Jacques Puech / Yann Gourdon / Basile Brémaud

TRIO PUECH GOURDON BREMAUD - sans titre (La Novia, 2012)
J'ai découvert Yann Gourdon en solo et au sein du trio France en 2009 à bitche (Nantes). Ce concert a vraiment été marquant, surtout France, car j'avais l'impression d'écouter une version rock et transe de Phill Niblock. Un son massif, un bourdon lancinant, une rythmique hypnothique : c'était vraiment jouissif. Après, j'ai beaucoup aimé la plupart des projets de Yann Gourdon, que ce soit en solo, en compagnie du vielliste Yvan Etienne (Verdouble), ou même en duo avec Antez. Enormément de projets que j'aime beaucoup, des choix esthétiques qui me plaisent vraiment, mais finalement peu de disques auxquels j'accroche - notamment à cause de la qualité douteuse du son (je parle des enregistrements de France en tout cas).

En tout cas, avec le premier disque solo de Yann Gourdon qui vient de paraître, le trio Puech Gourdon Brémaud fait partie de ces enregistrements qui valent largement le coup d'oreille. On retrouve ici Jacques Puech à la cabrette (cornemuse auvergnate), Yann Gourdon à la vielle à roue et Basile Brémaud au violon. Beaucoup d'instruments traditionnels auvergnats, oui, mais également beaucoup d'airs auvergnats. Je ne suis pas spécialiste de la musique traditionnelle populaire, mais le trio semble se baser sur des bourrées auvergnates. Des bourrées dont le thème est donné au début de chacun des trois morceaux ainsi qu'à la fin, mais dont le plus intéressant réside dans le traitement qui en est fait. Car au milieu, le trio développe le thème d'une manière très particulière et puissante. Un développement qui ressemble à une sorte d'improvisation sans en être une, un développement qui est comme une distorsion acoustique du thème. Puech, Gourdon et Brémaud s'intéressent plus au bourdon présent dans la musique traditionnelle, ou à une particularité rythmique, plus qu'au folklore auvergnat ou à l'aspect sautillant et dansant de ce répertoire. Le trio s'empare d'un élément du thème, une fraction de thème, l'étire, le distors, et le triture. Et il en ressort une musique très lancinante, hypnothique, belle, massive. Puech, Gourdon et Brémaud improvisent sur un thème, mais moins pour le développer que pour le réduire à ce qui les intéressent.

Des improvisations qui développent principalement les aspects continus, linéaires, dissonants et hypnothiques de la bourrée (ou de la musique auvergnate - je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de bourrées réellement). Le trio développe une sorte de folklore imaginaire teinté de réel, une sorte de musique étrange qui se situe à la croisée des musiques rituelles de transe de possession, des musiques médiévales du Massif Central, et des drones imposants de Phill Niblock. Conseillé.

Jennifer Veillerobe - Luftlöcher [LP]

JENNIFER VEILLEROBE - Luftlöcher (Senufo, 2013)
Première rencontre avec Jennifer Veillerobe, artiste qui a déjà publié un CD sur le label de Ielasi et qui a collaboré plusieurs fois avec ce dernier. Pour Luftlöcher, vinyle 45 tours publié sur senufo, cette musicienne propose plusieurs courtes pièces d'expérimentations et d'explorations sonores très concrètes et radicales.

En effet, pour ce vinyle, Jennifer Veillerobe a enregistré plusieurs liquides mousseux à travers des trous percés dans des bouteilles en plastiques. Les enregistrements sont laissés tels quels, sans traitements. Une démarche brute pour un résultat très fin et captivant. La palette de sons développée par Jennifer Veillerobe est en effet très large, elle va du son suraïgu proche d'une fréquence sinusoïdale à des bourdonnements nasillards genre moustique torturé. Chaque pièce est une suprise, chaque son est captivant. On se demande toujours comment il peut être produit, comment il a été enregistré, etc. Veillerobe sait captiver l'auditeur grâce à son originalité certes, mais aussi grâce à la musicalité de chacun de ses enregistrements. Il y a souvent comme une pulsation incertaine, et parfois même comme une harmonie fantôme dans les sons produits et utilisés ici. La démarche et le mode de production des sons peuvent paraître très pratiques et expérimentaux, ça peut ressembler à du bricolage gratuit, et pourtant, non. Veillerobe possède également un un sens de la composition et sait apparemment gérer le son de manière musicale, elle parvient à véritablement composer avec ses inventions sonores et ludiques, et ça vaut le coup d'oreille.

Luftlöcher s'apparente à une sorte de défrichage d'un terrain inconnu et très concret, mais se révèle surtout être une suite de courtes vignettes sonores pleines de suprises, au niveau des textures bien sûr, mais également au niveau des formes variées. Du beau bricolage.

Giuseppe Ielasi - Rhetorical Islands

GIUSEPPE IELASI - Rhetorical Islands (Senufo, 2013)
Je ne connais pas très bien Giuseppe Ielasi, et j'ai l'impression qu'il oscille facilement entre des productions radicales de recherche sonore complètement abstraite et des disques plus faciles d'accès, genre ambient electronica ou electronica indus, mais dans chaque cas, la musique proposée est toujours unique et très originale. 

Sur Rhetorical Islands, on se situe un peu dans l'entre-deux. Ielasi utilise des field-recordings, des moteurs, peut-être un peu de synthé analogique aussi. Et au fil des pièces, on passe facilement de l'un à l'autre de ses champs d'expérimentations. Plusieurs pièces par exemple semblent être constituées par des enregistrements de grosses machines à air comprimé, genre presse industrielle, et n'est pas sans rappeler le dernier vinyle des field-recordings indus de Pali Meursault. Parfois, il s'agit de recherche sonore pure, sans référent, avec un ou deux sons très simples, comme on en entend rarement, mais qui trouvent leurs racines dans un imaginaire unique. Ceci-dit, la plupart du temps, les recherches sont pulsées, Ielasi n'est jamais très loin des beats, mais des beats concrets, sans référents musicaux, des beats qui ne se soutiennent qu'eux-mêmes, une pulsation qui n'est là que pour se mettre en avant, pour explorer l'attaque, le decay, et la répétition. Il y a beaucoup de sonorités proches de l'indus, mais c'est moins abrasif, plus lisse façon electronica. On est encore une fois un peu entre les deux. Et c'est aussi ce qui fait toute l'originalité de Ielasi : faire de la musique dure avec des textures plutôt lisses, ou faire de la musique douce avec des pulsations et des couleurs assez corrosives. 

Rhetorical Islands fait suite à une commande de Jérôme Noetinger pour un festival principalement axé sur la musique électroacoustique qui se déroulait en 2011. Et le résultat est une suite assez courte (à peine trente minutes) de 10 miniatures d'enregistrements industriels filtrés, équalisés, coupés et assemblés de manière à former de vrais "morceaux", au sens pop du terme. Ielasi propose une version populaire de la musique électroacoustique, tout en travaillant le son et l'expérimentation de manière aussi sérieuse que n'importe qui - voire plus. C'est plus accessible certes, mais tout aussi fin et unique que n'importe quelle expérimentation abstraite. Vivement conseillé. 

Michael Pisaro & Miguel Prado - White Metal [LP]

PISARO/PRADO - White Metal (Senufo, 2014)
C'est la deuxième fois que Pisaro est publié en vinyle, après le surprenant Tombstones, recueil de chansons réalisées entre autres par Julia Holter. Pour White Metal, publié sur le label de Giuseppe Ielasi, Michael Pisaro propose la réalisation du deuxième volume de la collection Grey Serie (série de partitions consacrées au bruit blanc), en compagnie du guitariste Miguel Prado. Je ne suis pas sûr que le format vinyle apporte quelque chose de plus au niveau du son, mais en tout cas, c'est une excellente iniative que d'avoir recopié toute la partition sur la couverture (à noter, d'ailleurs, que les partitions de Tombstones étaient également incluses dans le disque). A l'intérieur du disque, on peut également trouver quelques notes utiles de Prado qui explique l'origine du titre, un mot-valise pour dire white noise et black metal, la structure calquée sur la 40e symphonie de Mozart et les nombreux liens entre ce disque et Deleuze.

Le disque est composé en quatre parties qui durent chacune entre quatre et treize minutes, et séparées par des silences numériques de quelques minutes. A l'intérieur de chaque partie, on peut trouver des formes thème et variations, des coda, etc. mais c'est assez difficile de les distinguer nettement même si on a tendance à les ressentir - car il ne s'agit presque que de bruit blanc. Contrairement à la plupart des compositions de Pisaro, il n'y a pas de sine waves, ni de guitare, mais beaucoup de bruit digital et de field-recordings (provenant de Big Sur, Californie, près d'où habite Pisaro et spot favori de Deleuze...). Pisaro et Prado réalisent donc une partition consacrée au bruit blanc qui comporte de très nombreuses variations : notamment sur la couleur du bruit qui peut changer en fonction de la fréquence qui ressort le plus et du filtrage des fréquences, ainsi que sur les volumes qui vont de pianissimo à fortissimo, etc. Les deux musiciens incluent également de nombreux enregistrements marins, mais également d'avions (voire de fusée?), de vents, d'oiseaux, etc. C'est dire la diversité présente, le bruit blanc est présenté ici sous toutes ses formes : naturelles, artificielles, travaillées, non-éditées - pour servir de matériau de base à une composition très riche.

Toute la finesse de Pisaro consiste à ne pas considérer le bruit blanc comme du bruit, mais comme un matériau intégralement musical. Pisaro et Prado utilisent ici le bruit pour sa chaleur, pour son mouvement, pour sa constance, pour sa texture, pour sa densité, et pour d'autres caractéristiques qu'ils travaillent au gré de la composition. Le travail de composition est ici très narratif et nous amène constamment d'un paysage sonore à un autre de manière progressive. Un musicien amène une fréquence, l'autre ne bouge pas, puis amène une autre fréquence, avec toujours un fond nuageux et brouillé de neige sonore. Ou alors les deux musiciens augmentent progressivement et sans accroc le volume ou la densité du bruit exploré. Bref, autant de possibilité qu'avec un orchestre finalement, et Pisaro semble bien considérer le bruit comme tel. Il s'agit d'une masse sonore inerte et apathique dès lors qu'on n'y touche pas, mais qu'on peut sculpter de telle manière qu'il devienne beau, voire magnifique. A partir de bruit, Pisaro est parvenu justement à sculpter cette matière qui peut paraître morte ou inerte pour en faire quelque de très vivant, comme un océan, de clair dans la forme et de très riche dans le contenu.

Il est parvenu à composer encore une fois quelque chose de tout simplement magnifique. Hautement recommandé.

Giuseppe Ielasi

Giuseppe Ielasi est pas mal connu pour ses innombrables masterings de musique électronique sur tous types de format. Mais il est également reconnu comme un guitariste et musicien électronique accompli depuis maintenant une quinzaine d'années. L'année dernière, cet artiste milanais a inauguré une série de cd-r autoproduits très courts sur lesquels il présente différentes facettes de son travail en solo. Vous trouverez ici les chroniques des deux premiers volumes.

GIUSEPPE IELASI - (or a set of models) (2013)
Pour (or a set of models), Ielasi propose une courte suite d'une vingtaine de minutes composée de douze vignettes sonores qui durent entre trente secondes et 4 minutes 30. Réalisées en une journée, ces miniatures présentent chacune un objet/ustensile usuel et quotidien capté par un microphone et travaillé en direct sur un Revox. On est loin de la musique concrète, et la musique de Ielasi n'a rien d'asbtraite non plus. Ces vignettes forment des paysages sonores très musicaux en fait, des paysages soit rythmiques, soit à moitié harmoniques ou mélodiques. Ielasi ne se contente pas de révéler certaines caractéristiques sonores d'objets non-musicaux, il va beaucoup plus loin et travaille des sons non-musicaux de manière à révéler une musicalité propre à ces sons et ces objets. A partir d'une abstraction et grâce au Revox, Ielasi compose douze belles pièces abstraites d'une certaine manière, mais qui font toute preuve d'une grande musicalité dans le contenu. Très beau travail, intriguant, ingénieux, bricoleur et envoutant, qui démontre encore une fois la maîtrise totale du son de Ielasi.

GIUSEPPE IELASI - untitled (DC motor) (2013)
Quant à la première publication de cette série, elle pourrait être présentée par un simple question : vous êtes-vous déjà imaginé le son que rendrait un moteur s'il était contrôlé par un LFO défaillant ? J'imagine que non, et moi non plus, mais en tout cas, c'est la question que s'est posé Ielasi et à laquelle il a répondu pour nous. Le LFO (oscillateur de basse fréquence) est le signal de base des synthétiseurs analogiques, mais ici, le signal électrique est envoyé dans une machine à courant continu et est transofrmé en énergie motrice. Le résultat ressemble à un moteur chaotique et plein de variation, avec des bruits proches de la céramique parfois, proches de la pierre et d'autres minéraux, mais aussi de plastiques entrechoqués à intervales irréguliers. Il n'y a qu'une pièce de vingt minutes, avec deux éditions différentes du même enregistrement sur chaque enceinte. Cette fois, il ne s'agit pas tant de musicalité que de recherche beaucoup plus pragmatique et expérimentale. Il y a un aspect vraiment pratique et bricoleur fou dans cette pièce qui ressemble plus à une installation sonore qu'à une composition. Tout l'intérêt réside dans l'exploitation des défaillances électriques chaotiques et dans la transformation du signal (de l'électricité simple à l'énergie motrice, mais également dans l'édition des deux canaux de diffusion). Une pièce dure et austère, mais encore plus intriguante et pragmatique.

Aspec(t) - Waspnest [LP]

ASPEC(T) - Waspnest (Toxo/Viande/Fratto9, 2010)
Aspec(t) est un duo italien composé de l'excellent musicien SEC_ (au synthétiseur analogique, ordinateur, bandes & radio ici) et de Mario Gabola (saxophone et percussions acoustiques ou en feedback). Le duo propose onze courtes pièces d'improvisation électroacoustique très noisy et bien puissantes. Des cris travaillés sur bande, des nappes granulaires analogiques et numériques, un saxophone et des percussions bruitistes qui génèrent du son abstrait ou des larsens surpuissants. On ne sait jamais trop qui fait quoi, les sons se mélangent pour former un magma sonore très dense mais très clair en même temps. La musique d'Aspec(t) est intense, puissante, et en mouvement constant, un mouvement plein d'inventivité. Car oui, le duo ne cesse de passer d'un son à l'autre, de fracasser les lignes suivies, de créer des ruptures avec des textures jamais attendues mais toujours bienvenues.

SEC_ est déjà réputé pour savoir manier avec une justesse sidérante l'équilibre entre l'analogique et le numérique, entre les manipulations magnétiques et les éditions informatiques, mais ici, en plus, les éléments instrumentaux de Gabola s'intègrent avec la même magie que sur les travaux en solo de SEC_. Ordinateur, bandes et instruments sont sur le même pied d'égalité, ils sont des sources possibles de bruit, d'un bruit qu'Aspec(t) maîtrise parfaitement. Le duo joue sur tous les paramètres et les deux musiciens s'entendent toujours très bien dans cette gestion de l'intensité, de la densité, de la puissance, du volume, de la couleur, etc.

Un pur moment de noise puissant, spontané et très structuré, clair dans la forme et sombre dans le contenu avec des notes toujours proches de l'indus et du power electronic. Du noise improvisé abrasif et corrosif pour sûr, mais également aussi puissant que créatif. Recommandé (s'il reste des exemplaires quatre ans après la sortie de ce vinyle...).

1000füssler

GUNNAR LETTOW/GREGORY BÜTTNER - Flakes (1000füssler, 2014)
Gregory Bütnner continue sa série de publications au format mini-cdr (3") avec trois nouveaux disques. Le premier est un duo composé de Gregory Büttner lui-même (objets, ventilateur, haut parleur) & Gunnar Lettow (basse électrique, objets, field-recordings). Ce dernier utilise sa basse de manière plus électroacoustique que préparée, il place de nombreux objets dessus, joue avec les microcontacts, et place en plus des field-recordings qu'on a du mal à distinguer. Quant à Büttner, il met des objets en résonance grâce à un haut parleur basse en cône qui diffuse une fréquence sinusoïdale basse inaudible, haut parleur au sein duquel il met des objets, en plus d'autres objets mis en mouvement sur un ventilateur d'ordinateur. En gros, il s'agit de deux pièces de musiques électroacoustiques assez abstraites et très marquées par le bricolage, la réalité sonore des objets, et la physicalité du son. C'est court (18 minutes), et j'ai un peu de mal à évaluer la pertinence de ce projet. Ca me paraît très inventif, très créatif, Büttner & Lettow produisent des sons comme on en entend rarement, et j'imagine que les performance live doivent vraiment valoir le coup ; mais je n'arrive pas à savoir si ça tiendrait sur la longueur étant donné qu'ils ne semblent pas trop se soucier de la forme. On est proche de l'improvisation électroacoustique, mais complètement en-dehors des instruments : Büttner & Lettow fabrique du son pur, abstrait, et corrosif, et ça vaut le détour.

LUCIANO MAGGIORE - Onagro (1000füssler, 2014)
Six pièces provenant de field-recordings réalisés dans le sud de l'Italie, et 22 minutes d'une musique vraiment étrange. Avec Onagro, l'artiste sonore italien Luciano Maggiore propose encore une fois un disque comme on en aurait jamais imaginé. Si c'est bien fait à partir d'enregistrements de terrain travaillés ensuite sur un Revox, c'est vraiment difficile d'imaginer la source tellement le résultat semble abstrait. Maggiore nous convie ici à un voyage imaginaire au pays d'instruments inimaginables. On a l'impression d'entendre des percussions par moments, ou des clés de saxophone, puis des battons de pluie dans une chambre anéchoïque. Mais il s'agit d'une impression floue, on sait que ce n'est rien de tout ça, mais on ne sait pourtant pas à quoi à s'accrocher. Maggiore a composé ici six sketches sonores vraiment intrigants, très austères et abstraits, avec beaucoup d'espace, des textures qui interrogent, un volume faible, et surtout une imagination et une créativité qui sont propres à Luciano Maggiore. Très bon travail (encore une fois trop court peut-être).

AMPTEXT - Seeds of erasure (1000füssler, 2014)
Gary Rouzer est un musicien américain basé à Washington, qu'on trouve ici sous le pseudonyme de Amptext. Et pour ce mini-disque de vingt minutes tout rond, il nous propose deux belles pièces composées à partir d'objets, de cassettes, de field-recordings et de violoncelle. Sur Seeds of erasure, on commence par entendre les field-recordings, des enregistrements d'espace sonore comme ceux d'Anne Guthrie par exemple, des enregistrements de ventilateurs à air conditionné superposés. Et par-dessus ces belles bandes, Amptext agite et fait résonner divers objets (métalliques, motorisés, etc.) avant de jouer quelques notes de violoncelle enfantines sur la seconde piste. L'ambiance est aérienne, lumineuse, et espacée. Les éléments soniques présents sont simples, Amptext ne se précipite pas et propose deux pièces proches du drone dans la forme, mais plus créatives dans le contenu. Comme souvent sur ce label, on a affaire ici à un artiste qui a su accorder une large place au développement d'un langage personnel, et abstrait. C'est le première fois que j'entends ce musicien, et ça s'annonce plutôt bien. J'aime beaucoup cette superposition d'enregistrements abstraits et profonds, avec des objets incongrus et un instrument classique joué de manière tradtionnelle surtout. En soi, chaque élément n'est pas tellement neuf, mais leur superposition sensible et fine, par contre, l'est assurément. Conseillé.

Sergio Merce - Microtonal Saxophone

SERGIO MERCE - Microtonal Saxophone (Potlatch, 2014)
Sergio Merce est un musicien argentin que j'entends pour la première fois. Auparavant, il a seulement sorti un duo avec Lucio Capece, ainsi qu'un disque aux côtés de Gunter Müller, deux CD sur lesquels il jouait principalement avec un enregistreur 4 pistes sans bande, et un peu de saxophone avec Capece. Et parallèlement à cette activité, Sergio Merce a consacré de nombreuses heures à préparer son saxophone alto pour échapper à l'accordage de son instrument. En luthier expérimental, ce dernier a démonté le plateau de son alto et remplacé chaque clé par des petits robinets d'eau, de gaz et d'air comprimé. Une préparation/fabrication qui permet ainsi à Sergio Merce de jouer des pièces microtonales de manière optimale, large, et surtout beaucoup plus précise qu'avec les doigtés spéciaux.

Un saxophone préparé, et une pédale de sustain, voilà le bagage instrumental utilisé pour ce disque. Les quatre variations microtonales présentées sur ce CD ont la même forme : un drone doux, dans le registre médium, qui joue sur les battements et les frottements de fréquences proches. D'une certaine façon c'est dissonant, même clairement, mais ce ne sont pas ces dissonances qui agressent, qui vrillent. Sergio Merce joue une note, la maintient avec sa pédale, et en insère une autre au bout de quelques secondes, et ainsi de suite. La succession des notes est douce, les vibrations font penser aux vibrations du cristal, il s'agit d'harmoniques calculées en fonction de leur interaction les unes avec les autres. Merce joue sur la polyphonie et la microtonalité dans une esthétique proche du drone pour la continuité, et proche de l'ambient pour la douceur et l'apaisement que dégagent ces pièces. C'est raffiné, subtil, très délicat, apaisant, et cristallin comme une sorte de berceuse (une berceuse à la Phill Niblock...).

En soi, la musique est plutôt simple, belle, et surtout très envoutante. Mais c'est en pensant que c'est un solo de saxophone qu'on prend la mesure de la richesse de ce qu'on entend surtout. Merce utilise son instrument comme une sorte de quatuor microtonal : ce n'est pas massif, mais il y a tellement d'éléments tonaux et d'interaction entre ces éléments qu'on a l'impression de réentendre le quatuor de saxophones Propagations (sur le label potlatch également) par exemple. Merce joue énormément sur le vibration et le battement qu'entraîne le frottement de deux notes, de deux fréquences proches, et la plus grande partie de sa musique se base sur cette vie harmonique et organique qui a quelque chose de magique. Après deux soli de saxophones vraiment très marquant sur potlatch (Fibres  de Stéphane Rives et Anatomie des clefs  de Michel Doneda), sans oublier également Ténor de Denzler, Microtonal Saxophone est encore un disque qui risque de marquer l'histoire des enregistrements de saxophone solo.

K2/GX - Convulsing Vestibular

K2/GX - Convulsing Vestibular (4iB, 2013)
30 ans après leur première collaboration, les deux artistes très noise K2 (Kimihide Kusafuka) et GX Jupitter-Larsen reviennent avec un excellent split sur CD, publié par la label singapourien 4iB. 30 ans après, ça ne rigole toujours pas, et ce disque n'est toujours pas à mettre entre n'importe quelle main.

K2 ouvre le disque avec trois pièces dignes de la réputation de la japanoise. Kusafuka utilise pour ces pièces un piano, un violon électrique, une table de mixage en larsen, un monotron, une boîte à rythme analogique, et un MTR. Je ne connais pas trop le travail de ce dernier, mais à l'écouter, on dirait une rencontre furieuse entre Merzbow, Masonna, Incapacitants et Gerogerigegege. Du pur harsh noise tout ce qu'il y a de plus sauvage : larsen, clusters, ruptures constantes, une boîte à rythme gabber, dissonances, saturation maximale, intensité et densité toujours plus forte et large. K2 propose trois pièces d'une violence inouïe, trois assaults sonores d'environ dix minutes chacun mais qui ne se différencient quasiment pas. Il s'agit de pure musique bruitiste et japanoise, dans la grande tradition des années 80 et 90 : on prend quelques instruments, on les trafique, on les amplifie, et on joue le plus fort et le plus rapidement possible. En tout cas, dans le genre, c'est vraiment réussi : on est au bord du supportable, mais on ne s'ennuie pas. Très bon.

Quant à GX Jupitter-Larsen, il ne propose qu'une longue pièce d'environ vingt minutes. Une très belle composition qui commence avec une boucle tribale et hypnothique de 10 minutes. Ca ressemble à une espèce de drone dégeulasse fait à artir d'une cassette mis en boucle. Une sorte de rythme tribale qui peut en fait être fait avec n'importe quoi, un rythme lancinant, constant, immuable, sale, non agressif, avec quelques fréquences fantomatiques dans le fond. Puis la seconde moitié du morceau est constituée d'un long drone avec une fréquence grave unique. Juste une sorte d'oscillateur, avec une fréquence carrée ou rectangle, presque sans enveloppe, sans filtre, une fréquence simple, épurée, monotone, continue, et toujours aussi hypnothique. Jupitter-Larsen continue de travailler sur la constance, le minimalisme, les blocs de son, l'épuration et la simplicité, pour accéder à des états de conscience uniques. Et c'est pour ça qu'on l'aime. Excellent.

Thanos Chrysakis/Wade Matthews/Javier Pedreira - Garnet Skein

CHRYSAKIS/MATTHEWS/PEDREIRA - Garnet Skein (Aural Terrains, 2013) 
Ces derniers temps, le label greco-anglais Aural Terrains s'est plutôt dirigé vers les musiques improvisées réductionnistes et électroacoustiques. Mais au mois de décembre dernier, le label signait un retour à la musique électroacoustique "pure" avec Garnet Skein, un disque encore improvisé, mais beaucoup plus axé sur la composition électronique que sur l'interaction ou la recherche sonore minimaliste. Aux côtés de Javier Pedreira à la guitare, deux habitués de ce label : Thanos Chrysakis (qui le dirige) au synthétiseur, radio, gong et ordinateur, et Wade Matthews à la synthèse digitale & field-recordings.

Le trio propose ici six pièces sans titre où les instruments (gong, guitare), l'électronique (ordinateur, synthétiseur) et les enregistrements s'entremêlent de manière très juste, équilibrée et savante. Les trois musiciens développent des idées sonores composées de sons très variés qu'ils font assez durer pour qu'elles prennent du sens, sans trop en faire non plus et tomber dans une sorte de drone/ambient chiant. Interventions instrumentales espacées et noyées, enregistrements de terrain très inhabituels, nappes synthétiques discrètes et fréquences granulaires forment des sortes de nuages sonores composés de plusieurs strates égales les unes aux autres. Le trio joue alors sur les durées, les dynamiques, les progressions atmosphériques et les narrations linéaires. On n'est jamais au même endroit, mais jamais non plus sur un territoire complètement différent. Les musiciens utilisent des sons et des techniques qui changent la texture certes, et de manière plutôt créative d'ailleurs, mais jamais l'ambiance ni l'atmosphère, qui sont toujours les mêmes malgré les différences de dynamique, de timbre, d'intensité et de densité.

Chrysakis, Matthews et Pedreira nous offrent ici six improvisations qui ressemblent vraiment à des compositions électroacoustiques. Les six musiciens savent très bien gérer les notions de dynamique et de progression surtout, mais aussi les timbres et les couleurs bien sûr. C'est inventif, équilibré, savamment "orchestré" et frais. Du bon travail qui change un peu - surtout grâce à la présence de Wade Matthews je pense, qui est toujours à même de surprendre.

Luminance Ratio - Reverie [LP]

LUMINANCE RATIO - Reverie (Bocian, 2013)
Après un album CD et deux splits en 45 tours (dont un avec Oren Ambarchi), le quartet Luminance Ratio vient d'être publié en vinyle sur le label polonais Bocian. Cette formation propose une musique peu habituelle pour ce label, puisqu'il s'agit d'une espèce de post-rock, post-folk, à moitié ambient et à moitié dark, dans une veine expérimentale proche d'Ambarchi justement, ou de Fennesz et d'autres guitaristes de ce genre (on peut penser à Fabio Orsi également). Des quatre musiciens, je n'en connais qu'un seul, Luca Sigurtà (électronique), pour sa collaboration récente avec Francisco Meirino, mais sinon, le quartet est également composé de Gianmaria Aprile (guitare), Luca Mauri (guitare) et Andrea Ferraris (ordinateur, cymbale et électronique). (En plus, le disque est parsemé de nombreux invités au fil des titres - que je ne connais pas plus - Simone Fratti à la basse, Giancarlo Nino Locatelli à la clarinette basse et aux percussions, Andrea Serrapiglio au violoncelle, et Luca Serrapiglio au saxophone).

La ratio de luminosité ici n'est pas très élévé. Luminance Ratio, au fil de ses huit morceaux, propose effectivement des voyages sombres et nocturnes dans des espèces de terres lunaires et froides. Une ambiance sombre, lente, éthérée et sans pesanteur, caractérise la plupart de ces morceaux. Les guitares donnent dans le riff lent, espacé, très marquées au niveau des effets mais sans aucune marque d'agression. De la même manière, Sigurtà et Ferraris posent des nappes granulaires et plutôt lisses d'électronique discrète. On navigue facilement entre le post-rock et du folk lunaire, entre le dark ambient et l'expérimentation sonore populaire. Le son de ce groupe est vraiment original, entre le post-rock et l'ambient dur et le noise très soft, tonal et aux sonorités folk. Des paysages mystérieux, en-dehors du temps, de l'espace et de la gravité, des paysages sans centres, où on ne peut qu'errer car il n'y a pas de but. Du rock à moitié psyché et à moitié drone, pas mal du tout, qui plaira aux curieux.

Paal Nilssen-Love & Mats Gustafsson - Sin Gas

PAAL NILSSEN-LOVE & MATS GUSTAFSSON - Sin Gas (Bocian, 2013)
Après une dizaine d'années de collaboration en duo et au sein d'autres formations (notamment The Thing), et plusieurs CD, le duo Mats Gustafsson/Paal Nilssen-Love revient avec un CD intitulé Sin Gas qui fait suite au double 45 tours pour congas, slide saxophone et baryton publié sur le même label (bocian). Je pense qu'il s'agit de la même session d'enregistrement, sauf que sur Sin Gas, le duo utilise une instrumentation plus habituelle, soit une batterie pour Nilssen-Love, et des saxophones ténor, baryton et basse pour Gustafsson.

Une instrumentation plus habituelle pour une musique aussi convenue, mais que j'aime toujours étrangement. Car habituellement, le free qui ne joue que sur la puissance, que sur le cri et l'énergie, ça peut avoir tendance à me fatiguer. Mais avec ce duo, c'est autre chose. Je n'admire pas forcément ces deux musiciens pour leur sens de la musicalité, mais bien plutôt pour leur énergie et leur puissance. Pour ce son survolté, guttural, nerveux et ultra puissant propre aux deux musiciens. L'énergie du rock le plus pur est ici, mais aussi du punk et du hardcore. Quand Nilssen-Love et Gustafsson se retrouvent en duo, c'est pour offrir une musique pleine d'énergie, un assault de percussions et de souffles qui ne s'arrête pas : des cris, des blasts, des passages plus calmes des fois certes, mais toujours aussi agressifs et lyriques.

Une version vinyle augmentée d'une pièce a été publiée quelques semaines après ce CD, une version que je n'ai pas écouté, mais en tout cas, pour les deux improvisations présentes sur ce CD, il s'agit de deux pièces vraiment furieuses, viscérales, et très énergiques surtout. L'interaction entre les deux musiciens est attentive et passionnée, joyeuse et nerveuse, très excitée en somme. Et quant au principe d'improvisation, il semblerait qu'il ne s'agisse que de dégager une énergie constante et maximale, ce qui est pleinement réussi. Une très belle suite à Con Gas (le double 45 tours paru chez Bocian dont je parlais au début), et un des plus puissants enregistrements de ce duo.

Inner Ear - Return from the center of the earth

INNER EAR - Return From the Center of the Earth (Bocian, 2013)
Return from the center of the earth  est le second album du quartet Inner Ear, une formation internationale composée par Mikołaj Trzaska (saxophone alto & clarinette basse, de Pologne), Steve Swell (trombone, des Etats-Unis), Per-Åke Holmlander (tuba, de Suède) et Tim Daisy (batterie, des Etats-Unis). Ce quartet propose une musique pas très loin de la musique improvisée, mais qui est plutôt proche du free jazz, du free jazz comme le label polonais bocian a l'habitude d'en proposer, c'est-à-dire du free jazz de qualité.

En une trentaine de minutes, Inner Ear propose seulement trois pièces, improvisées la plupart du temps, mais très bien structurées j'ai envie de dire. Le groupe ne joue pas sur une puissance constante, mais alterne les improvisations libres collectives, les improvisations jazz, rythmiques et lyriques sur fond de pattern au tuba et à la batterie, les duo plus posés, les improvisations plutôt nerveuses, puis mélodiques, et rythmiques, ou plus sonores. Les différents modes d'improvisation sont très bien équilibrés, et l'interaction entre les membres de cette formation est très juste, l'écoute est toujours attentive, et surtout, quelque soit le mode de jeu et d'improvisation, Inner Ear y met toujours toute son énergie et sa passion.

Du bon gros free très inspiré et frais notamment grâce à l'instrumentation neuve des cuivres graves (notamment le tuba) qui assurent aussi la section rythmique avec puissance et entrain, mais aussi inspiré par le jazz et le swing, avec des accents un peu binaire et rock par moment pour bien pulser le tout. Chaque membre sait toujours soutenir la musique de manière adéquate, par la présence, l'absence, l'accompagnement ou la discrétion selon les moments. Du free bien dansant, énergique, passionné et inspiré en somme.

Ryoko Akama - Code of Silence

RYOKO AKAMA - Code of Silence (Melange, 2014)
[désolé pour la photo d'illustration, c'est la seule reproduction de la pochette que j'ai trouvé sur le net, car ce n'est pas évident de mettre en avant le design réfléchissant...]

C'est la première fois que j'écoute un album de Ryoko Akama, une artiste sonore très intéressée par le silence  et l'électronique DIY (do it yourself). Je ne crois pas d'ailleurs qu'il y ait déjà eu beaucoup de publications de cette musicienne, notamment en solo, mais c'est un plaisir de la découvrir aujourd'hui sur son propre label nommé Melange Editions.

Pour ce disque, Ryoko Akama propose cinq pièces basées sur la transcription matérielle et sonore (l'écriture et le langage) de phénomènes non-matériels et non-sonores (psychologiques surtout). D'après les exemples de partitions disponibles sur le site du label, il semblerait que chaque pièce soit écrite à partir d'un mot japonais, traduit en une sorte de prose qui ne décrit aucun geste ni aucune intention musicale. Les partitions de Ryoko Akama ressemblent plutôt à la transcription textuelle de situations et d'événements naturels, émotionnels ou psychologiques.

A partir de ces textes (qui peuvent paraître déroutant), Ryoko Akama propose une suite de cinq magnifiques pièces très simples. Le silence est une des bases de la réalisation de ces pièces, mais il n'est jamais présent en tant que tel, pas en tant qu'interrutpion du son en tout cas. Le silence de Ryoko Akama est un silence qui appartient au son, qui se joue sur des volumes faibles (mais pas tant que ça non plus) capables d'accepter l'environnement extérieur sans s'effacer non plus. Il s'agit de cinq pièces d'environ dix minutes chacune, basées à chaque fois sur un type de son : deux sinusoïdes, un bruit blanc proche du vent, un larsen très doux, etc. Avec des éléments sonores très simples, Ryoko Akama parvient très justement à recréer des états émotionnels précis. C'est étrange car en soi, la musique est très abstraite et minimale, et pourtant, elle semble en même temps très figurative et concrète : on ressent immédiatement de nombreuses émotions, les images et les scènes naturelles surgissent instantanément dans l'imaginaire de l'auditeur.

C'est difficile de dire précisément à quoi la musique de Ryoko Akama tient. Comme pour le langage, on peut se demander comment tel mot (qui n'est qu'un son abstrait) peut évoquer tel phénomène ou telle action ; de la même manière, il y a vraiment de quoi s'émerveiller devant la richesse émotionnelle que peut susciter telle action sonore très minimale et abstraite dans les réalisations de ces cinq pièces. Car ici, à chaque action sonore correspond bel et bien une scène de tempête, une relation humaine, une émotion, un paysage, ou que sais-je encore. Ryoko Akama parvient à signifier de manière presque aussi précise que le langage des événements et des phénomènes non musicaux, d'une manière très belle, riche, subtile, et innovante. Fortement conseillé.

ICH BIN N!NTENDO - Look

ICH BIN N!NTENDO - Look (Va Fongool, 2014)
Après un premier opus en collaboration avec Mats Gustafsson, le power trio norvégien ICH BIN N!NTENDO revient en grande pompe avec Look, toujours sur le label Va Fongool. Les musiciens n'ont pas changé depuis 2012 : Christian Winther à la guitare électrique, Magnus Nergaard à la basse et Joakim Heibø Johansen à la batterie. Quant à la musique, elle n'a pas tellement changé non plus. Une musique brute et sauvage, crade et dissonante, noise et hardcore : soit une guitare et une basse désaccordées qui ne sont presque plus que des pédales de distorsion, et une batterie sans soucis de la pulsation qui tape de partout, avec en plus un ajout de la voix, une voix sans effet, au bord du cri mais pas vraiment, un peu étouffé et bien crade. On pourrait croire à un remix de The Dead C ou du Nihilist Spasm Band par Lasse Marhaug : il y a quelque chose du rock bien dégeulasse et proche de l'art brut, avec en plus une touche de spontanéité et de sauvagerie plus proches de la noise et de l'improvisation libre. Mais bon voilà, un trio guitare/basse/batterie, avec de nombreuses pédales, forcément ça sonne rock et hardcore, et quand on enlève les formes et les structures, pour ne plus jouer que sur l'énergie et la puissance, forcément ça sonne noise. Et dans le genre, je dois avouer que c'est plutôt bien fait : ICH BIN N!NTENDO sait respirer quand il faut avec quelques riffs surprenants ou un arrêt momentané de cette batterie omniprésente et chaotique, le trio sait aussi varier les sons, sait évoluer sur différents territoires même s'il restent proches. 

Mais bref, on ne s'ennuie pas même si ça bourrine toujours, et c'est déjà plus que bien avec cette musique. Le trio sait conserver une grande énergie et une grande puissance tout au long de ces cinq morceaux plutôt courts (entre cinq et une dizaine de minutes), et si l'énergie et la puissance sont toujours au rendez-vous, c'est que le pari est gagné. Amateurs de  noise barré, de rock crade et déjanté, d'improvisation électrifiée, je vous conseille d'y jeter une oreille. 

Nicolas Wiese & MISE_EN_SCENE - Introjectection

NICOLAS WIESE & MISE_EN_SCENE - Introjection (Los Discos Enfantasmes, 2013)
Introjection est le résultat d'une collaboration à distance entre l'artiste sonore Nicolas Wiese et le musicien israélien Shay Nassi, alias MISE_EN_SCENE. Les deux artistes proposent huit pièces composées à partir de courts sketches électroniques qu'ils se sont mutuellement envoyés pendant cinq ans, et qui ont ensuite été petit à petit assemblés et édités pour former Introjection.

Il s'agit de courtes pièces électroniques plutôt simples, axées surtout sur l'atmosphère. Ce n'est pas très dynamique, ni énergique, les deux artistes semblent plutôt s'intéresser à la création de sonorités originales basées sur un juste équilibre entre l'analogique et le digital. A entendre ces huit compositions électroniques, on dirait un mélange d'electronica et de musique concrète : Nassi & Wiese composent à partir de textures granulaires lisses, de boucles digitales, de coupage et de collage numérique, et de recherches analogiques. Mais ce qui ressort surtout, c'est l'atmosphère dégagée par ces sons, leurs caractéristiques psychologiques et leurs répercussions sur l'ambiance. Les morceaux sont structurés et construits de manière précise et travaillée, non pas pour la recherche formelle, mais plutôt pour aborder et créer différents états émotionnels.

De manière générale, je trouve ces huit morceaux plutôt originaux et personnels, peut-être un brin faciles et téléguidés dans la mesure où les timbres utilisés sont "trop" beaux et "trop" propres à mon goût, et que les formes adoptées ne sont pas toujours très intéressantes. Ceci-dit, il y a quand même une recherche sonore vraiment fraiche et originale, et le travail d'édition et d'assemblage est extrêmement précis, à tel point qu'on ne distingue jamais aucun des deux musiciens - alors qu'ils ont quand même collaboré à distance.

Huit pièces éléctroacoustiques et atmosphériques intéressantes sur certains points, mais pas totalement absorbantes, même si - pour me répéter - c'est vraiment frais.

Zavod Sploh/l'innomable coproductions

DRASLER/KARLOVCEC/DRASLER - Stir (Zavod Sploh/L'innomable, 2013)
Jošt Drašler à la contrebasse, Marko Karlovčec au saxophone et Vid Drašler à la batterie pour une suite de cinq improvisations free jazz incandescentes. A la section rythmique, on a une basse plutôt discrète, assez lyrique, qui nous offre souvent de belles nappes mélodiques de fonds, une mélodie un peu indépendante et en retrait. C'est au-dessus que tout semble se passer la plupart du temps : avec le jeu très sec et nerveux de Vid Drašler, et surtout avec le saxophone aux accents d'Albert Ayler de Marko Karlovčec. Un saxophone puissant, guttural, profond, lourd, agressif, et lyrique en même temps. Un saxophone omniprésent qui donne également le ton de ces cinq longues improvisations : du free jazz influencé par la scène américaine de la fin des années 60 et du début des années 70, du free jazz marqué par la passion mise en jeu par des figures telles que Ayler ou Franck Wright.

Une musique nerveuse, agressive, et lyrique, aux accents nostalgiques (pour l'espèce d'hommage rendu au free jazz américain). Le trio déroule sa musique de manière implacable, elle ne s'arrête pas, elle est jouée avec les tripes et avec passion surtout, sans autre considération, et c'est comme ça que ça marche le mieux souvent, étant donné que chaque musicien est talentueux, précis, sait ce qu'il fait à quel moment, et écoute toujours le son d'ensemble. Du bon free jazz en somme.

TOMAZ GROM - Sam, za... (Zavod Sploh/L'innomable, 2013)
Tomaž Grom est un assez jeune contrebassiste slovène qu'on a déjà pu entendre - entre autres - aux côtés de Jonas Kocher, Seijiro Murayama ou Michel Doneda. Un musicien assez proche donc de l'improvisation libre comme on peut s'en douter, mais qui a su développer un langage plutôt personnel, abordant le son en utilisant le silence et la continuité. Car tout au long de ces neuf improvisations pour contrebasse seule, Tomaž Grom utilise souvent ces deux éléments pour structurer ses morceaux. Des sons longs, continus, qui se fondent avec le silence, mais également des sons très bas, tout proche du silence, avec des cordes à peine effleurées par l'archet. Et même quand Grom joue plus fort, il joue souvent sur la répétition du son, d'une idée, sur sa constance et sa continuité.

Ce qui nous amène à autre chose. Tomaž Grom est proche de l'improvisation libre, oui, mais de la même façon que Murayama je pense. Même s'il y a une part d'improvisation, Tomaž Grom structure tout de même ses pièces de manière très claire. Ce qui semble l'intéresser, ce n'est pas le son de la contrebasse elle-même, mais plutôt comment les sons se structurent au sein d'une improvisation, comment ils se déroulent dans le temps, et comment ils sonnent en fonction des réitérations, des étirements, et de la proximité avec le silence. Du coup, Tomaž Grom propose sur ces neuf pièces des formes très claires, des idées très fortes et des structures personnelles très éloignées d'un langage "spontané". Le contrebassiste joue sur les formes plus que sur les recherches purement sonores (même si elles sont également présentes) ou sur la pseudo liberté de l'improvisation. Beau travail. 

Francisco Meirino - An extended meaning for something meaningless

FRANCISCO MEIRINO - An extended meaning for something meaningless (Audio Field Theory, 2013)
Nouveau solo de Francisco Meirino, publié en CD sur le label Audio Field Theory, avec une belle pochette imprimée par Ben Owen, An extended meaning for something meaningless regroupe trois pièces électroacoustiques. Le compositeur suisse utilise ici un gros set composé d'un ordinateur, de piezzos, d'enregistreurs à bande magnétique, de synthé modulaire, de field-recordings, d'électronique fait maison et d'ustensiles électromagnétiques.

Trois pièces qui ne se basent pas sur grand chose : un léger larsen, des field-recordings basiques, des microcontacts, etc. Et pourtant, à partir de ces bases qui peuvent paraître pauvres, Meirino parvient à construire une musique riche, profonde, et dramatique. Le compositeur joue sur la tenue de sons qui acquièrent une profondeur émotionnelle au fil de leur déroulement, le son n'est pas forcément très riche, mais sa durée le rend petit à petit de plus en plus présent, de plus en plus intéressant et profond. Bien sûr, la modification de chaque source est belle, précise, technique - mais ce n'est pas forcément le plus intéressant, même si le son de Meirino est assez personnel.

Ce que je trouve vraiment bon sur ces trois pièces, c'est comment Meirino parvient à immerger l'auditeur (de force presque) dans des sons qui ne paraissent pas exceptionnels au premier abord. Meirino utilise des sons assez simples, épurés, des fréquences granuleuses, quelques vagues modulations, des field- recordings rustres, et c'est tout. Mais dans la durée, on finit par s'habituer à ces sons, à les prendre en sympathie, à tenter de les comprendre et à ressentir de plus en plus ce qu'ils peuvent exprimer. La musique de Meirino a quelque chose d'une sorte de musique électroacoustique minimaliste et romantique : c'est simple, précis, mais plein d'émotions et de force dramatique dès que l'on rentre un peu dedans et que l'on accepte de s'immerger dans son univers. Bon travail.

Anne Guthrie - Codiaeum Variegatum [LP]

ANNE GUTHRIE - Codiaeum Variegatum (Students of Decay, 2014)
J'ai déjà chroniqué la plupart des disques d'Anne Guthrie sur ce blog, ainsi que ceux auxquels elle a participé, et le moins qu'on puisse dire, c'est que je n'ai jamais caché mon admiration pour cette jeune musicienne et artiste sonore américaine. En ce début d'année, quelques mois après son excellente collaboration avec Richard Kamerman, Anne Guthrie revient avec un nouveau solo (tous les précédents sont épuisés semble-t-il), publié cette fois en vinyle par le label américain Students of Decay.

Pour ceux qui la connaissent déjà, vous savez certainement que Guthrie pratique le cor d'harmonie d'un côté, et mène en parallèle de nombreuses recherches sur les phénomènes acoustiques, la réverbération naturelle d'espaces spécifiques, l'atmopshère des lieux, ses donnés acoustiques, et bien sûr la prise de son de tout ça. Pour ce nouveau disque, Anne Guthrie quitte les territoires urbains et humains pour n'utiliser que des prises de son provenant de lieux naturels, prises de son auxquelles s'ajoutent des interventions instrumentales (au cor par Anne Guthrie, avec la collaboration de deux autres musiciens à la contrebasse et au violoncelle).

Le plus remarquable dans le travail de cette artiste, c'est qu'elle n'utilise quasiment que des éléments très concrets, mais filtrés de manière si particulière et unique qu'ils paraissent complètement autre et abstrait. Ainsi sur Codiaeum variegatum, on reconnaît de nombreux éléments : des corneilles, des insectes, des sortes de réverbérations comme dans une grotte ; mais aussi les instruments, joués de manière traditionelle, pour leur timbre, ne jouant que des lignes mélodiques, des ostinato, le tout de manière tonale souvent en mode mineur, mais non pulsé, ou de manière très lente et lancinante, douce et suave, triste et sombre.

Au fur et à mesure des pièces, ces éléments tendent à se noyer sous les filtres. De plus en plus modifiés, ils deviennent au fil du disque du pur son, une matière sonore de plus en plus unique, atmosphérique et abstraite. Le son comme Guthrie l'envisage est d'une richesse unique, un son plein de réverbération, plein d'harmoniques, plein d'échos fantomatiques, que ce soit les instruments ou les prises de son qui semblent traités de la même manière.

Avec Codiaeum variegatum, Anne Guthrie propose une plongée dans les phénomènes acoustiques très douce, poétique, profonde, riche et mélodique : un équilibre très juste et fin entre les phénomènes naturels accidentels, la composition, le traitement sonore et les processus naturels, l'abstraction et la mélodie. Magnifique, et forcément hautement recommandé !

Adam Asnan - Veil After Veil [cassette]

ADAM ASNAN - Veil After Veil (Wasted Capital, 2013)
Adam Asnan est un des membres de l'excellent trio VA AA LR (initiales de Vasco Alves, Adam Asnan et Louie Rice) que j'ai déjà chroniqué plusieurs fois sur ce blog. Plusieurs travaux des autres membres de cette formation ont déjà été publié sur le label wasted capital - en cassettes également - mais c'est la première fois que l'on peut retrouver celui d'Adam Asnan ici, après un très bon opus sur 1000füssler.

Le musicien électroacoustique anglais continue son exploration des supports de diffusions à travers l'exploration d'enregistrements ici. Principalement des field-recordings, manipulés à travers un set d'électronique. Adam Asnan s'intéresse également à l'usure naturelle, à la dégradation des supports, et ce sont des supports qui ont passé mille fois l'épreuve de l'enregistrement qui semblent utilisés ici. Même s'ils sont passés à travers des filtres électroniques, à travers des feedbacks et autres processus artificiels, les enregistrements semblent déjà fortement dégradés et usés à l'origine. Et en plusieurs courtes pièces, Adam Asnan explore les défaillances et les parasites des supports, le timbre spécifique d'une bande utilisées pendant plusieurs décennies.

C'est du moins l'impression que cette cassette donne : explorer des supports dégradés. Mais en même temps, c'est toujours très abstraits, c'est encore mélangé avec de l'électronique, et on ne sait jamais trop si ce ne sont pas simplement des actions "musicales" enregistrées au micro-contact et fortement filtrées à travers peut-être une installation de haut-parleurs. Mais que les sons soient live ou préenregistrés, peu importe, car Adam Asnan explore principalement les qualités spécifiques du support (et qu'il soit de diffusion ou d'enregistrement, ça ne change pas vraiment la nature de sa musique), son timbre, sa texture, et sa vie en quelque sorte (à travers ses défauts et son usure). Bon travail élecoacoustique sur les supports de diffusion et d'enregistrement, sur la dégradation et la vie des matériaux techniques.

Matthew Earle, Will Guthrie, Adam Sussmann - Bridges

EARLE/GUTHRIE/SUSSMANN - Bridges (Antboy, 2003)
Je sais que j'arrive avec plus de dix ans de retard puisque ce disque a été publié en 2003 (en cd-r sur le label de Will), mais ça me paraît tout de même intéressant d'écrire dessus avec du recul. Bridges est une suite de trois improvisations par le trio australien composé de Matt Earle (électronique), Will Guthrie (percussions) et Adam Sussmann (guitare acoustique préparée et guitare électrique). Trois australiens qui faisaient une musique radicale pour l'époque, une musique pas vraiment improvisée, pas vraiment drone, pas vraiment noise, mais tout ça aussi à la fois.

Avec Bridges, ce trio proposait trois pièces très linéaires et monolithiques proches de Sunn O))) par certains aspects je trouve. En effet, le trio n'est pas très loin de l'ambiance de groupes de sludge et drone, de l'ambiance qu'on trouve à la fin des résonances, 30 secondes après l'attaque de la basse.... Sauf qu'avec Bridges, il n'y a jamais d'attaque, ni de pulsation. Le trio évolue sur un terrain sombre et linéaire composé de trois couches distinctes (basse, médium et aigue) sans que l'on sache toujours qui fait quoi. La plupart du temps, Guthrie frotte des cymbales et des peaux de manière continue, tandis que Matt Earle joue sur des sinusoïdes aigues et que Sussmann évolue sur des nappes de son également continues.

Autant influencées par le drone pour l'aspect continu, sombre et dur, que par l'improvisation libre pour les techniques étendues et la noise pour l'utilisation de l'électronique, ces trois pièces évoluent sur un territoire radical, abstrait, et nerveux. Trois belles pièces électroacoustiques - avec une touche de sludge et de musique improvisée ! Conseillé (s'il reste encore des exemplaires).

Sister Overdrive - The Shape of Failures Past

SISTER OVERDRIVE - The Shape of Failures Past (Granny, 2013)
Publié sur CD en 100 exemplaires sur le label grec Granny, The Shape of Failures Past est la dernière production de Sister Overdrive, nom du projet solo de Yannis Kotsonis. C'est le troisième ou quatrième disque de cet artiste mais c'est la première fois que je l'entends ici. Sister Overdrive propose une sorte de musique concrète et électroacoustique composée principalement à partir de microsillons rayés, de vieilles cassettes, de vinyles passés au delay, etc. La matière principale de Sister Overdrive est donc la musique populaire, omniprésente dans sa musique : on reconnaît par-ci par-là des bribes de mélodies, des fragments de rythmes, et certains idiomes qui ressemblent plus à des débris ici. Car l'artiste grec semble considérer sa collection comme une sorte de poubelle pleine de déchets captivants. Il use principalement des parasites techniques, des défaillances technologiques, des détournements et des filtres.

Il s'agit bel et bien de véritable musique concrète, mais faite à partir de pop : de la pop détournée et retournée, des supports usés et volontairement endommagés, comme une sorte de détournement lettriste ou situationniste de quelques déchets du spectacle. Et si l'on doit chercher du côté des mouvements artistiques pour parler de la musique de Sister Overdrive, il faut sans aucun doute penser à dada, et à tous les artistes qui usent du collage. Car la forme adoptée par Kotsonis pour traiter ses disques, c'est avant tout celle du collage. Avec treize pièces assez courtes, Kotsonis semnble coller comme des espèces d'esquisses, des fragments musicaux ou des sketchs électroacoustiques. Un véritable art de la manipulation, mais aussi de la narration, car même si les fragments sonores n'ont pas nécessairement de lien les uns avec les autres, il n'empêche que leur collage et leur déroulement semblent tout naturel et logique. Une construction fine, précise et juste en somme, de matériaux sonores un peu groovy de par leur origine, mais très abstraits au final. Très bon travail de ce que l'on pourrait appeler de la pop concrète et glitch peut-être.

Anne Choquet - Foehn

ANNE CHOQUET - Foehn (Petit Label, 2013)
Voilà un disque qui ne m'a pas vraiment convaincu, mais qui vaut certainement le coup d'être diffusé. D'une part parce que c'est le premier disque d'Anne Choquet, et d'autre part parce qu'elle pratique l'improvisation libre uniquement à la flûte à bec, instrument peu commun dans cette pratique.

Ca ne m'a pas convaincu car je ne trouve pas les textures exploitées vraiment intéressantes, à moins qu'elles ne soient juste pas à mon goût. Peut-être trop mélodiques, trop douces... Mais en tout cas, il faut le dire, Anne Choquet a tout de même développé un langage qui lui est propre, un langage unique fait de souffles glaciaux, de becs doublés et de quelques techniques étendues. C'est étonnant d'entendre de la flûte à bec dans ce registre, d'entendre de l'improvisation libre axée principalement sur le son avec un instrument qui n'est pas vraiment réputé pour sa richesse sonore.

Avec Foehn, la flûtiste toujousaine propose douze petites pièces qui retranscrivent avant tout des atmosphères, des éléments et des paysages naturels ("Profondeurs sous-marines", "Echos du bois...", "Blizzard", etc.). Comme autant d'haïkus sonores et abstraits : c'est personnel, assez facile à écouter, et plutôt recherché. Je l'ai déjà dit, je n'aime pas trop ces ambiances qui me semblent trop "faciles", mais je pense que ça peut plaire à pas mal d'amateurs d'improvisation libre et de soli instrumentaux axés sur les recherches techniques et sonores.

zoor - volumes a + b

ZOOR - volumes a + b (Umlaut, 2014)
Zoor est un trio français composé de trois membres issus des musiques improvisées : Bertrand Denzler au saxophone ténor, Jean-Sébastien Mariage à la guitare électrique, et Antonin Gerbal à la batterie. A ma connaissance, ces deux enregistrements live forment la première publication de cette jeune formation.

Comment décrire cette musique ? Ce n'est pas si facile. Aux premiers abords, ça ressemble à une sorte de post-rock, du post-rock comme aurait pu en faire les tenants du jazz modal... On peut penser à Bohren und der Club of Gore, sauf que c'est quand même mois "pop" et moins sombre. La forme est très linéaire, le jeu des trois musiciens est calme, l'intensité est constante. Il n'y a pas vraiment d'évolution, il s'agit de longues nappes qui ne varient pas dans la forme, mais seulement dans le contenu. Il y a également une forme de lyrisme présent dans le phrasé de chacun (mais surtout de Denzler, saxophone oblige). Et puis d'un autre côté, je pense aux projets parallèles de chacun des trois musiciens : des projets axés sur l'improvisation libre et le réductionnisme. Et alors, je me dis que Zoor est peut-être bien une tentative de faire du post-rock improvisé, des longues nappes hypnotiques un peu jazzy, mais aussi et surtout une tentative de faire du réductionnisme ou même de l'improvisation libre qui ne sonne pas spontané, et surtout - le plus marquant dans ce trio - qui n'utilise aucune technique étendue. Le saxophone est joué avec des techniques traditionnelles, la guitare électrique aussi (il n'y a même pas d'effets), ainsi que la batterie. Et pourtant le trio semble s'aventurer sur des terrains proches de la musique électronique, il semble s'intéresser surtout à l'atmosphère et à l'ambiance en tout cas. Et c'est réussi.

Zoor propose ici deux longues improvisations de quarante et trente minutes : deux morceaux d'une sorte de post-musique improvisée, de post-réductionnisme qui revient aux sources d'une certaine manière (ce n'est pas si éloigné de Sugimoto par exemple). C'est solennel d'un côté, puissant et lyrique aussi, propre et réfléchi, mais surtout très original, car le trio développe un langage comme je n'en avais jamais entendu, et tout ça sans utiliser de techniques étendues ni de formes innovantes. Une musique émouvante, innovante et personnelle, qui vaut le détour.

Cyril Bondi, d'incise, Jacques Demierre, Jonas Kocher - Öcca [LP]

BONDI / D'INCISE / DEMIERRE / KOCHER - Öcca (Bocian, 2013) 
On connait le label bocian principalement pour ses productions noise et free jazz, souvent très puissantes et énergiques (Robert Piotrowicz, Mats Gustafsson, SEC_, Kevin Drumm, Paal Nilssen-Love, etc.), et c'est donc une surprise de trouver ce vinyle au milieu de tout ça. Car presque sans aucun doute, Öcca est le plus calme et le plus épuré des disques que j'ai eu l'occasion d'entendre sur ce label. Cyril Bondi à la grosse caisse, d'incise à l'ordinateur, Jacques Demierre au piano et Jonas Kocher à l'accordéon : un quartet qui réunit les trois principaux acteurs de la jeune avant-garde suisse et un ancien (Demierre) de l'improvisation libre, Suisse également.

Bondi, d'incise et Kocher travaillent régulièrement ensemble depuis plusieurs années, tandis que Demierre participe à l'IMO (insub meta orchestra), dirigé par Bondi et d'incise. Ce n'est donc pas leur première rencontre, et on peut facilement le ressentir. Il s'agit d'improvisation libre toujours, mais clairement dirigée dans une direction. Le quartet n'évolue que sur des terrains très calmes, très neutres, des terrains sonores où aucune source instrumentale ne se distingue la plupart du temps, une au grand maximum (surtout le piano et l'accordéon qui ont des timbres si caractéristiques). Mais en règle générale, le quartet explore des terrains bruitistes très calmes et linéaires, il explore des zones pas vraiment musicales et très fines, des zones faites de bruits, de silences, de calmes anormaux, d'une quiétude très tendue. Car si ces improvisations ne sont jamais fortes en volume, si elles sont espacées et calmes, et si en plus elles paraissent très linéaires et informelles, il n'en règne pas moins une grande tension et les terrains sont tout de même en constante évolution. Le quartet explore une multitude de textures : des textures très fines, subtiles, précises, calmes, belles, et originales.

Öcca est un très bel exemple d'improvisation libre non-idiomatique ou de réductionnisme si l'on veut, mais c'est surtout une nouvelle preuve de la finesse de cette jeune scène suisse hyperactive, de leur originalité, de leur talent, de leur passion, et de la finesse dont ils sont capables. De plus, la présence de Demierre rend cette session encore plus charmante, un Demierre qui joue pleinement le jeu des trois jeunes improvisateurs, qui se fond dans la masse avec une finesse impressionnante, d'une manière parfois proche de Tilbury. Très beau travail.

mike majkowski

BLIP - Dead Space (Bocian, 2012)
Dead Space est le second album du duo australien Blip (Jim Denley aux saxophone alto, flûte et ballon, et Mike Majkowski à la contrebasse, pitch pipe et objets), et le titre n'a pas été choisi au hasard puisque cet album a d'une part été enregistré dans une chambre anéchoïque (sans aucun écho), et qu'en plus il est dédié à la mémoire des pères des deux musiciens.

Le duo tente, semble-t-il, de faire revivre cet espace vide d'écho, mort de résonance. Si les phénomènes acoustiques sont faibles dans cet espace, il n'y a qu'à propager toute la richesse sonore possible semblent vouloir dire les deux musiciens. Et c'est ce qu'ils font : Jim Denley accumule techniques étendues sur techniques étendues, avec une large préférence accordée aux souffles et aux harmoniques métalliques, tandis que Majkowski n'est jamais très loin au niveau sonore, et s'emploie à copier le son du souffle et des harmoniques avec un frottement léger des cordes, ainsi qu'avec l'insertion d'objets métalliques. Le duo propose ainsi sept improvisations libres concentrées sur les textures et les timbres, mais également sur l'interaction entre les instruments et leurs possibles entremêlements. Des improvisations plutôt calmes et linéaires, avec une narration sans rupture, un volume et une intensité constants : l'intérêt n'étant pas dans les formes et les structures, mais dans le son lui-même. Le duo se plonge littéralement dans ses instruments (flûte, saxophone et contrebasse avant tout) et offre une approche assez unique du jeu instrumental. Oui, d'un côté, Majkowski n'est pas sans rappeler Clayton Thomas et ses plaques d'immatriculation, tandis que les harmoniques avec souffles et salive de Denley font aussi penser à Martin Küchen, mais il y a tout de même une touche vraiment personnelle dans l'approche des instruments : Majkowski et Denley ont eux aussi développé un langage instrumental nouveau et frais, fait de techniques, de timbres, et d'atmosphères personnelles. Ces atmosphères sont sombres souvent, et mélancoliques, mais surtout riches et innovantes. 

Un très bel exemple d'improvisation libre non-idiomatique, avec toute la recherche instrumentale et sonore, ainsi que les développements techniques que cette pratique requiert. Conseillé.

MIKE MAJKOWSKI - Why is there something instead of nothing ? (Bocian, 2013)
Nouveau solo de contrebasse de Mike Majkowski publié cette fois en LP par Bocian, Why is there something instead of nothing renvoie aux questionnements métaphysiques de Leibniz et autres penseurs de l'ontologie. Musicalement pourtant, je ne vois aucune relation à faire entre l'ontologie et ce solo, hormis le titre de ce vinyle.

Majkowski propose une improvisation par face - enfin je parle d'improvisation mais c'est très clairement structuré et ça n'a rien de spontané. La première face est une longue pièce de quinze minutes où le contrebassiste australien d'origine polonaise ne cesse de faire aller et venir l'archet sur ses cordes à une rapidité surprenante. C'est très énergique, et posé en même temps, car Majkowski répète inlassablement le même geste, à la même vitesse, avec une pression plutôt constante, et laisse ainsi place aux multiples accidents de parcours et incidents sonores qui peuvent avoir lieu. En plus, je me demande tout de même si un objet métallique n'est pas placé dans les cordes, mais c'est possible que non, auquel cas le son de Majkowski est vraiment riche et surprenant. Une pièce intense et répétitive réussie. Puis sur la deuxième face, Majkowski propose une autre forme d'exploration sonore obsessionnelle en ne jouant que deux notes à l'archet, puis une pizzicato, à un rythme beaucoup plus calme et lent, et surtout en laissant place cette fois à la résonance des cordes et aux harmoniques fantômes qui surgissent quand les notes s'évanouissent.

C'est simple, précis, beau, subtil, et très bien structuré. Bon travail, très original pour un solo de basse.  

Stefan Thut - drei, 1-21

STEFAN THUT - drei, 1-21 (Wandelweiser, 2013)
A partir du début des années 2000, Stefan Thut a entamé une série de partitions nommées en fonction du nombre d'interprètes, un peu à la manière des dernières oeuvres de Cage. De un performer à sept, en passant par les plus indéterminées : some et many... Il s'agit à chaque fois de partitions très ouvertes, complètement indéterminées, avec quelques indications écrites (limitées en gros à la restriction du volume sonore), plus une sorte de fil conducteur à suivre (composé de lettres, de traits, etc.) lors du déroulement de la performance, sans indication de durée, de forme, etc. Pourquoi pas, donc, réaliser cette partition à distance, j'imagine sans que les performers aient connaissances de ce que les autres peuvent jouer ? C'est le parti pris de Johnny Chang (violon), Jürg Frey (clarinette) et Sam Sfirri (mélodica) qui ont enregistré cette réalisation entre la Suisse et les Etats-Unis, sur un intervalle d'une année, et ont également choisi de réaliser chaque partie sur une durée de 3 minutes (parti pris certainement liée à la "structure" des pièces autant qu'à la contrainte de pouvoir insérer chaque partie dans un disque).

Les 21 parties de drei sont composées de la même manière : chaque membre du trio se voit attribuer deux blocs de traits à jouer (entre un et trois). C'est la reproduction que l'on peut trouver à l'intérieur de la pochette en tout cas, et je ne sais pas si la pièce originale comporte des indications écrites supplémentaires. En tout cas, le trio joue cette partition uniquement avec des notes, simples, sensibles et régulières. Des notes plus ou moins longues, qui durent entre trois et vingt secondes peut-être, séparées par de longs silences. L'espace sonore est délicatement sculpté par les notes, le silence semble comme creusé par les interventions, à moins que ce ne soit les interventions qui ne soient sculptées par le silence. Il est difficile de séparer les deux, car dans ces partitions, c'est certainement la durée qui sépare chaque son qui importe le plus.

Et le trio fait justement attention à ceci : les interventions sonores sont monotones, discrètes et délicates, pour justement ne pas trop se mettre en avant, pour que ce soit au contraire la durée entre chacune des interventions sonores qui soit au premier plan. Une réalisation très précise dans la mesure où chaque son est toujours égal aux autres en volume et en intensité, et que l'interaction entre les sons est oubliée et niée au profit de l'interaction entre les sons et le silence. C'est beau, fin, précis, et exigeant.

Beat Keller & Reza Khota play 11 Microexercises by Christian Wolff

BEAT KELLER & REZA KHOTA - 11 Microexercises by Christian Wolff (Wandelweiser, 2013)
En 2006, Christian Wolff écrivait la série des Microexercises avec pour contrainte de ne pas utiliser plus de cent notes par exercices. Je crois qu'une vingtaine de pièces ont ainsi été écrites, la plupart du temps sans indication d'instruments. Pour changer, il s'agit uniquement de pièces courtes, des durées de moins de dix minutes semblent en effet induites par la contrainte du nombre de notes. En 2013, les deux guitaristes Beat Keller et Reza Khota ont décidé de réaliser onze de ces Microexercises pour les éditions Wandelweiser.

Je ne connais pas du tout ces musiciens, mais apparemment, ils viennent plutôt des milieux jazz, rock et conservatoire. On peut le lire sur leurs sites, mais surtout, ils le laissent clairement entendre. Beat Keller & Reza Khota jouent en effet ces Microexercises en introduisant de nombreux idiomes (phrasés et accentuations plutôt jazz, fuzz et vibrato aux intonations rock et psyché). C'est étrange de se dire qu'on est en train d'écouter des pièces de Wolff à vrai dire : on dirait plutôt une suite de courts morceaux de jazz/rock vaguement expérimental, avec quelques drones par-ci par-là, et quelques arpèges atonaux. Mais voilà, quand on écrit des partitions ouvertes ou indéterminés, c'est une des possibilités qui est laissée aux musiciens, c'est le "risque" comme certains pourraient le penser.

Khota & Keller prennent ici le parti de réaliser ces pièces en intégrant leur expérience musicale, aussi idiomatique soit elle. Et c'est certainement pas un mauvais parti pris je pense : plutôt que de jouer ces partitions comme des exutoires puisque tout est permis, Khota & Keller les jouent avec sérieux, avec leurs bagages, leurs histoires, leurs goûts pour certaines formes musicales et certaines sonorités. Ca ne ressemble pas du tout à ce qu'on a l'habitude d'entendre de la part de Wolff, et tant mieux j'ai envie de dire, car Keller & Khota réalisent ces exercices en étant fidèles à la partition d'une certaine manière (puisqu'ils ne s'occupent pas de comment "Wolff  doit sonner"), et fidèles à eux-mêmes, ce qui est une certane manière de respecter ce genre de composition aussi.