Claudio Rocchetti - the fall of chrome (livre + cassette)

CLAUDIO ROCCHETTI - the fall of chrome (Musica Moderna, 2013)
Claudio Rocchetti est un artiste sonore qui travaille à partir des cassettes depuis de nombreuses années. Durant une pause au cours de laquelle il a collectionné encore et toujours des cassettes, il a également soumis ses interrogations à d'autres musiciens à propos du rapport de l'artiste aux cassettes en tant qu'instruments.

De cette collection et de ses interrogations, deux objets en ressortent maintenant. Le premier est une composition de trois heures à partir de 300 cassettes collectées et trouvées sur des marchés. Rocchetti a écouté et assemblé ces bandes en une longue pièce de trois heures, dont la version finale n'existe pas. Seuls des fragments de cette pièce ont été réengistrées sur les cassettes qui ont servies de matériau initial. La composition est ainsi éparpillée sur les cassettes, qui de matériaux de composition, deviennent matériaux de diffusion et de publication : ce sont les cassettes qui ont servies à cette pièce qui sont maintenant revendues par le label. Car le but de Rocchetti semble être avant tout de bien faire interagir les matériaux de production et de diffusion, de mélanger sa composition aux débris et aux souffles des cassettes initiales. Ainsi, après une altération (qui n'est autre que le processus de composition), toutes les cassettes collectées sont maintenant revendues et réexpédiées. Rocchetti explore la texture des cassettes, la texture des environnements (qui peuvent aller des interviews aux démos, des compils de jazz aux méthodes de couture), et nous les relivre non pas tel quel (chaque enregistrement est fortement filtré et modifié, et est souvent submergé par le souffle de la bande), mais presque, car le souffle et la détérioration de la bande sont bien là.

C'est la première fois que j'écoute les travaux de cet artiste, et son rapport au support magnétique semble plutôt complexe. Rocchetti travaille les bandes pour leur texture, mais aussi pour la texture des machines qui les diffusent, pour leur souffle, et pour la disparité de ce qu'on trouve sur des bandes récupérées au hasard, pour les environnements hétéroclites. Un rapport complexe qui suscite des interrogations sur l'utilisation musicale de la bande, sur le bruit de manière générale, sur l'évanescence des enrgistrements, sur le silence aussi, sur la perception.

Et ces interrogations, il les soumet à de nombreux artistes qui travaillent également avec ce support. D'où le deuxième objet, un livre où les musiciens sont invités à parler de quelque manière que ce soit de leur rapport aux bandes. Parmi eux, Jérôme Noetinger, Brendan Murray, Daniela Cascella, Mattin, Ray Brassier, Howard Stelzer, John Olson, Lionel Marchetti, Ralf Wehowsky et Aaron Dilloway - pour ne citer que les plus connus - répondent par des entretiens, des discours philosophico-esthétiques, des dessins, des croquis, des poèmes-partitions, des collages, des photographies, des reproductions de pochette, etc. Un livre qui donne des réponses et pose des questions de manière poétique, philosophique et artistique.

Publication conceptuelle assez intéressante sur le rapport musical et personnel aux bandes (sur sa pertinence ou non, sa richesse, sa dimension politique, ses problèmes technologiques), ainsi que sur l'altération et la détérioration des supports d'enregistrement.

Adrian Rew - Slot Machine Music

ADRIAN REW - Slot Machine Music (Ergot, 2013)
A trois reprises, Adrian Rew s'est rendu dans des casinos américains, un micro caché dans sa veste, pour capturer l'environnement sonore de cet univers méconnu. Le résultat : Slot Machine Music, un disque court mais extrêmement intense, le genre de disque qui fait pousser un soupir de soulagement à la fin de chaque piste.

L'écoute de ces enregistrements relève d'une expérience similaire à l'écoute de harsh noise en fait. J'ai rarement entendu de field-recordings aussi massif, agressif, essoufflant et dense. Musiques d'ameublement permanentes, cris, annonces, dialogues, bruits et musiques des machines, l'univers sonore des casinos est saturé. Le flot d'informations est massif, énorme. Une expérience très intense qui peut faire penser aux musicircus de Cage, car la superposition d'informations empêche la concentration sur un élément, tout est aussi important, que ce soit de la musique, des bruits, la parole, etc. et chaque audition se révèle alors unique, puisqu'on ne se concentre jamais sur la même chose.

Vous l'aurez compris, l'écoute de ce disque est plutôt difficile. Les enregistrements ne sont pas traités, ils sont laissés tels quels : bruts, denses, répétitifs, assomants, forts - comme une balade en métropole... L'écoute ne relève pas du plaisir, mais de l'agression pure. Du moins au niveau sonore. Car à un autre niveau, les enregistrements relèvent également du sociologique et de la théorie sociale. Avec ces trois pièces, Adrain Rew pénètre un univers méconnu des non-initiés, il le pénètre et en dévoile les aspects aliénants et manipulateurs. L'accord des machines entre elles, les différences de volume, tout relève d'un calcul basé sur la manipulation des clients, la manipulation de ses faiblesses, de ses addictions et de son inconscient, sur l'incitation permanente au jeu, à la consommation. Et par extension, on se doute que l'univers visuel et olfactif est régi de la même manière. Et que de toute manière, nos centres commerciaux, nos logements, nos rues, nos salles de spectacles, nos centres sociaux, nos villes, tout est régi de cette manière : par un chaos sonore et visuel qui nous impose la consommation.

Slot Machine Music nous plonge alors dans le coeur même de cette imposition violente et souveraine. Toute la violence que l'environnement exerce sur chaque personne se trouve mise à nue dans sa couleur la plus brute et la plus dure. Rarement une collection d'enregistrements de terrain ne m'a paru aussi intéressante au niveau sociologique. Il ne s'agit pas tant de recherche sonore pure ici - même si l'univers sonore des casinos est vraiment unique et très riche - mais plutôt de dévoiler la violence que l'environnement peut exercer, et elle est admirablement dévoilée ici. Dur, sans concession, épuisant, inhumain, laid : parfaitement à l'image de ce qui nous entoure - ce que je trouve aussi intéressant qu'admirable.

Francisco Meirino / Kiko C. Esseiva - Focus on Nothing on Focus [LP]

MEIRINO/ESSEIVA - Focus on Nothing on Focus (Aussenraum, 2013)
Focus on Nothing on Focus est un split qui regroupe deux artistes sonores ayant chacun travaillé sur les mêmes sources audio. Un matériau initial très riche, enregistré et échangé durant plusieurs mois, composé d'enregistrements au magnétophone, de prises de son au micro-contact, de synthétiseurs, d'objets, etc.

La première face, intitulée "Focus on Nothing", est une composition de Francisco Meirino. Le matériau initial est ici assemblé en une longue pièce qui joue sur la juxtaposition, le montage et la superposition des éléments sonores. Cette composition de Meirino possède quelque chose de cinématographique, ou de narratif en tout cas. Une sorte de post-musique concrète où les éléments sonores sont souvent d'origine acoustique, on reconnaît le frottement d'objets en métal, une sorte d'accordéon ou d'harmonium, et quelques autres sources acoustiques. Mais rien n'est figuratif, la musique de Meirino est construite de manière assez abstraite, les sons perdent leur contenu premier pour ne devenir plus qu'une forme au service de la composition. Meirino construit alors une pièce de manière cohérente et logique, où tout s'enchaine et s'assemble avec clarté, intelligence, avec beaucoup d'attention et de précision aussi. Un très beau collage et assemblage de sources très diverses, qui ne sont pas forcément personnelles en plus.
Quant à "Nothing on Focus", la face composée par Kiko C. Esseiva, elle est déjà plus proche d'une musique électroacoustique. On reconnaît les mêmes sources, assemblées d'une manière plus éclatée et moins narrative, mais ici, tout se joue dans l'instant plus que dans la globalité, dans la modification plus que dans la construction. Esseiva cherche moins à assembler les éléments qu'à les travailler. Il y a bien un montage, mais ce n'est qu'un prétexte au travail sur les sources mêmes, à la recherche abstraite sur le matériau sonore même, sur sa réalité physique et acoustique. De nombreux effets et filtres, changements de vitesse, distorsion, saturation, contribuent à extraire des sonorités nouvelles des sources initiales. Un très beau travail sur l'acoustique des sources, sur leurs textures et leurs grains au-delà des seuils de perception humaine.

Deux très belles pièces d'art sonore électroacoustique, qui proposent deux directions et deux formes de travail possible du son. C'est riche, très inventif, soigné, travaillé, et beau.

Looper - Matter [LP]

LOOPER - Matter (Monotype, 2013)
Voici le quatrième opus du trio Looper, pulié en vinyle par Monotype. Avec un Suédois, un Norvégien et un Grec, c'est typiquement le genre de formation qui ne tourne pas beaucoup et qui a du mal à enregistrer, chaque sortie est donc un plaisir renouvelé, surtout que j'adore ce trio qui regroupe Ingar Zach (percussions), Martin Küchen (saxophone & radio) et Nikos Veliotis de Mohammad (violoncelle & vidéo - qu'on ne voit pas...).

La formule n'a pas changé mais est toujours aussi réjouissante. Sur quatre pièces, Looper explore de longues notes tenues et en explore l'organicité sans trop de variations. Une musique proche du drone et de l'ambient toujours, de longues basses produites avec une précision et une régularité vraiment surprenantes pour un violoncelle (désaccordé) et des percussions. Ingar Zach surtout explore des toms et des gongs (ou cymbales) gigantesques à un volume assez faible, avec une finesse et une délicatesse incroyables. Quant au violoncelle de Nikos Veliotis, sa manière de s'intégrer au nuage sonore est tout aussi fine et subtile. Et sur ces deux couches sonores souvent indiscernables, Martin Küchen rajoute des souffles mélodiques et des bribes de fréquences radios qui donnent du relief, de la poésie et de l'intensité à chacune de ces pièces.

Looper continue d'explorer des espèces de nuages sonores inédits, avec des fréquences extrêmes mais très douces, fines, poétiques et subtiles. Le trio propose une nouvelle fois une forme de drone/ambient intime et poétique, lumineux et langoureux. On se retrouve immergé dans une masse sonore non violente et non agressive, une masse lumineuse et douce, belle, travaillée, propre et surtout intime. Car la musique de Looper, du fait de l'instrumentation d'accord, ne ressemble à aucune sorte de drone ni d'ambient, elle ressemble avant tout aux rêves et aux envies les plus intimes de chacun de ces trois prodiges. C'est une musique créative, personnelle, onirique et organique, belle et sensible. Très beau travail encore.

Håkon Stene - Etude Begone Badum & Bone Alphabet

Le percussionniste Håkon Stene vient de faire paraître sur le même label deux disques où sont présentées des réalisations de compositions diverses mais toutes passionantes. Il ne s'agit donc plus d'improvisation libre ni de free jazz ici, puisque Stene ne joue ici que de la musique écrite, par des compositeurs éminents tels Alvin Lucier, Brian Ferneyhough et Michael Pisaro, ainsi que Lars Petter Hagen et Marko Ciciliani.

Sur le premier disque intitulé Etude Begon Badum, Stene réalise trois longues pièces entrecoupées par trois courts interludes de Lars Petter Hagen - miniatures électroacoustiques mélancoliques et poétiques, mais vraiment très courtes, trop courtes. La première pièce est donc un duo pour guitares électriques, écrite par Marko Ciciliani et réalisée par lui-même en compagnie de Stene. Deux guitares sur table, avec pédale fuzz et wah-wah accentuée, des notes répétées qui forment une pulsation puis une étrange nappe. La pièce est divisée en plusieurs parties, des parties fortes, mélodiques, faibles, pulsées ou texturales. C'est clair, mais on ne comprend pas trop ni le but ni l'intérêt. La forme est plutôt linéaire et les sonorités sont plutôt anodines...

C'est ensuite que ça devient plus intéressant. La deuxième pièce présentée est Silver Streetcar for the orchestra d'Alvin Lucier. Pour ceux qui ne connaissent pas cette partition, il s'agit d'une oeuvre solo pour un joueur de triangle, qui modifie la pression des doigts, la pulsation et la force de frappe, et peut se déplacer pour modifier les résonances. Le lieu choisi par Stene pour cet enregistrement est une pièce avec une réverbération grandiloquente. Le triangle prend ainsi une dimension très riche, offre des textures différentes et une présence très surprenante selon les déplacements et les différentes variations. Je ne suis pas sûr que c'est précisément ce que recherchait Lucier, mais Stene parvient à donner une intensité et une force exacerbées à cet instrument pourtant tout ce qu'il y a de plus discret et anodin.

De la même manière, Ricefall (1), de Michael Pisaro, est réalisée de manière à submerger l'auditeur par des flux sonores. Si l'auditeur se retrouve noyé dans les résonances du triangle pour la pièce de Lucier, il se retrouve ensuite noyé dans le déluge de riz conçu par Pisaro. A la base, cette pièce est construite en plusieurs parties où des grains de riz sont laissés tomber sur différentes surfaces résonantes. Stene a enregistré une réalisation encore très proche et forte de grains de riz qui semblent tomber à flot. Les résonances s'approchent souvent du bruit blanc, on est littéralement submergé  par les flux et les ressacs de résonances. Pour ces deux pièces, Stene propose une approche qui rend ces compositions minimalistes plus attractives, une approche très physique et brute. On a souvent l'impression d'écouter de la harsh noise, version acoustique. Donc oui, c'est plus facile à écouter, ça prend au corps, c'est plus agressif et attractif, mais la violence exercée sur l'auditeur n'est pas forcément ce que recherchaient les compositeurs. En même temps, c'est ça aussi de laisser beaucoup de libertés, et tant mieux parce que ça change , et c'est bien réjouissant d'entendre de nouvelles propositions qui rompent avec l'orthodoxie.

Contrairement à l'album précédent, le "single" Bone Alphabet est consacré à une approche beaucoup plus rythmique et virtuose des percussions. Bone Alphabet, qui donne son nom à ce disque, est avant une pièce pour percussions de Brian Feneyhough, une des pièces les plus virtuoses pour le répertoire des percussions. L'instrumentation n'est pas fixée, mais l'interprète doit chosisir des instruments à l'attaque très claire et qui n'ont qu'un minimum de résonance, sept instruments dont les hauteurs sont également éloignées. Stene montre donc ici, avec ses blocs de bois, de métal, etc. toute sa dextérité et sa virtuosité pour servir cette pièce polyphonique, éclatée et kaléïdoscopique dont les lignes ont du mal à apparaître dans le flot d'informations. Une réalisation plutôt impressionante de cette pièce extrêmement difficile et pleine de poésie.
Vient ensuite un remix de cet enregistrement par Sir Duperman qui filtre cette réalisation et lui rajoute des effets, pour la détourner, ou la tourner en dérision, de manière assez humoristique, mais tout de même créative malgré la légèreté. Si les percussions sont clairement reconnaissables au début du morceau, elles apparaissent au fil du temps de plus en plus proches d'un Theremin ou d'un synthétiseur modulaire, c'est assez marrant et tout aussi virtuose, mais ça reste anecdotique.

Henrik Munkeby Nørstebø

AS DEAFNESS INCREASES - sans titre (Va Fongool, 2013)
As Deafness Increases est un trio norvégien d'improvisation libre. Sur les trois je ne connais qu'un seul d'entre eux, le tromboniste Henrik Munkeby Nørstebø qui avait déjà sorti un beau solo sur creative sources il y a quelques temps, et il est accompagné ici par Inga Margrete Aas à la contrebasse et Rudolf Terland Bjørnerem à la guitare électroacoustique.

Ce nouveau projet de jeunes musiciens nous propose encore un "subtil mélange d'improvisation et de composition". C'est à dire, une musique très propre et lisse toujours, qui joue par moments sur les clusters et les techniques étendues, puis passe à une forme très aérée qui prend en compte le silence sans trop l'assumer non plus, en passant par des interludes avec mélodies et/ou ostinato. C'est joli, c'est propre, c'est bien fait. Comme toujours. Mais il n'y a rien non plus de très excitant, ça ressemble à de l'improvisation libre très, très consensuelle : sans énergie, sans urgence, sans prise de risque.

Ceux qui aiment les formes d'improvisation proches de Kim Myhr et Xavier Charles aimeront peut-être. Ce trio joue quand même en faisant attention à créer un son de groupe (un son délicat et pointilleux), il fait attention aux textures, à l'interaction, et tout : mais sans trop prendre de risque non plus. C'est doux, bien fait, parfois mielleux, parfois rugueux mais pas trop, mais toujours très attendu et consensuel comme le double solo chroniqué précédemment.

LANA TRIO - sans titre (Va Fongool, 2013)
Quant à Lana trio, il s'agit là d'une formation de jeunes musiciens norvégiens toujours, avec le tromboniste Henrik Munkeby Nørstebø, Andreas Wildhagen à la batterie et Kjetil Jerve au piano. Trois musiciens qui collaborent ensemble ou séparément depuis environ six ans, et qui proposent ici une collection de neuf improvisations libres, usant parfois de partitions graphiques.

Encore une fois, rien de très original, mais j'aime déjà bien plus. Il s'agit d'improvisation libre plutôt énergique, de l'improvisation non-idiomatique avec l'énergie des formations européennes des années 60 et 70. Lana trio explore l'interaction sous sa forme dense et réactive, riche et intense. Clusters, blasts, phrasés secs, un trombone en grande forme qui joue sur la puissance des cuivres, un piano percussif et une batterie énergique. La plupart du temps, il se passe beaucoup de choses, il s'agit d'improvisation collective sans hiérarchie où les instruments n'ont pas de fonctions préétablies, et les trois musiciens mettent toute leur énergie ensemble pour des pièces denses et puissantes. Bien évidemment - partitions graphiques obligent aussi je pense - vitesse et volume se réduisent par moments pour explorer d'autres sonorités, d'autres formes d'intensité, mais c'est assez anecdoctique, et la plupart du temps, le trio joue surtout sur des vitesses et des volumes élevés.

En tout cas, l'énergie et l'intensité se maintiennent, c'est puissant, honnête, bien joué, l'écoute est là. Même si ça sent la redite, une telle énergie me suffit, c'est déjà réjouissant.

Christian Winther / Christian Meaas Svendsen - W/M

Christian Winther / Christian Meaas Svendsen - W/M (Va Fongool, 2013)
Depuis une ou plusieurs décennies, l'enseignement du jazz est devenu monnaie courante dans les conservatoires et écoles de musique un peu partout dans le monde. Ce qui était transmis de manière orale a été fortement institutionnalisé et la pratique s'est retrouvée considérablement modifiée (je reste neutre mais je n'en pense pas moins concernant le jazz moderne...)  Et maintenant, depuis quelques années, ce sont des leçons et des stages d'improvisations (libres?) qui sont donnés dans les institutions culturelles officielles (conservatoires, festivals, lieux de diffusions, écoles, maisons de quartier, etc.) On a ainsi pu assister à l'émergence d'une nouvelle génération de musiciens issus du classique et des musiques savantes, une génération qui me paraît souvent plus formatée et rigide, moins innovante et très talentueuse en même temps.

Je ne connais pas vraiment le travail et la biographie de Christian Winther (guitare) et Christian Meaas Svendsen (contrebasse), mais ils me semblent assez proches de cette nouvelle vague d'improvisateurs. La seule chose d'innovante sur ce double CD vient plutôt des producteurs en fait, puisqu'il s'agit d'un format original de deux disques solo regroupés en un coffret - avec juste deux titres sur chaque disque où les musiciens jouent ensemble. Quant à la musique, je ferais à peine la différence entre les deux disques tant ils manquent de personnalité. Certaines improvisations sont assez mélodiques et aérées, d'autres se jouent sur les techniques étendues et les textures, d'autres sont plus jazz et rythmiques. Mais toujours la même propreté. Tout paraît très bien organisé, très bien préparé, très propre et lisse, et aussi très attendu. Il manque la prise de risque, l'urgence, et l'importance de l'instant comme de la personnalité propres aux musiques improvisées.

OK ce guitariste et ce contrebassiste assurent au niveau instrumental. Chaque phrase, chaque préparation, chaque son, tout est produit avec une précision et un savoir-faire implacables. Mais ça ne fait pas tout. On aimerait justement des accidents, des prises de risque, et plus de personnalité, que leur talent (indéniable) soit mis au profit d'une musique plus créative, plus innovante.

wasted capital (cassettes)

VASCO ALVES - volume 1 (Wasted Capital, 2013)
C'est la grande mode de publier des cassettes, y compris pour les musiques pop et rock. Parfois, j'ai du mal à comprendre les raisons de ce retour aux bandes, même financièrement je ne suis pas sûr que ce soit plus rentable. Mais pour certaines musiques, le choix est très compréhensible. Quoi de mieux qu'une publication en cassette pour cette nouvelle pièce de Vasco Alves par exemple, qui n'utilise ici qu'un enregistreur cassette portable apparemment très cheap.

En effet, ce premier volume ressemble à une sorte de mix très pauvre, pour cassettes audios dégeulasses. Vasco Alves prend une cassette, la diffuse quelques dizaines de secondes, la ressort, en prend une autre. Sur ces cassettes, ce n'est parfois que du bruit abstrait, des modulations électromagnétiques souvent, des sortes de field-recordings aussi, et des samples de musiques, électroniques ou non. Vasco Alves semble épaté par son enregistreur cassette, par les textures possibles, par les oscillations, les filtrages et les modifications provoquées par les champs magnétiques. Concrètement, ça fait une suite de courtes miniatures qui ne sont reliées que par la démarche, des miniatures disparates traitées dans lesquelles Vasco Alves nous plonge à travers une recherche qui va chercher les grains insoupçonnés des bandes.

Sur cette cassette d'une seule face de vingt minutes environ, on se retrouve plongée dans une sorte de kaléïdoscope lo-fi, proche d'un art brut archaïque, une plongée très physique dans le son de l'enregistreur.

LOUIS RICE - Degenerates (Wasted Capital, 2013)
 Autre cassette parue sur le même label, Degenerates est une suite de courtes pièces - qui semblent en partie improvisées - par Louie Rice (synthétiseur analogique, haut-parleurs, micros et objets), artiste qui collabore entre autres avec Vasco Alves justement.

Je signale leur collaboration car malgré une grande différence instrumentale, une sorte de communauté musicale semble s'établir entre ces musiciens. Sur Degenerates, Louie Rice joue sur des fréquences simples, sur des textures brutes. Comme son camarade, il saute à pieds joints dans le son en tant que phénomène physique. Avec cinq courtes pièces d'environ cinq minutes, Louie Rice s'intéresse à la réalité sensible du son, à sa vibration dans l'air, à sa réalité tactile et acoustique. Les cinq pièces sont assez épurées et dépuillées, des couleurs noisy sont utilisées, on trouve beaucoup de fréquences extrêmes et parfois agressives, des textures abrasives également, mais Louie Rice ne les utilise pas pour leur potentielle agressivité, mais pour leur richesse sensible.

De la noise brute toujours, de la noise dépouillée de son intensité qui s'intéresse surtout aux spécificités sensibles des sons. C'est simple, épuré, direct. Pas de virtuosité, pas d'intensité, mais une réelle attention au son, à sa diffusion et à sa texture. Du travail brut, mais efficace.

Yann Leguay - Quasi Static Crack Propagation

YANN LEGUAY - Quasi Static Crack Propagation (Consumer Waste, 2013)
Le label consumer waste publiait habituellement des disques sous forme d'une pochette en carton recyclée repliée sur elle-même parfois grossièrement, c'était pas très engageant, mais la musique était excellente. Avec ce disque, le label propose un nouveau format de présentation avec une pochette (recyclée toujours) au format 45 tours, plus propre et alléchante, qui inclut également un livret. Et la musique est toujours aussi bonne.

Cette nouvelle formule correspond à la sortie du nouveau Yann Leguay (aussi connu comme Phonotopy), un artiste résidant en Belgique qui s'intéresse beaucoup aux médias de diffusion. Ainsi, un de ses disques vinyles était livré sans le trou central, ou certains ont pu le voir durant certaines performances se livrer à la destruction ordonnée de matériel musical (micros, guitare, etc.). Tout ce qui peut avoir un lien avec la production ou la diffusion de musique intéresse Yann Leguay, et il s'y intéresse la plupart du temps pour mieux le détruire.

Avec Quasi Static Crack Propagation, Yann Leguay s'attache ainsi à détourner plusieurs supports de diffusion courants comme des baladeurs CD, des lecteurs cassettes, etc. Un détournement systématique mais qui n'est pas aussi crade que ce que l'on pourrait attendre de ce type de démarche. Les sonorités trouvées ne sont pas loin de ce que Voice Crack a pu faire, mais ici, il y a un côté plus rigoureux, plus rigide. Yann Leguay n'est certainement pas aussi proche de l'eai et des musiques improvisées que Norbert Möslang déjà, il se situe sûrement plus près de l'art sonore. Cette proximité avec le champs des installations, c'est peut-être ce qui joue sur le processus. Yann Leguay aborde chaque outils sonore un à un au fil des pièces, les outils donnent par ailleurs leur nom à chaque titre. Que ce soit un walkman, un lecteur cassette ou un disque dur, l'artiste l'aborde sous un angle précis, il capte rarement plus d'un ou deux sons et compose une pièce avec ce matériau réduit. Ce n'est pas très vivant, les morceaux sont assez statiques, comme le titre l'indique, ou répétitif et mécanique, et utilisent un matériau de base plutôt réduit, Yann Leguay joue sur des variations sensibles et physiques du média à travers les interactions éléctromagnétiques et la proximité des micros.

En tout cas, il fait preuve d'une grande inventivité, et parvient à faire ressortir des textures insoupçonnées des médias détournés. Et tout ça est fait avec une grande minutie, avec une précision et une finesse rares. Les sonorités sont proches de la noise - granuleuses, abrasives, extrêmes, mais ce n'est pas de la noise pour autant. Yann Leguay fait du bruit, mais pas pour faire du bruit. Il fait du bruit peut-être pour démontrer la richesse d'un acte destructeur, ou la richesse du détournement. Plus que le résultat, déjà impressionnant et riche par lui-même, c'est le processus qui compte. Un processus qui dévoile également les processus généraux de la musique et qui en fait une sorte de musique réflexive. Yann Leguay dévoile le bruit qui sous-tend chaque support de diffusion, le bruit quotidien qui se terre derrière chaque diffusion sonore, du téléchargement d'un disque de breakcore à l'écoute des Beatles pendant son jogging ou à l'enregistrement cassette d'une interview familiale.

Une suite créative, intéressante, qui ouvre de nouveaux territoires et pose des questions sur les processus de diffusion de la musique, des questions mises en musique qui forment une suite de pièces plutôt jouissives. Une vraie curiosité, plutôt réjouissante.

Hum.rec (cassettes)

JOSSELIN ARHIMAN - Grains de table (Hum, 2013)
Troisième publication du label Hum rec spécialisé dans la micro-édition de cassettes noise, électroacoustiques et expérimentales, Grains de table est une suite de quatre pièces pour ordinateur et table de mixage bouclée sur elle-même, réalisée par le jeune musicien poitevin Josselin Arhiman. Ce dernier utilise habituellement le piano et semble plutôt proche du jazz moderne et de la musique improvisée acoustique, des projets en fait très éloignés de ce premier album solo.

Car pour Grains de table, Arhiman est plus proche des univers harshnoise et power electronics que du jazz et de l'improvisation instrumentale. Grains de table utilise en effet de nombreux effets de distorsion et de saturation, des murs de bruit blanc dégueulasse et de larsens qui recouvrent des beats puissants et lourds. La rythmique émerge progressivement, après un chemin difficile à se frayer tant les murs de larsens qui la recouvre sont épais. Mais quel bonheur quand ces beats émergent. C'est lourd, gras, épais comme l'accumulation de larsens, mais cette pulsation, qu'elle soit à l'état latent ou effectif, est ce qui donne toute la cohérence et l'intensité de ces pièces.

Une suite de quatre pièces fortes, crades, épaisses et lourdes, du power electronic pas très original mais franchement efficace et réjouissant.

split ARNO BRUIL/FUSILLER (Hum, 2013)
Au même moment, le label Hum a également publié un split avec Fusiller et Arno Bruil. Je ne connais pas le premier, mais Arno Bruil, outre son projet solo qui tourne pas mal dans l'ouest, fait également partie de France Sauvage, groupe bien connu des scènes alternatives françaises.

Ce dernier occupe la première face de cette cassette avec une longue pièce en plusieurs parties. Chaque partie développe une ambiance particulière qui ne porgresse pas beaucoup, des ambiances assez statiques et répétitives composées de larsens, de field-recordings et de cassettes. Du bruit, du bidouillage, un chant, des mélodies électroniques, et des atmosphères singulières. Ce n'est pas très percutant, mais les univers ont quelque chose d'intime et de personnel, c'est plutôt original et assuré comme travail. Pas mal.
Quant à la face avec Fusiller, il s'agit aussi de samples, de bidouillages, d'électroniques. Le son est plus crade souvent, c'est brut et plus sombre. L'ambiance est post-apocalyptique plus, c'est noir, dévasté et industriel. Une musique de parasites et de recyclage en somme. Industrielle, sombre, parfois glauque, parfois puissante, toujours noisy. Ce n'est pas non plus très excitant, mais comme pour Arno Bruil, ça ouvre de belles perspectives, on a envie d'en écouter plus.

(informations, écoute et téléchargement gratuit sur : http://www.humrec.org/releases.php)

dieb13 - trick17 (LP)

DIEB13 - trick17 (Corvo, 2013)
J'imagine que la plupart des lecteurs de ce blog connaissent déjà dieb13, platiniste viennois renommé du noise et de la musique improvisée. S'il détourne souvent des lecteurs casettes, des disques durs et lecteurs CD, c'est surtout pour son utilisation et ses manipulations du support vinyle qu'on le connaît. Mais sur ce dernier solo intitulé trick17, il ne s'agit pas (que) de collages et de découpages suractifs et virtuoses à la erikM, dieb13 propose une oeuvre en deux parties très construites et loin d'être spontanées, qui s'intéresse également à la programmation, au design, et aux structures.

La première face, la face "audible" du disque, est une longue pièce d'une vingtaine de minutes structurée comme une pièce romantique. En plus de platines, utilisées en lecture normale ou modifiée, dieb13 joue également avec un dispositif électronique pour cet enregistrement. L'aspect romantique, on ne le trouve ni dans l'instrumentation ni dans l'écriture harmonique évidemment, mais plutôt dans le jeu sur les rapports de densité (qui était extrêmement important chez quelqu'un comme Wagner par exemple). Toute la pièce est construite à partir de progressions et de régressions massives, il s'agit d'un bloc de son continu et compact, qui progresse de manière ténue et sensible, et qui ne cesse de s'éclaircir, de devenir opaque, brumeux, et de s'alléger à nouveau. Une foule de détails parfois microscopiques compose ce nuage sonore évolutif, dieb13 change constamment de sonorités, de sources et de densité sonore, tout en conservant la même intensité et la même attention au son durant cette face. Pas mal en somme, un travail riche, réfléchi, propre et maîtrisé, mais qui comme les compositions du 19e, me laisse souvent l'impression d'être perdu dans un nuage informe...

La seconde face, "visible" cette fois, du disque, m'a bien plus convaincu. Une face visible car le son apparaît sur le design du disque : les sillons forment une spirale dessinée et programmée par dieb13. Le concept n'est pas très aguichant, peut paraître simpliste même, mais le résultat est vraiment bon. Un bloc de son, mur de bruit blanc (ou rose comme le vinyle) qui oscille progressivement, est découpé très nettement de manière mécanique et hyper régulière à un tempo moyen. Une seconde de bruit, une seconde de silence, et ainsi de suite durant une vingtaine de minutes toujours. Une pièce vraiment simpliste donc, mais cette simplicité la rend d'autant plus efficace. C'est brut, sauvage, obsédant, obsessionnel même, et puissant. Effets psychoacoustiques garantis avec la force du beat dessiné par les sillons, la puissance d'un mur de son harshnoise, l'intensité des modulations de fréquences technoïdes. A l'inverse de la première face qui se basait sur une continuité temporelle, "visible" joue la discontinuité mécanique et obsessionnelle, sur la hachure constante et pulsée d'un mur de son qui conserve toute sa puissance sans qu'on ne se lasse jamais.

Recommandé au moins pour cette seconde face sauvage et psychotique.

Antoine Beuger & Michael Pisaro - this place/is love

BEUGER/PISARO - this place/is love (Erstwhile, 2013)
this place/is love réunit ceux que je considère comme les deux plus importants membres de wandelweiser : Antoine Beuger et Michael Pisaro. Le premier est connu pour être l'un des co-fondateurs du collectif, pour diriger également l'organe d'éditions, mais surtout il est pour moi l'un des compositeurs les plus radicaux de wandelweiser pour les questions qu'il soulève. Quant à Pisaro, s'il fait partie des plus intéressants à mon avis (c'est même celui que je préfère de loin), c'est d'une part pour sa sensibilité au son très poétique, et aussi pour sa fidélité aux recherches propres au collectif dénuée de toute orthodoxie. Mais passons plutôt à cette collaboration plus qu'aguichante...

Il s'agit d'une pièce en trois parties composées de plusieurs éléments qui forment des strates apparaissants et disparaissants dans les temps. Ces éléments sont un clavecin, une guitare, la voix, le texte, des sinusoïdes, des field-recordings et des silences. Chaque partie dure une vingtaine de minutes et des textes lus par Beuger forment les deux transitions et la conclusion. Petit à petit, les parties sont de plus en plus épurées et minimalistes. Ainsi, la première est constituée de l'ensemble des éléments listés plus haut et ressemble beaucoup à une pièce de Pisaro. Il y a un field-recording, enregistrement d'une ambiance assez banale et quotidienne, et chaque instrument, tout comme les voix et l'électronique, épaississent l'enregistrement sans prendre le dessus. Généralement, un seul ou deux éléments au maximum établissent ainsi le dialogue avec l'environnement. Puis, sur la deuxième partie, l'environnement prend le dessus, les musiciens sont moins présents, plus abstraits, moins mélodieux, les voix disparaissent. Enfin je dis ça par préjugé, comme si le contrôle était laissé entièrement aux musiciens, mais comme je le disais, c'est surtout le field-recording qui prend le dessus, qui a plus de présence et est plus abstrait. La musique tend alors à s'évanouir, à devenir d'une évanescence poétique face à l'environnement.

Ce qui est mis en avant durant ces deux parties, c'est essentiellement l'influence qu'un changement d'environnement peut avoir sur la musique, sur l'influence que l'environnement a réellement, quelque soient les outils utilisés et l'environnement. Et ceci est encore mieux perçu durant la dernière partie, la plus émouvante. Au bout de cinquante minutes et jusqu'à la fin du disque, la musique est réduite à une seule note de guitare suivie d'une fréquence simple, comme sa résonance artificielle. Une note pure, médium, calme, accompagnée d'une fréquence qui s'évanouit sans "laisser de trace", répétée à intervalles irréguliers et laissant place à de longues plages de silences. C'est alors l'environnement de l'auditeur et sa perception qui prennent la place des field-recordings précédents. Et ce changement radical opère une influence encore plus importante sur la musique entendue. Dorénavant, les musiciens ne sont plus face à un environnement choisi, mais face à une infinité de possibles laissée à l'auditeur. Et c'est je pense ce qui rend cette partie aussi émouvante, la présence minimaliste, répétitive, stoïque et fantomatique des musiciens face à la multitude oppressante d'environnements éventuels auxquels Beuger et Pisaro répondent. Il s'agit d'une confrontation stoïque et poétique, mais vraiment poignante. Un grand moment.

Cette confrontation et ce stoïcisme se retrouvent aussi dans les questions posées par le texte lu aux moments clefs de this place/is love. Des questions poétiques sur la présence du son, une poétique psychoacoustique, qui pénètrent littéralement l'oeuvre et ne lui est plus seulement sous-jacente comme dans les travaux récents de Malfatti. Beuger et Pisaro semblent souhaiter accéder à un "état de virginité" qui les amènerait à être "fragiles" et "réceptifs" face à l'environnement, un état "plein de promesses" où une multitude d'attitudes serait envisageable face à une foule d'environnements possibles. "Les mots ne laissent pas de trace", on ne peut qu'adopter une attitude d'amour et d'innocence face à l'environnement, le recevoir pleinement et s'y intégrer jusqu'à l'évanouissement de la personnalité ; il ne sert à rien de tenter de la maîtriser, il faut seulement l'accepter entièrement.

Une collaboration magique, extrêmement forte et émouvante. Hautement recommandé.

Nicolas Wiese - Living theory without anecdotes (LP)

NICOLAS WIESE - Living theory without anecdotes (Corvo, 2013)
Nicolas Wiese est un artiste audiovisuel et compositeur de musique électroacoustique qui réside à Berlin, où il co-dirige notamment quiet cue, haut lieu berlinois de diffusion de musiques expérimentales.  Et hormis ces quelques éléments ainsi que ce qu'il met en oeuvre dans living theory without anecdotes, je ne pourrai pas en dire plus sur ce musicien dont j'entends parler pour la première fois.

D'ailleurs, ce qui est mis en oeuvre sur ces quatre pièces n'est pas évident à décrire et je ne suis pas sûr de pouvoir en dire très long dessus. Sur ce disque Nicolas Wiese est crédité à l'électronique seulement, mais le plus intéressant ne réside pas tant dans l'instrumentation que le processus, qui en dit plus long sur sa sensibilité. Ce qui est surtout marquant au premier abord, c'est l'utilisation récurrente d'enregistrements orchestraux et d'instruments acoustiques ; des enregistrements qui se distinguent parfois nettement des ambiances électroniques, mais qui se noient aussi parmi elles à d'autres moments. Les enregistrements sont collés, bouclés, modifiés, filtrés selon les buts proposés par la composition et la structure. Ils sont parfois utilisés tel quel, avec leur motif, leur couleur, leur mélodie et leur hauteur - formant un contrepoint aux nappes électriques ; ou bien ils sont utilisés comme une source sonore quelconque et ils se noient alors dans les flux électroniques abstraits.

Je disais aussi plus haut que ce disque est difficile à décrire, et ce à cause d'une caractéristique inhabituelle. Les compositions de Nicolas Wiese ont quelque chose de très flottant et d'incertain dans leur structure. On se trouve au beau milieu d'un crescendo, d'un decrescendo, d'une rupture, etc. sans trop savoir si c'est important ni comment on y est arrivé. Le son change, une partie se termine, une dynamique est rompue, une atmosphère laisse place à une autre, mais l'intellect ne saisit que difficilement ce qui se passe. Car ce qui importe apparemment le plus, c'est la relation entre la nature des sons et leur diffusion dans l'espace. Les quatre pièces présentées ici composent des architectures sonores à partir des notions de volume, de géométrie spatiale, de traversée, de différents niveaux et strates qui se ressentent et s'expérimentent plus qu'ils ne se comprennent. Car de même que le propre de l'architecture est de ne pouvoir être saisie qu'à travers le vécu, la musique de Nicolas Wiese n'est saisie qu'à travers l'expérience, qu'à travers l'écoute. Seule une écoute et l'expérience sonore peuvent réellement dévoiler sa nature et sa structure.

Un très beau travail de composition électroacoustique sur l'expérience vécue du son, sur sa spatialisation, et sur l'intégration d'éléments instrumentaux et musicaux dans une structure architecturale flottante et abstraite qui ne se saisit qu'à travers l'écoute.

baskaru

EMMANUEL ALLARD -  Nouvelles Upanishads du Yoga (Baskaru, 2013)
Sur les Nouvelles Upanishads du Yoga, comme le titre ne l'indique pas, Emmanuel Allard propose une investigation du larsen en sept parties, à partir d'une table de mixage bouclée sur elle-même. Ce qui m'étonne le plus dans cette proposition, c'est qu'Emmanuel Allard explore les circuits fermés comme s'ils devaient encore faire leurs preuves, comme si le public de ce genre de musique n'était pas déjà convaincu de la richesse des feedbacks.

C'est la première fois que j'entends le travail de ce musicien, je ne sais pas s'il utilise ces systèmes régulièrement ni depuis combien de temps. Mais sur ce disque, Emmanuel Allard propose d'explorer soit une texture, soit une ambiance, soit une dynamique, un mode de jeu (le glissando est largement privilégié, à cause des potards). Il y a parfois d'excellentes trouvailles, comme sur "L'art noir" où la table de mixage s'approche du chant d'animaux abyssaux, des textures inattendues. Mais dans l'ensemble, le champs de recherche ne s'étend pas beaucoup plus loin que ce qu'on a déjà l'habitude d'entendre : oscillations de fréquences qui se frottent de manière corrosive, fréquences extrêmes, etc. Là où le musicien est peut-être le plus inventif, c'est dans la construction de nappes lisses et dans la création d'atmosphères vraiment singulières par contre.

Les sept pistes forment donc sept univers distincts et différents qui ne trouvent leur cohérence et leur continuité que dans la volonté exploratrice/investigatrice. Comme si Emmanuel Allard voulait seulement démontrer la richesse des larsens, ce qui n'est pourtant plus à démontrer je pense... Ceci-dit, les feedbacks sont bien maîtrisés, Allard sait faire preuve d'inventivité, et je serais bien curieux de voir cette maîtrise et cette créativité au service d'une projet plus construit et cohérent.

TOSHIMARU NAKAMURA/KEN IKEDA/TOMOYOSHI DATE - Green Heights (Baskaru, 2013)
Toshimaru Nakamura, chef de file du mouvement onkyo et maître de la table de mixage bouclée sur elle-même, fait partie de ces rares musiciens qui, tout en restant très fidèles à eux-mêmes, parviennent tout de même à constamment surprendre. Dans le cas de Green Heights, ce n'est pas tant la performance de Nakamura en elle-même qui est inattendue, que le contexte dans lequel elle prend place cependant. Car aux côtés de Toshimaru Nakamura (table de mixage) se trouvent deux musiciens et artistes sonores aux univers inhabituels : Ken Ikeda (synthétiseur et string decoder) et Tomoyoshi Date (toy piano, orgue, vibraphone, piano et field-recordings).

Ce dernier, qui a également (très bien) mixé le disque, semble être le principal initiateur de cette formation, tant son univers est prépondérant. Tomoyoshi Date emploie des field-recordings comme fonds sonore surtout, pour créer des nappes réelles. Et sur ce fonds, il glisse de douces mélodies au caractère souvent naïf, des mélodies aériennes et harmonieuses au toy piano et au vibraphone. Et à ses côtés, Ken Ikeda appuie l'atmosphère aérienne avec de longues nappes synthétiques, il la renforce ou lui répond par des interventions mécaniques et neutres. Tout comme Toshimaru Nakamura qui construit ici des réponses discrètes mais présentes à ces univers qui ne lui correspondent a priori pas.

Le résultat de cette superposition improbable est doux, gentil et très personnel. Je ne suis pas friand de l'atmosphère souvent naïve et doucereuse de ces cinq pièces, mais je suis vraiment admiratif devant la finesse avec laquelle les trois couches sonores s'imbriquent. Je l'ai déjà dit, les univers de chacun des trois musiciens sont vraiment distincts, les outils/instruments également, et pourtant une profonde unité règne durant cette heure. Chaque couche de son est au même niveau, qu'elle soit intempestive, continue, bruitiste, mélodique, et on a souvent du mal à distinguer qui fait quoi. Chaque strate s'imbrique de manière fine et subtile pour former une suite très cohérente, précise, éthérée, poétique et enfantine. Ainsi Green Heights peut peut-être être une très bonne introduction aux musiques électroacoustiques et réductionnistes, mais de mon côté, je suis plus dérouté que charmé par les aspects poétiques et doucereux de Tomoyoshi Date notamment.

annihaya

MALAYEEN - sans titre (Annihaya, 2013)
Le label Annihaya, comme son cousin Al Maslakh, se consacre principalement à la promotion de la musique expérimentale libanaise, en lorgnant plutôt du côté de l'électro et du rock (par rapport à Al Maslakh qui s'intéresse plus aux improvisateurs. Ainsi du trio Malayeen qui navigue entre musique électronique, traditionnelle, post-rock, tout en intégrant également pas mal d'expérimentations sonores.

Malayeen est un trio éclectique donc, composé de certains des plus importants musiciens libanais actuels (en certains des plus actifs) : Raed Yassin au clavier, platines et électronique, Charbel Haber à la guitare électrique et à l'électronique, Khaled Yassine à la darbouka et aux percussions. Leur musique est un mélange étonnant et abouti de nappes et d'ambiances electronica, de solo (guitare et clavier) sur des modes orientaux qui peuvent rappeler l'improvisation dans les maqam, de samples de musiques populaires issues du Machrek, d'un accompagnement rythmique rapide et virtuose à la darbouka. L'atmosphère est parfois festive, parfois ambient, parfois jazz, et même drum'n'bass à la fin ; et pourtant, il y a une grande cohérence qui traverse ces sept pièces. Il y a d'une part la même énergie qui travers tout le disque, le m^me enthousiasme à créer une musique personnelle à partir d'éléments disparates, et surtout la même volonté d'explorer des territoires nouveaux, personnels et uniques, et d'essayer de les partager au maximum grâce à l'utilisation et à l'intégration d'éléments populaires.

Malayeen parvient à marier des traditions qui auraient pu paraître inconciliables et à produire une musique vraiment fraîche, enthousiaste, généreuse et innovatrice.

RABIH BEAINI - Albidaya (Annihaya, 2013)
Albidaya est un disque solo paru en CD et LP de Rabih Beaini (orgue, synthétiseur analogique, guitare koudede, séquenceur, voix). On retrouve encore parfois des éléments traditionnels, mais il s'agit d'une musique plus abstraite cette fois. Plus abrasive aussi, les huit pièces qui forment Albidaya sont plus marquées par la noise (synthétiseur analogique oblige...). Rabih Beaini propose une suite de pièces folk grandement empruntes d'abstraction sonore et de parasitage électrique. Des boucles électroniques, des nappes ambient d'orgue électrique, sur lesquelles se greffent parfois des improvisations du saxophoniste Piero Bittolon Bon, des improvisations assez jazz qui n'hésitent cependant pas à utiliser les pédales de distorsion jusqu'à ce que le sax se transforme en guitare. 

La musique proposée ici peut rassembler les amateurs de folk et d'electronica qui n'ont pas peur du bruit. Elle pourrait peut-être même plaire à certains amateurs d'electrojazz ou de fusion. A ceci près qu'il s'agit quand même d'une musique souvent abstraite et corrosive, malgré les douces nappes et les boucles. Du très bon travail de neo-folk, un travail qui comprend de la recherche sonore pure, du sensualisme, de la musicalité et de la créativité.

Michel Doneda & Joris Rühl - Linge

MICHEL DONEDA & JORIS RÜHL -  Linge (Umlaut, 2013)
Michel Doneda est une des personnalités françaises qui a beaucoup marqué la musique improvisée, notamment dans les années 90 et 2000, au-delà du saxophone soprano et du cadre national. Il fut l'un des principaux artisans d'une exploration sonore, physique et abstraite des instruments, un de ces instrumentistes qui utilise - par le biais surtout d'un nombre incalculable de techniques étendues - le saxophone comme une machine à son. Au fil des années, les rencontres se sont multipliées autour de ce personnage emblématique, de préférence dans un cadre réduit et intime qui ne dépasse que rarement le quartet.

Aujourd'hui c'est au tour du clarinettiste Joris Rühl de dialoguer avec le saxophoniste soprano Michel Doneda. Hormis un duo piano/clarinette écrit très précisément comme si c'était de l'improvisation libre, duo avec Eve Risser qui était assez intéressant, je ne me rappelle pas avoir entendu d'autres travaux de ce clarinettiste. Et si ce disque m'avait bien plu, ce n'est pas la collaboration avec Doneda qui me donnera envie de le découvrir un peu plus.

Car sur Linge, le duo Doneda/Rühl donc, on a sept improvisations convenues et attendues d'une part - ce qui n'est pas forcément un problème en fait, mais qui d'autre part ne prennent pas. Chaque improvisation est basée sur la tenue de longues notes ou sons aigus, registre où ces deux instruments se confondent aisément. Mais quand j'écoute ces pièces, j'ai l'impression que ce choix de registre est une solution de facilité. Les timbres tendent à se confondre mais se distinguent quand même (peut-être à cause d'un manque de rigueur). Plus que par la spontanéité, ces improvisations semblent marquées par la facilité et la légèreté. En forçant le trait, on imaginerait facilement Doneda et Rühl se dire avant d'entamer leur session d'enregistrement : "on fait quoi alors ? on joue dans des registres et des couleurs semblables ? ça devrait prendre..." Mais malheureusement ça ne prend pas vraiment, ça ne fait qu'une suite plutôt monotone et assez inconsistante qui manque de dynamique, d'interaction et d'aventures.

Rishin Singh - Three Weevils

RISHIN SINGH - Three Weevils (Avant Whatever, 2013)
Rishin Singh est un jeune musicien qui vit à Sydney depuis de nombreuses années et où il collabore régulièrement avec certains improvisateurs comme Jim Denley, Monika Brooks, etc. C'est la première fois que j'entends parler de lui (hormis sa présence sur une composition de Jason Kahn), mais d'après la présentation du label, son travail est axé sur la performance, les partitions, et l'utilisation de textes et du trombone, pour une musique "sensuelle et minimaliste".

Trois pièces sont présentées sur ce disque : de couleurs, de volumes et d'ambiances différents mais qui procèdent toutes d'une même méthode et d'un même but. La première, "Ablute", est une courte pièce de trois minutes sur laquelle on entend une fréquence basse statique et une note grave identique répétée au trombone. Les fréquences s'entremêlent et ne se distinguent parfois que difficilement, étant jouées au même volume. Sur "Vinyl", la plus longue de la série avec ses vingt minutes, Rishin Singh joue sur des volumes très faibles : le stylet d'une platine coincé à la fin d'un disque sert en effet de base environnementale. Le même crépitement faible et mécanique se répète, et Rishin Singh n'intervient que trois ou quatre fois de manière instrumentale. Une même note dispersée aux quatre coins de la pièce, avec la neutralité et la discrétion radicales d'un Radu Malfatti. Plus on avance dans le disque, plus les interventions et les apparitions de Singh se font discrètes, petites, faibles ; pour finalement s'évanouir totalement dans l'environnement sonore. Car sur "Kambah", pièce d'une durée moyenne sur un volume fort, la présence instrumentale et corporelle du compositeur est littéralement noyée par un bruit blanc statique qui ressemble à l'enregistrement très proche d'une cascade durant environ six minutes.

Avec ces trois pièces Rishin Singh orpose des compositions dignes de l'héritage de John Cage, pour le dialogue "sensuel" établi entre le bruit et la musique, la performance et son environnement, et un décentrement radical de la personnalité et de l'ego. Un premier album solo très réjouissant et intéressant, j'attends la suite de ce compositeur...

Ressuage - Semelles de fondation (LP)

RESSUAGE - Semelles de fondation (Bloc Thyristors/Bimbo Tower, 2011)
Après cette semaine consacrée aux différents projets du batteur aux multiples facettes Jean-Noël Cognard, je conclus cette série avec Ressuage, une formation qui regroupe Michel Pilz à la clarinette basse (important musicien pour le free jazz français dans les années 80 - souvent éclipsé par Portal et Sylvain Kassap), Itaru Oki (qui a également beaucoup joué avec Michel Pilz) à la trompette, bugle et flûte, Benjamin Duboc à la contrebasse, Jean-Noël Cognard à la batterie, Patrick Müller à "l'électrosonic", et Sebastian Rivas à l'ordinateur.

La musique de Ressuage semble marquée par les années 70 et 80 : par les nappes électroniques et numériques proches du synthétiseur, par les pédales de réverbération et de delay sur les vents, par l'ostinato et la rythmique binaire - rythmique tout de même éclatée par moments qui pourrait faire penser à une sorte de free jazz fusion moderne. Car oui, malgré tout ça, il s'agit bien de free avant tout. Il n'y a pas de thèmes ni de grilles d'accord, les improvisations sont souvent collectives mais utilisent des modes basés l'ostinato de la basse. La plupart des improvisations sont donc assez mélodieuses, émotives et lyriques (enfin jazzy quoi), la section rythmique précise, minutieuse et primitive (c'est-à-dire plutôt rock). Du coup, c'est à l'électronique de rompre le tout, de former le contrepoint parfait avec des interventions brusques, spontanées et agressives.

Le mélange des genres est étonnant et intime, on pourrait penser à du Miles de la période électrique qui se serait tourné vers le free, ou à du free des années 80 qui n'aurait pas rejeté ce qui l'entourait. C'est d'ailleurs ce qui fait la force et l'originalité de Jean-Noël Cognard : il fait du free et de la musique improvisée sans mettre ses goûts et ses influences de côté. Tout est bien au contraire intégré et composé de manière à créer une musique personnelle, nouvelle et pleine de références. Une musique intime mais tourné vers tous les mélomanes quelque soit leur bagage, et surtout, comme toujours : une musique passionnée, jouée avec passion par des musiciens passionnés.

Brigantin - La fièvre de l'indépendance (LP)

BRIGANTIN -  La fièvre de l'indépendance (Bloc Thyristors, 2013)
Dernière publication en date du label Bloc Thyristors, La fièvre de l'indépendance est un coffret de trois vinyles (deux enregistrements en privé et un live) du quartet Brigantin : Johannes Bauer et Conny Bauer au trombone, Barry Guy à la contrebasse et Jean-Noël Cognard à la batterie. Une formation alléchante puisque, outre le mythique contrebassiste anglais, c'est surtout l'occasion de retrouver un de mes musiciens préférés de l'improvisation libre allemande : le (trop) discret Johannes Bauer.

Une formation également alléchante pour son internationalisme. La présence de musiciens anglais et allemands, en plus du batteur français, oriente le quartet vers de l'improvisation libre mois typiquement française : moins réactive et fracturée, moins contemplative aussi. L'occasion de retrouver l'urgence de l'improvisation libre européenne, son nivellement hiérarchique par le haut, l'écoute attentive et l'interaction sensible entre les voix, etc. Un retour à l'improvisation comme continuité radicale du free jazz - sans l'influence du jazz - comme en produisait FMP et Incus.

Brigantin pratique l'improvisation comme une forme informelle, comme une structure à éclater pour laisser éclore chaque individualité, mais aussi, au même niveau, pour que s'épanouisse la personnalité du groupe pris comme une entité indivisible. Des formes libres, aux durées et aux instrumentations variables, où peuvent pleinement s'épanouir la créativité de Barry Guy et Jean-Noël Cognard, aussi bien que la puissance et le pointillisme furieux de Johannes Bauer. Mais ce qui peut s'épanouir surtout, ce sont les intentions musicales et collectives qui fleurissent durant chaque improvisation.

Chaque pièce proposée par Brigantin est dense, intense et créative. Il se passe beaucoup de choses, des choses jouées avec énergie, avec joie et amour de l'improvisation et de la rencontre. Le quartet semble franchement réjoui de cette rencontre, de cette réunion de quelques uns des esprits les plus fertiles et les plus libres de la free improvisation européenne. Tout le monde joue instinctivement et avec persévérance, toujours à l'écoute du collectif et des intentions de chacun. Mais surtout, chacun joue avec passion, avec un esprit créatif et avec une puissance toujours égale. Excellente rencontre qui, au lieu de proposer quelque chose d'original et creux, propose de l'improvisation libre peut-être archétypale, mais chaleureuse et passionnée.

Jean-François Pauvros, Patrick Müller, Jean-Noël Cognard - Tribraque

PAUVROS/MÜLLER/COGNARD -  Tribraque (Trace, 2012)
Initialement paru en vinyle sur le label Bloc Thyristors, Tribarque est une réédition CD également proposée par le label Trace. Sur ce projet, trois musiciens plutôt furieux sont réunis : Jean-François Pauvros aux guitares, Patrick Müller à "l'électrosonic" et Jean-Noël Cognard à la batterie.

Un autre projet avec Jean-Noël Cognard donc qui présente ici une nouvelle facette et un nouvel univers plus proche de la noise et de l'indus maintenant, ou encore de ce qu'on appelle dorénavant le free rock. Les collaborateurs sont donc bien choisis pour ce type de projet : un guitariste présent aussi bien dans la musique improvisée que dans la noise qui ne lésine pas sur les soli enragés et les explorations soniques, et Patrick Müller qui, derrière son dispositif "électrosonic" qui semble être avant tout un synthétiseur modulaire, est tout autant adepte des effets de saturation, de distorsion et de larsens. Etrangement la batterie est souvent moins rock que d'habitude, mais plus brutale, plus primitive, elle participe aux murs de sons plus qu'elle ne les accompagne. Car le trio joue sur des blocs de sons ou de bruits compacts, sur des masses sonores toujours tendues avec ses composants qui se frottent constamment.

Une musique compacte et massive en somme, mais aussi énergique et intense la plupart du temps. Les six longues improvisations sentent la sueur, les hormones et l'alcool (malgré l'enregistrement dans un auditorium de conservatoire) ; elles semblent revenir à l'énergie primitive et agressive du crust ou du grind. Une musique grasse et lourde, massive et puissante, qui propose tout de même des formes évolutives, fluctuantes et denses. Tribraque forme une suite d'improvisations noisy, énergiques, puissantes, saturées et réfléchies. Des improvisations sûres d'elles-mêmes et dévastatrices. Pas mal.

EMPAN - Entraxes inégaux / TANKJ - Craquer les liants

EMPAN - Entraxes inégaux / TANKJ - Craquer les liants (Trace, 2012)
Il y a environ trois ans, Jean Noël Cognard publiait, sur son label Bloc Thyristors, deux vinyles de projets auxquels il participait : Empan et Tankj. Après un premier tirage limité, le label Trace a récemment réédité ces deux disques en un double CD augmenté de morceaux supplémentaires.

Des deux, c'est surtout le projet Trankj qui a retenu mon attention : un quartet d'eai qui réunit Serge Adam (trompette, bugle), Jérôme Noetinger (dispositif électroacoustique), Titus Oppmann (contrebasse), et Jean-Noël Cognard (batterie et objets). Ce projet possède la même énergie et l'humour d'un disque comme FMP130 tout en revêtant des couleurs plus modernes. Des couleurs et une approche nouvelles dues aux caractères et aux histoires de chacun : aux solides lignes de basse qui dialoguent avec l'influence rock et parois binaire du très énergique Jean-Noël Cognard, aux cuivres passés au crible des pédales de disto, et aux manipulations électriques de bandes magnétiques aux tendances extraterrestres et fracturées.

Tankj propose des pièces courtes, énergiques et étincelantes. Ca pète, ça envoie, c'est inventif, créatif, spontané et tout de même structuré. Une idée est développée sur chaque pièce, une ligne souvent riche et forte sur laquelle se déploie quatre musiciens créatifs et aux personnalités distinctes. De l'improvisation libre originale, qui conserve l'inventivité et la spontanéité de l'eai, la puissance et l'énergie du free rock, tout en proposant une alternative qui ne ressemble pas tout à fait à aucune de ces tendances.

Quant à Empan, il s'agit cette fois d'un quintet plus orienté vers l'improvisation libre acoustique et le free jazz avec Jac Berrocal (trompette, piano), Jean-Noël Cognard (percussions), Béatrice Godeau (violoncelle), Judith Khan (voix) et Dan Warburton (violon, claviers). Ici encore, c'est un projet d'improvisation libre très énergique et réactif, basé sur la spontanéité et utilisant pas mal d'éléments jazz. Et dans le "genre" c'est plutôt réussi, c'est assez efficace (passez moi l'expression...). Seulement voilà, je suis assez voire complètement hermétique au chant dans l'impro libre, ainsi qu'aux touches parfois jazz-rock/fusion de Berrocal et Warburton notamment lorsqu'ils utilisent orgue Hammond (ou autres) et reverb sur la trompette. Pour quelqu'un qui a longtemps détesté le jazz-rock et une grande partie de tout ce qui pouvait être vocal, et qui, en plus, n'est pas un inconditionnel de la free improvisation, ce sont autant d'éléments qui me paraissent difficilement surmontables. Ceci-dit, on retrouve - comme sur les autres prjets de Jean-Noël Cognard - une passion sans préjugés et une énergie viscérale qui sont largement appréciables.

Ce qui me dérange est vraiment personnel, et je pense qu'un bon nombre d'amateurs d'impro libre y trouveront largement leur compte. Et sinon, il y a toujours l'autre disque de Tankj qui vaut vraiment le coup. A vous de voir.