour aux instruments avec le duo Dominic Lash et Tim Feeney (du groupe Meridian), respectivement à la contrebasse et à la grosse caisse, pour la réalisation de deux compositions de James Saunders superposées : overlay 1 et 2. Chacune de ces pièces est basée sur des séquences continues et répétitives, très simples et semblables, sur un tempo fluctuant et flottant : une séquence d'un léger roulement, d'un glissando ou deux marqué par un court silence, etc. Mais encore une fois, ce n'est pas tant la composition qui m'intéresse ici que la réalisation extraordinaire. Lash et Feeney explorent les extrêmes de leurs instruments, et vont en chercher les textures les plus graves. Les cordes comme la peau de la grosse caisse semblent aussi laches et relachés que le tempo et le rythme de ces séquences. Le duo tourne autour de phrases abyssales, pachydermiques. Elles avancent lentement et surement avec une gravité hors du commun. La route tracée par Saunders est piétinée par le duo, piétinée par une masse sonore nouvelle, noyée dans un flot de textures inattendues et de mélodies primitives et archaïques. La lenteur, la continuité, les éclats de lumière dans l'obscurité moite, la détermination : tout nous ramène à un monde abyssal et nous fait penser à des profondeurs sonores rarement explorées, rarement entendues, et de fait : surprenantes. Mais au-delà de l'aspect frais de ces textures, c'est la beauté de ces phrases simples et répétitives qui nous aspirent dans cette pièce. En quelques notes, Lash et Farmer nous clouent à la platine avec leur obstination et leur précision. Les séquences se superposent à merveille pour former une masse vivante et organique, une masse magnifique qui avance avec majesté, fierté, et beauté. Recommandé.


DOMINIC LASH with PATRICK FARMER & TIM FEENEY - Performance (CD, Rhizome.s, 2016) : http://rhizome-s.blogspot.fr/2016/01/dominic-lash-with-patrick-farmer-and.html


Essential Listenings #50





Compositions de Cornelius Cardew, Terry Riley, Tomasz Sikorski, Christian Wolff, Zygmunt Krauze, réalisées par John Tilbury, Zygmunt Krauze, Szábolcs Esztényi, et Hubert Zemler aux piano et percussions.
bôłt

Axel Dörner (trompette), Pierre-Antoine Badaroux (saxophone), Joel Grip (contrebasse) et Antonin Gerbal (batterie) jouent Fats Navarro, Herbie Nichols, Bud Powell et autres standards bop version libérée.
umlaut

John Tilbury (clavicorde), John Lely (électronique) et Dirar Kalash (oud) : improvisations et compositions de John Lely ou Christian Wolff.
another timbre
youtube
youtube

Composition de Jean-Luc Guionnet réalisée par l'ensemble dedalus. Avec Cyprin Busolini, Deborah Walker, Vincent Bouchot, Eric Chalan, Christian Pruvost, Thieery Madiot, Didier Aschour. Enregistrement (par Jean-Luc Guionnet) de la création où les instrumentistes sont dispersés dans différentes pièces plus ou moins écartées du public.
potlatch
youtube

dust to digital
soundcloud
bandcamp 

John Tilbury : piano, Derek Bailey : guitare. Collaboration posthume entre deux légendes de la musique expérimentale britannique.
bôłt

Ryoko Akama, Ko Ishikawa, Bruno Duplant - 2 compositions

En 2013, Bruno Duplant m'avait demandé de participer au projet presque rien, un hommage au chef d'œuvre de Luc Ferrari qui réunissait plusieurs dizaines de musiciens. Parmi eux, on pouvait retrouver Ryoko Akama, qui allait par la suite continuer à collaborer avec Duplant à plusieurs reprises, en duo ou avec d'autres musiciens, sur plusieurs CD et cassettes. Trois ans plus tard, en compagnie de Ko Ishikawa, Bruno Duplant et Ryoko Akama signent certainement une de leurs collaborations les plus abouties en réalisant 2 compositions.

Les deux partitions de Ryoko Akama, réalisées spécialement pour ce trio, sont principalement basées sur des textes et des graphismes. Elles s'intéressent aux structures ouvertes, à l'espace qui sépare chacun des musiciens, et à toutes les possibilités offertes par l'indétermination propre aux compositions minimalistes, des possibilités décuplées par la séparation entre ces musiciens qui ne se sont pas enregistrés ensemble. L'instrumentation est également prise en compte dans ces pièces qui mélangent habilement les variations microtonales du sho, la profondeur de la contrebasse et la délicatesse des sinusoïdes.

Dans le fond, ces 2 compositions ressemblent à beaucoup de publications actuelles, fortement influencées par wandelweiser, le mouvement onkyo et le réductionnisme. Il s'agit uniquement de longues notes tenues, jouées plutôt à tour de rôle sur la première pièce, ou à deux, et simultanément sur la seconde, et bien sûr :  séparées par des silences. On pourrait s'attendre à quelque chose de monotone et redouter une impression de déjà entendu. Mais non. Enfin, ça ressemble effectivement à de nombreux disques récents, mais ce trio possède une élégance qui lui est propre et il se démarque par une touche délicate et flottante.

Ces deux improvisations structurées, ou compositions ouvertes, sont réalisées de manière sensible et poétique, jouant sur des intervales harmoniques et des phrasés doux. Elles jouent comme des berceuses, des invitations à une flânerie poétique, ou une traversée onirique d'un espace sonore imaginaire et accueillant. Le timbre de la contrebasse est dur et caverneux, mais aussi doux et calme, celui du sho lumineux et ouvert, mais aussi strident à certains moments, les sinsusoïdes sont discrètes et élégantes, et le tout forme deux pièces qui avancent dans des territoires inattendus et mouvant. Ce sont deux pièces progressives et continues qui explorent des espaces variés et riches, avec simplicité, élégance, douceur et calme.


RYOKO AKAMA, KO ISHIKAWA, BRUNO DUPLANT - 2 compositions (CD, Meenna, 2016) : http://www.ftarri.com/meenna/990/index.html


Essential Listenings #49

Pour accordéon et cymbale.
rhizome.s
bandcamp

Deux pièces : une de Manfred Werder (wandelweiser) version HNW par Dominic Lash et Patrick Farmer (téléphones portables et sinusoïde), et une de James Saunders version instrumentale et pachydermique, par Dominic Lash (contrebasse) et Tim Feeney (tom basse).
rhizome.s
bandcamp

dancing wayang
soundcloud

Rodrigo Amado : saxophone ténor / Miguel Mira : violoncelle / Gabriel Ferrandini : batterie
not two
bandcamp

Marc Baron - Un salon au fond du lac

Un salon au fond du lac est le titre du dernier solo de Marc Baron, après Hidden Tapes et Carnets, parus sur Potlatch et Glistening Examples. Le titre est évocateur et annonce assez bien la couleur de ce qui attend les auditeurs : au-delà des citations poétiques, c'est un voyage intime et sonore dans des contrées inconnues et immersives, surprenantes et inattendues.



Bizarrement, si Marc Baron était toujours saxophoniste, on ne dirait pas à chaque sortie qu'il utilise encore  son saxophone alto, et pourtant, maintenant qu'il fait de la musique électroacoustique, j'ai du mal à commencer à écrire sans évoquer le fait qu'il utilise toujours un dispositif analogique basé principalement sur des bandes magnétiques. Bien sûr, n'importe quel instrumentiste ou compositeur ne pourrait pas faire la musique qu'il fait en utilisant un autre instrument, ou un autre outil, mais ça paraît encore plus vrai dans le cadre de la musique de Marc Baron, qui est en grande partie construite sur la condition physique des matériaux (bandes) utilisés.

Les structures et les compositions présentées sur ce nouveau solo sont fondées sur le collage, le cut-up, et il y a certainement des liens à faire avec les poètes surréalistes, avec Rimbaud ou les dadaïstes, mais ce ne sont  pas tellement ces méthodes qui font le véritable intérêt des compositions électroacoustiques de Marc Baron. Le plus intéressant réside dans le contenu plus que dans la forme, dans la manière d'explorer plus que dans la manière d'agencer ces explorations.

Dans ces trois pièces de 2014, des field-recordings ordinaires et naturalistes se mêlent à des sons synthétisés, des bandes musicales décomposées s'assemblent à des bruits bruts. L'intérêt de tout ça : créer une zone d'indétermination où le bruit n'est pas plus musical que la musique n'est abstraite. Marc Baron nous invite à traverser un monde sonore unique et inédit fait de dégradation, de décomposition, de synthèses sonores floues, de musicalité concrète et d'enregistrements abstraits. Chaque vignette sonore possède son langage, ses émotions, son ambiance et son univers ; chaque vignette, qu'elle soit contrastée, floue, claire, sombre, granuleuse, courte, longue, concrète, musicale, réelle, ou imaginaire, évoque quelque chose d'unique, quelque chose qui nous fait avancer toujours plus dans des territoires sonores inédits.

La construction est parfois continue, parfois découpée brutalement, le contenu peut être très réaliste ou complètement abstrait. On ne sait jamais où on va arriver, si nous aurons des repères ou si Marc Baron va une fois de plus nous inviter à visiter des contrées obscures et inconnues.  Et la magie de ces pièces ne réside pas cette construction, mais dans cette incertitude. Le voyage dans le salon ou dans le fond du lac n'est pas seulement beau de par sa construction ingénieuse, fluide et précise, il est magnifique de par son incertitude et son talent à créer des espaces sonores ambivalents.


MARC BARON - Un salon au fond du lac (CD, Potlatch, 2016) : http://www.potlatch.fr/records/316/main.html


Essential Listenings #48

bandcamp

Cassettes lo-fi, électroacoustique, field-recordings et journal sonore. Premier album de Guido Gamboa.
penultimate press
bandcamp

Cassette sans fin d'une composition de Sarah Hennies pour le guitariste Cristian Alvear. Minimaliste et répétitif.
bandcamp

Un LP de harsh noise brutal et organique, psychoacoustique et chaotique, par Mei Zhiyong.
aussenraum

bandcamp

still*sleep
soundcloud

Ryoko Akama : composition, électronique / Ko Ishikawa : sho / Bruno Duplant : contrebasse, électronique
meenna

MMMD - Pèkisyon Funebri

MMMD, c'est le nouveau nom du fameux trio Mohammad. Car vous l'aurez peut-être déjà vu ou entendu, mais depuis plusieurs mois, le trio n'est composé plus que de Nikos Veliotis et d'Ilios, d'où le discret changement de nom... Ceci-dit, le départ du contrebassiste Coti K et le changement de nom n'ont pas tellement affecté la musique de Mohammad, on reconnait toujours les mélodies post-doom, l'ambiance lourde et sombre caractéristique de cette formation grecque, il manque seulement quelques basses dorénavant.

MMMD revient un peu aux bases avec Pèkisyon Funebri. Un retour à une sorte de musique de chambre ambiance dark doom, agrémenté cette fois de voix fantomatiques. Lenteur, langueur, et obscurité. Mais il y a quelque chose de plus lumineux, dans les attaques franches du violoncelle, dans les mélodies sinusoïdales proches de lignes de Thérémine. Plus lumineux et plus naïf, certes, mais toujours sombre. MMMD explore toujours des mélodies graves et lentes, des mélodies répétitives et continues qui feraient la parfaite BO d'austères films nihilistes à la Béla Tarr (une affiliation que le duo ne semble pas renier).

Car MMMD semble être le point de jonction entre Béla Tarr et Sunn O))). Un orchestre de chambre qui n'en est plus vraiment un explore la lenteur et les basses, de manière mélodique, mais le genre de mélodie sans fin et sans espoir, le genre de mélodie poignante qui plonge dans le désespoir et l'angoisse. Les frottements de fréquences extrêmes aux limites de l'audible sont moins présents, et c'est surtout l'aspect majestueux et orchestral de Mohammad qui est mis en avant sur ces huit pièces.

Un orchestre ténébreux et nihiliste, l'orchestre de deux survivants qui n'ont pas fini de chanter la fin de la lumière, la fin de la musique, et la renaissance d'une masse sonore vibrante et poignante, solennelle et parfois kitsch, monolithique et médiévale.


MMMD - Pèkisyon Funebri (Antifrost, coffret vinyle 3x25 cm, 2016) : http://www.antifrost.gr/afro20713.html


Beat Keller, Tom Johnson, Joseph Kudirka - string trios

Beat Keller, Tom Johnson et Joseph Kudirka, trois compositeurs de deux générations différentes et de deux continents sont réunis autour d'un thème commun : des partitions pour trio à cordes, réalisées ici par le Haiku String Trio, soit Julia Schwob au violon, David Schnee à l'alto, et Nicola Romano au violoncelle.


L'ensemble des pièces présentées ici est teinté de minimalisme, de réduction des moyens, de répétitions et de pauses, mais pas uniquement. Toutes ces pièces sont aussi teintées d'une sorte de romantisme post-moderne. Les mélodies sont lourdes, graves, lentes et sombres, comme dans un film de Bela Tarr. Le Haiku String Trio a choisi un ensemble de compositions qui jouent avec des thèmes sans développement ou des mélodies dissonantes. Mais il ya toujours une recherche sur la musicalité, la tonalité ou l'harmonie. Il ne s'agit pas uniquement, loin de là, de répétitions ou de silences, tout se fait plutôt dans la douceur, dans le calme et la continuité. L'aspect romantique tient aux couleurs portées par ces compositions : elles peignent souvent des tableaux chargés et sombres, menaçants et émotifs.

Elèves de Pisaro ou de Morton Feldman entre autres, ces trois compositeurs seront facilement qualifiés de minimaliste. Bien sûr, il y a une recherche de nouvelles formes simples et claires, une réduction et une simplification de la structure ou de l'harmonie qui sont fortement présentes. Mais ce n'est pas forcément le plus important, même si ces choix contribuent au fort sentiment d'originalité et d'assister à quelque chose d'unique lors de l'écoute de ce disque. Pourtant, le plus marquant dans ce disque reste pour moi la beauté simple de toutes ces phrases, une beauté qu'on retrouve dans la mélancolie du String Trio de Kudirka, la poésie langoureuse des extraits de Networks de Johnson, la puissance organique et écrasante des String Trios de Beat Keller. Toutes ces pièces se suivent et s'emmêlent parfaitement dans une poésie romantique où la nature et les émotions prennent le dessus, où le son devient l'expression pure de sentiments exacerbés, des sentiments qui nous inondent et nous bercent. Recommandé.


BEAT KELLER, TOM JOHNSON, JOSEPH KUDIRKA - string trios (CD, wandelweiser, 2016) : http://www.wandelweiser.de/_e-w-records/_ewr-catalogue/ewr1605.html








Essential Listenings #46

Trois compositions d'Eric La Casa commandées à l'occasion de différentes créations (filmiques et théâtrale). Avec la participation de Jean-Luc Guionnet.
herbal international
bandcamp

Installation électroacoustique pour 8 canaux de diffusion et deux trompettes, composée et réalisée par Nate Wooley en duo avec Peter Evans.
mnoad
youtube (extrait)
youtube (concert)

the earth and the sky, triple CD réunissant 11 compositions pour piano de Pisaro, réalisées par Reinier van Houdt.
erstwhile

Cassette épuisée de France Sauvage, parue en 2011 chez tanzprocesz.
free music archive

Great Waitress - Hue

Great Waitress, voilà un excellent trio qu'on aimerait entendre plus, mais qui publie "seulement" un disque tous les deux ou trois ans, et qu'on voit rarement en programmation par ici. Pour les concerts, ça se comprend, Magda Mayas vit en Allemagne, tandis que Monika Brooks et Laura Altman résident en Australie, donc niveau logistique et défraiement, ce n'est pas simple. Mais quand même, je suis sûr qu'en cherchant bien, elles possèdent assez d'enregistrements pour mulitplier les disques, et on serait ravis d'en entendre plus. Ceci-dit, c'est peut-être cette rareté qui fait le charme de chacun de ces disques aussi, et c'est peut-être le choix de ce trio de ne pas être omniprésent, pour que chaque instant conserve sa magie.
Tout ça pour dire que l'arrivée de Hue, leur troisième disque (en LP cette fois), a été accueilli avec enthousiasme ici. La formule n'a pas vraiment changé depuis leur premier disque en 2011, mais le charme opère toujours. Un accordéon, une clarinette et un piano, quelques techniques étendues, des textures abstraites, de l'improvisation réductionniste. Ca ne donne pas forcément envie dit comme ça, parce qu'on en a entendu beaucoup, voire trop du réductionnisme, ces dernières années. Mais avec Great Waitress, il y a un quelque chose en plus.

Leur univers sonore est bien particulier, il a quelque chose d'absorbant, de magique, les sons nous enveloppent comme un drone réussi. Il y a des longues notes, des extrêmes, des frottements et tout ce qu'on peut trouver dans l'improvisation réductionniste de ces dernières années, avec en prime une sorte de mélodie abstraite qui relie chaque musicienne. Une mélodie holistique où chaque individualité a sa place et est nécessaire à la création sonore. Il ne s'agit pas de s'imiter les unes les autres, ni de se démarquer, mais de créer un univers sonore et musical ensemble, en accordant autant d'importance à chaque musicienne, quelque soit sa place, son instrument ou sa personnalité.

Et Great Waitress compose ainsi un monde sonore à la fois poétique et liquide, onirique et lisse, étrange et doux. Un univers qui nous attire puis nous englobe, qui stimule et rafraichit.


GREAT WAITRESS - Hue (Another Dark Age, LP, 2016) : http://anotherdarkage.bigcartel.com/product/great-waitress-hue-pre-order


Essential Listenings #45

Carlos Zingaro : violon
cipsela
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José Miguel Pereira : contrebasse ; João Camões - alto, mey et percussions ; Burton Greene : piano et percussion ; Marcelo dos Reis : guitare et voix
cipsela
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Daniel Levin : violoncelle ; Rob Brown : saxophone alto
cipsela
bandcamp

Angélica V. Salvi : harpe ; Marcelo dos Reis : guitare et voix
cipsela
bandcamp


Joe McPhee : saxophone alto
cipsela
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Joëlle Léandre : contrebasse ; Théo Ceccaldi : violon
cipsela
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Dernier solo de Marc Baron. Composition électroacoustique de 2014.
potlatch
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Magda Mayas : piano ; Monika Brooks : accordéon ; Laura Altman : clarinette
another dark age
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Jérémie Ternoy : Fender Rhodes ; Ivann Cruz : guitare ; Peter Orins : batterie ; Christian Pruvost : trompette ; Sakina Abdou : saxophones ; Jean-Baptiste Rubin : saxophones ; Maxime Morel : tuba, trombone
circum disc
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Essential Listenings #44

Deux pièces de notes soutenues juxtaposées, un drone pour cithare et l'autre pour orgue, par Tasos Stamou.
moving furniture
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Réalisation radicale de trois pièces de Manfred Werder par Erik Carlson, Stephanie Richards, et Edward Davis. Triple CD avec beaucoup, beaucoup de silences.
wandelweiser

Enregistrements de terrain de Martin Kay sur un stade de cricket à Melbourne. Pas de transformations, enregistrements bruts et atypiques comme sur son précédent disque enregistré dans des cours d'immeubles parisiens.
avant whatever
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Grand ensemble d'improvisation électroacoustique par une nouvelle génération de musiciens mexicains. Field-recordings, instruments, silences, drone, sinusoïdes, objets et larsens répartis pour quatorze improvisateurs.
caduc
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bandcamp
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Nouveau solo de Thomas Tilly issu d'une installation de 2007. Plus d'électricité, moins d'insectes.
drone sweet drone
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Valerio Tricoli - Clonic Earth

Si à partir de sa collaboration avec Thomas Ankersmit en 2011, le nombre de publications de Valerio Tricoli a considérablement augmenté, il n'est tout de même pas de ceux qui sortent des disques trois fois par an (hormis cette année peut-être...). Mais, après deux publications sur Pan (en solo et avec Ankersmit), ce musicien a fini par se faire largement remarquer et est considéré comme une des grandes figures de la musique électroacoustique italienne, et européenne. Clonic Earth, son nouveau solo, ne passera certainement pas inaperçu maintenant.

Et tant mieux, car franchement, Valerio Tricoli fait partie de ces artistes que l'on doit avoir écouté. Il n'est pas question d'aimer ou non, mais je pense que ça vaut le coup de s'arrêter sur son travail, de prendre le temps de s'y plonger au moins une fois dans sa vie, car il fait partie de ceux qui renouvellent la musique électroacoustique. Et je pense spécialement à ceux qui pourraient imaginer la musique électroacoustique comme un montage hystérique de bruits de train entrecoupés de ressacs avec des interludes de bandes accélérés.

Clonic Earth n'a rien à voir avec tout ça. Même si Tricoli utilise des bandes à l'occasion, qu'il les triture aussi parfois, il ne se fait pas le porte parole du monde sonore. Il est uniquement le porte parole de sa propre imagination, le porte parole de son monde sonore. La parole a toute son importance dans ce disque d'ailleurs. Le monde de Tricoli est un monde où la parole est omniprésente. De nombreuses voix parcourent chaque pièce pour raconter ce monde, pas tellement avec des mots, mais seulement avec des intentions, des intonations. Les voix de Clonic Earth sont des voix ralenties, des spectres de voix, des discours fantomatiques qui hantent cet univers ténébreux et chaotique. La parole donne l'impression de raconter quelque chose, d'être narrative, comme la forme de ces pièces, mais elle est surtout utilisée pour son aspect psychologique, pour donner du caractère à chaque pièce et la faire avancer vers un territoire psychologique nouveau, plus que pour prononcer une narration logique.

La psychologie a aussi son importance ici. Si la qualification de psychoacoustique n'était pas tant connotée, on l'accolerait facilement à Clonic Earth. Tricoli ne joue pas sur des volumes forts, ni sur des fréquences extrêmes, il ne s'agit pas de faire mal, non, mais de faire peur, d'immerger. Les sons de synthèses, les progressions lentes et les voix transformées nous invitent à une plongée dans un univers sombre, infernal et chaotique. Il y a quelque chose de sombre, mais pas non plus de cauchemardesque. Parce que Tricoli sait apporter la lumière nécessaire au bon moment. Il nous plonge dans un univers effrayant mais sait rassurer quand il faut pour ne pas plonger l'auditeur dans l'angoisse. Ce n'est plus vraiment un plongeon dans les flammes de l'enfer, mais plutôt un survol, ou une traversée, guidée avec bienfaisance et virtuosité.

Quant au travail sur le son lui-même, Tricoli fait juste preuve d'une originalité rare. Les textures, les grains et les structures utilisées ne renvoient à rien d'autre qu'à l'imagination de Tricoli. On est loin des cuts survoltés, des fréquences stridentes et des filtrages classiques. Tricoli construit un univers sonore unique fait de synthèses étranges et décalées, de voix fantomatiques, le tout dans une structure qui ne laisse rien présager. Il construit un univers qui paraît limpide mais qui cache toujours quelque chose. Il utilise des sons simples mais aux connotations complexes, ce qui permet de construire un univers clair et riche. Un univers étonnant, puissant, et riche.


VALERIO TRICOLI - Clonic Earth (2LP, Pan, 2016) : http://p-a-n.org/release/pan-71-valerio-tricoli-clonic-earth/


Essential Listenings #43


Composition de Taku Sugimoto réalisée par Ryoko Akama (électronique, piano), Cristian Alvear (guitare), Cyril Bondi (harmonium, percussions), et d'incise (métaux, électronique). Publié par Caduc, déjà épuisé à la source.
caduc
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Premier solo de Sergio Merce qui présentait son saxophone modifié "microtonal" pour la première fois. Publié en 2014 sur potlatch.
potlatch

Haiku String Trio réalise plusieurs compositions pour instruments à cordes de Beat Keller, Tom Johnson et Joseph Kurdika. Avec Julia Schwob (violon), Davis Schnee (alto), Nicola Romano (violoncelle).
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Dernier album du légendaire groupe post-hardcore Neurosis. Parution en CD, double LP, cassette et digital chez Neurot, et produit par Steve Albini.
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Nouveau coffret de Mohammad (MMMD) édité en coffret de trois EP. Des mélodies lentes, sombres et ... basses. Epique.
antifrost
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Double LP d'un maître de la musique électroacoustique européenne. Surprenant.
pan
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Taku Unami et Eric La Casa pour une des plus intriguantes collaborations publiées chez erstwhile.
erstwhile
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Longue improvisation (ou pas) réductionniste et minimale, proche du drone, par Nikos Veliotis (de Mohammad) au violoncelle, Rhodri Davies à la harpe électrique et Angharad Davies au violon. Publié en 2010 par absurd et Organized Music from Thessaloniki.
organized music from thessaloniki
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