Peter Evans - Beyond Primitive and Civilized (Dancing Wayang, 2011)

Edité en vinyle (500 exemplaires) avec une superbe pochette, ce solo de Peter Evans est une très bonne surprise. Beyond Civilized and Primitive présente six pièces plutôt courtes, de deux à douze minutes, mais six pièces virtuoses, intelligentes et variées. Tout commence avec une trompette aérienne, légère, Peter Evans débute cet enregistrement avec de courtes notes, subtiles, riches et délicates. Des notes qui se resserrent et se frottent de plus en plus aridement au fil de ces cinq minutes tendues, comme pour annoncer la seconde et plus longue pièce de cette suite. Et celle-ci, n'est pas sans rappeler un Evan Parker en grande forme. Car ici, Peter Evans développe un long continuum en souffle continu, un flux polyphonique où les notes se mêlent aux inspirations nasales, où les variations de la colonne d'air ponctuent et donnent du relief à cette ligne sans fin. En bref, tout commence en beauté pour ainsi dire. Toute la technique de Peter Evans et les potentialités de la trompette sont déjà mises au service d'une musique intense, dense, et puissante. Une musique qui prend toujours autant aux tripes et pourrait faire  danser n'importe quel mélomane le plus réticent aux musiques improvisées.

C'est donc après ces deux pièces pour trompette simple que Peter Evans commence à utiliser le studio et ses possibilités. Réenregistrements et boucles rentrent donc en compte: pour des drones bien sûr, mais de manière plus étonnante et moins conventionnelle, pour une sorte de duo gestuel et énergique entre deux enregistrements où les techniques étendues, la voix, des attaques et des intonations franches et violentes se confrontent en un dialogue éloquent et puissant. Des voix qui se coupent, s'entrechoquent et se brutalisent pour finir en un très surprenant thème joué à l'unisson! La pièce suivante explore un nombre assez impressionant de possibilités liées uniquement au jeux de souffles sur l'embouchure et aux potentialités sonores des pistons. Puis vient cette conclusion aussi surprenante que le reste des pièces: une mélodie aérée comme l'introduction, mais cette fois, d'un aspect très solennel, encore plus harmonieux. Une conclusion triste et mélancolique, puissante et nasillarde, à l'image de la trompette qui aura été explorée ici sous nombre de ses coutures.

Voilà quelques années que je pense que Peter Evans est un des trompettistes les plus talentueux de sa génération: ce solo ne fait que me réconforter. Un solo qui sait allier la virtuosité technique et la créativité au niveau des idées. Surprenant, éclectique, et singulier: recommandé.

(informations: http://dancingwayang.com/my_portfolio/peter-evans/)

JOHN BUTCHER

John Butcher - Bell Trove Spools (Northern Spy, 2012)

Autant que ceux d'Evan Parker, les soli de John Butcher font partis depuis longtemps de mes expériences musicales les plus intenses. La virtuosité, la profondeur et la musicalité de ces performances ont toujours été une nourriture musicale essentielle pour moi. C'est donc avec plaisir que j'ai redécouvert une nouvelle expérience solo de JB, que je n'avais pas entendu seul depuis les Resonant Spaces publiés en 2008.

L'avantage du solo réside certainement en grande partie dans l'intimité et la proximité auxquelles on est confronté. Le musicien peut déployer tout son talent et sa créativité sans être déterminé ou contraint par d'autres musiciens. C'est particulièrement enthousiasmant dans le cas de JB qui se plaît à se confronter à de nombreuses situations. Après, ce n'est pas parce qu'il s'agit d'un solo que ces deux performances sont pleinement spontanées, car l'espace d'enregistrement et de représentation, ainsi que le choix des instruments, inspirent et déterminent tout autant l'improvisation qu'un groupe de musicien. Ce que nous démontre aussi JB sur Bell Trove Spools...

Sur les dix pièces qui composent BTS en effet, cinq ont éré enregistré à Houston, avec pour instrument le saxophone ténor uniquement, puis cinq autres un an plus tard à Brooklyn pour saxophone soprano cette fois.  Dans les deux cas, JB se plaît à utiliser les paramètres acoustiques du lieu de performance, il laisse souvent de courtes notes incisives se réverbérer dans toute la profondeur de la salle. Il explore le lieu et l'espace comme son instrument. Une exploration en profondeur, qui veut saisir toutes les potentialités et les possibilités: résonances des murs, du tube du saxophone ou de ses clefs, de son propre corps aussi, vibration des anches, de la colonne d'air mais aussi du corps du performer. Le tout à l'aide toujours de nombreuses techniques étendues et de multiples modes de jeux, comme on s'en doute: souffle continu, harmonique, multiphonique, flatterzunge, slaps, attaques incisives, variatons extrêmes d'intensité, mise en résonance de la salive, jeu sur l'embouchure, etc...

Ceci-dit, on connaît à peu près tous le talent et la virtuosité de JB. On sait jusqu'où son exploration des saxophones ténor et soprano peut aller. Mais là, un autre paramètre semble se rajouter à ses enregistrements précédents en solo. Ces deux soli, en effet, paraissent basés sur des structures et des formes plus solides, plus claires. Même si elle est tout aussi extrême dans l'exploration des timbres, la musique de JB semble cependant moins abstraite et clinique aujourd'hui. Une forme se dégage, forme qui le rapproche de la musique pour l'écarter d'une approche à tendance bruitiste-réductionniste. Des strcutures qui laissent apparaître un talent pour la composition (spontanée, non-écrite). Lors de ses improvisations, JB ne se laisse pas submerger par le présent et se confronte à une vision globale de chaque pièce, une forme dessine chaque improvisation, forme qui nous submerge et nous envoute d'autant plus. Une attention aussi sensible au local qu'au global, ausSi sensible au présent qu'au déroulement général du temps. Une approche savante et ingénieuse où le détail est considéré avec autant d'importance que la forme dans laquelle il s'insère, sans que l'un ne prime jamais sur l'autre.

En bref: j'adore et je conseille vivement.

(informations & extraits: http://northern-spy.com/products-page/john-butcher-bell-trove-spools/)

john butcher - liberté et son : à nous trois, maintenant
guillaume belhomme & guillaume tarche - abécédaire john butcher
(le son du grisli, 2012)

Le site web le son du grisli, consacré aux musiques improvisées, expérimentales et au free jazz,  a dédié une bonne partie du mois de novembre 2012 au saxophoniste londonien John Butcher. A cette occasion, de nombreuses chroniques sur leur site, ainsi que la parution d'un hors-série sur John Butcher en version papier. Deux livrets de 40 pages agrémentés de nombreuses photos et où l'on peut trouver deux textes.

Le premier est un texte de John Butcher lui-même qui s'explique sur sa pratique. Notamment, sur la part de liberté et de spontanéité à laquelle le musicien peut faire appel lors d'une improvisation. Sur ses contraintes et ses choix imposés par l'environnement sonore et les musiciens qui l'entourent. Mais aussi sur le "son" en tant que constituant fondamental de la personnalité, de la "voix". JB s'explique également sur les "techniques étendues", expression et concept qu'il désapprouve, sur les limites et les vertus des collaborations et du travail en solo au sein de la musique improvisée. Plus de nombreux commentaires parfois analytiques sur quelques musiciens comme Derek Bailey, The Sealed Knot, Sachiko M, le Schlippenbach/Parker/Lovens trio, et différents projets auxquels il a pu participer tout au long de sa carrière. Un texte édifiant sur sa pratique instrumentale, musicale, et sur son rapport théorique à l'improvisation et aux composantes sonores des musiques nouvelles.

La suite est un abécédaire proposé par deux écrivains du son du grisli. Un abécédaire libre et hétéroclite à l'image du musicien auquel il est consacré. Un abécédaire où certains concepts ("Apophonics", "Spectral", "Oubli", Quarks") voisinnent avec des chroniques musicales ou présentations de projets ("Resonant Spaces", "The Contest of More Pleasures", "News From the Shed"). Y sont présents aussi de courts articles sur des sujets plus généraux comme le "Feed-back", le "Ténor" ou encore la "Harpe" ainsi que la présentation de musiciens importants dans l'histoire de JB (comme "Prévost" et John "Stevens").

Petit livre original qui permet d'aborder avec facilité et de manière assez complète les multiples facettes d'un des plus grands improvisateurs londoniens et d'un des plus talentueux saxophonistes qu'on ait connu.

http://grisli.canalblog.com/tag/John%20Butcher

John Butcher / Matthew Shipp - At Oto (Fataka, 2012)

Ce duo John Butcher/Matthew Shipp est une reprise d'un enregistrement live au café londonien Oto pour la radio BBC. Il se divise clairement en quatre parties: deux soli de Butcher pour saxophone ténor puis soprano, un solo de piano de Matthew Shipp et un duo final. Le tout superbement enregistré par Sebastien Lexer!

La rencontre n'est pas évidente entre ces deux musiciens, d'où peut-être la nécessité de prendre ses marques avec un exercice solo juste avant d'entamer véritablement un duo. Car si tous les deux appartiennent au champ du jazz d'avant-garde ou de la musique improvisée, leurs parcours ne proposent pas vraiment de point de jonction. John Butcher a en effet toujours été plus proche de ce qu'on appelle l'improvisation libre européenne ou efi tandis que Matthew Shipp est plus proche du free jazz à proprement parler, quand il ne s'écrate pas dans les domaines de l'électronique ou du hip-hop aux côtés d'Antipop Consortium. Mais après tout, peut-être que ce qui rapproche ces musiciens est justement cette tentative constante de déborder les cadres et d'explorer de nouveaux horizons musicaux.

Tout commence donc avec deux improvisations de Butcher pour ténor et soprano. JB propose deux pièces donc où un vocabulaire connu se déploie, un vocabulaire de multiphoniques, de souffles et de salives qui résonnent dans la chambre du saxophone, de nombreuses techniques étendues en bref... Mais pas seulement en fait, car JB, connaissant aussi le jeu de Matthew Shipp, l'anticipe avec des aspects mélodiques et/ou rythmiques ou à travers un jeu sur les trilles. De son côté, MS ne quitte donc pas ses aspects mélodiques, même si son jeu est souvent atonal, et/ou rythmique. Mais une grande attention est aussi portée au son, aux dynamiques propres à chaque mode de jeu du piano. Un mélange d'influences jazz et avant-garde, d'une attention au rythme et aux propriétés du piano qui n'est pas sans rappeler Cecil Taylor à certains moments. Sauf qu'il s'agit encore d'une autre époque, d'une autre génération et d'une autre histoire: une histoire plus riche où les vocabulaires ont en plus assimilé les techniques de jeux et d'écritures d'autres musiques (qu'elles soient savantes ou populaires, comme l'electronica et le hip-hop d'un côté, mais aussi la longue tradition de l'efi, le free jazz dynamique de David S. Ware, Joe Morris ou de William Parker, le jazz moderne, etc.).

Place ensuite donc au duo! Et là ça devient magique. La rencontre de deux continents, de deux histoires, de deux univers. Une rencontre qui se fait, magiquement, comme si elle durait depuis des années, des décennies. Pour ne pas surcharger le discours, JB calme le souffle continu, au profit de phrases plus courtes, plus espacées, des phrases énergiques qui jouent sur l'intensité et les ruptures et laissent de la place au discours plus mélodique de MS. Un MS qui joue aussi sur les fractures et les sauts. Chacun y va de son énergie, et lorsqu'elles se rencontrent toutes, on se retrouve face à un assaut d'énergie d'une puissance saisissante. Les rencontres sont saisissantes d'une part, mais que se passe-t-il sinon? Il se passe que les deux musiciens conservent leur vocabulaire et leur individualité, et qu'une tension se forme qui naît de l'opposition entre les deux personnalités, entre les deux discours. Une tension qui devient narrative et tout aussi absorbante que les points de rencontre. Et de cette rencontre naît une nouvelle forme, basée sur la liberté et la spontanéité, tout en prenant en compte le déterminisme qu'engendre l'interaction, une forme d'osmose où deux personnalités contribuent à l'invention d'un discours musical.

(informations & extraits: http://fataka.net/recordings/2.html)

nouvelles du front nantais

Voici un petit message concernant deux labels nantais: Drone Sweet Drone qui, en à peine un an d'existence seulement, a déjà produit sept références, autour de musiciens nantais ou d'ailleurs. Sept références sur les musiques expérimentales, savantes et électroacoustiques. L'autre label Fibrrr, est en lien étroit avec l'association apo33 et se concentre sur les musiques électroniques, noise, expérimentales; la dernière référence est justement une compilation qui propose un tour d'horizon des musiciens nantais (ou résidant à Nantes).

d'incise - Akènes (Drone Sweet Drone/Bruit Clair, 2012)

Deux labels nantais se sont associés pour produire ce nouveau disque de d'incise, le musicien électroacoustique suisse: Drone Sweet Drone et Bruit Clair (qui a déjà sorti de nombreux disques de Delplanque, ce qui laisse soupçonner qu'il gère lui-même ce label...).

Bref, sur Akènes, d'incise propose une musique qui tend beaucoup moins vers l'abstraction que d'habitude. Une suite de dix pièces electronica/ambient originales et personnelles. d'incise oriente ici sa musique sur l'atmosphère et l'ambiance à partir de quelques field-recordings, de processus analogiques, d'objets, mais surtout d'instruments. On retrouve de nombreuses cordes et percussions qui ne sont pas filtrés par des techniques étendues, d'incise semble retourner ici à une musique plus accessible orientée vers l'acoustique et les instruments, sans pour autant abandonner l'électronique non plus. Car les nappes synthétiques et analogiques sont nombreuses tout au long de ces 10 pièces, et leur importance n'est franchement pas négligeable par rapport à la création d'atmosphère et d'ambiance. On croirait parfois entendre les interludes ambient du monumental Drukqs d'Aphex Twin, mais il s'agit d'une ambiance plus posée, peut-être moins sombre, mais surtout plus influencée par de nombreuses expérimentations antérieures. Car même si d'incise offre ici une musique moins axée sur l'abstraction, il pousse l'expérimentation assez loin en explorant divers matériaux sonores de manière assez profonde et claire pour un album très proche de l'electronica. Minimaliste, ambient, singulier et sombre, Akènes peut constituer une très bonne œuvre pour découvrir d'incise. Non pas qu'elle soit représentative, mais plutôt parce qu'elle est plus accessible et facile à écouter, tout en restant de qualité et aussi singulière que n'importe laquelle de ses autres projets.

(écoute: http://dronesweetdrone.bandcamp.com/album/ak-nes)

Catherine Brisset-Cristal Baschet et ensemble - Skylamp (Drone Sweet Drone, 2012)

Dans un tout autre domaine, voici un recueil de huit pièces ayant pour point commun l'utilisation du Cristal Baschet. C'est donc la musicienne Catherine Brisset qui interprète ici les pièces pour cet instrument de nouvelle lutherie créé au début du 20e siècle, aux côtés d'une formation variable, comprenant flûte, clarinette, violon, violoncelle, clavecin, bande et électronique. Chaque pièce est écrite par un compositeur différent, parmi lesquels on peut trouver Sébastien Béranger, Florence Baschet, I-Chun Lee, Thierry Alla, Claudio Jara, Jean-Christophe Adam-Walrand, Jean-Yves Bosseur et Eryck Abecassis. Tous ces compositeurs sont, me semble-t-il, français, et ont étudié la musique dans les milieux institutionnels de la musique contemporaine (aux côtés, pour certains, de Michaël Levinas, Karlheinz Stockhausen ou Luigi Nono). L'intérêt de touutes ces pièces est principalement concentré sur le timbre du Cristal Baschet d'un côté, mais on retrouve également des intérêts différents selon les pièces, pour la musique concrète et électroacoustique, sur les mélanges de bandes ou d'instruments électroniques avec des instruments traditionnels, ainsi qu'un intérêt ou des influences provenant des musiques du début et du milieu du vingtième siècle - de Webern à Grisey. On retrouve des couleurs parfois étonnantes tout en étant un peu trop ancré dans une musique contemporaine institutionnelle. Le poids d'un Varèse, des formes libres atonales, de l'école spectrale ou de Stockhausen se fait souvent trop ressentir, malgré une volonté certaine de créer de nouvelles formes et d'explorer de nouveaux timbres, notamment celui du Cristal Baschet, accompagné d'instruments anciens ou nouveaux allant du clavecin aux bandes... Une compilation assez inégale en somme, mais plutôt originale et intéressante pour l'utilisation de cet instrument peu commun.

(écoute: http://dronesweetdrone.bandcamp.com/album/skylamp-2)

 v/a - Nantes is Noise (Fibrr, 2012)

Le label nantais Fibrr (dirigé par Julien Ottavi) n'avait pas sorti de disque depuis de nombreuses années et il revient en cette fin 2012 avec une compilation d'artistes ligériens pour la plupart assez proches de l'association Apo33. J'en fais ici la liste: Keith Rowe, Formanex, Wehwalt, Jérôme Joy, Anthony Taillard, Jenny Pickett, Clinch, Luc Kerléo, Semantik, Mathias Delplanque, Julien Ottavi, Thomas Tilly, Morosphynx, Dominique Leroy.

Ce n'est pas évident d'écrire à propos d'une compilation, car les approches, les matériaux et les esthétiques sont très variables. Quelques points communs tout de même réunissent ces artistes: une approche plutôt bruitiste de la musique, où le son comme phénomène physique est considéré comme une matière musicale, voire comme la forme même de la musique; une utilisation massive de l'électronique et des ordinateurs, avec quelques instruments traités également comme de la matière sonore plus que comme un instrument; et l'origine géographique bien sûr: le but de cette compilation étant de promouvoir la scène musicale et expérimentale nantaise. Ceci-dit, les pièces présentées ici sont plutôt éclectiques: des instruments préparés et/ou motorisés de Keith Rowe (avec une pièce étonnamment calme, aérée et abrasive) et Anthony Taillard (avec son drone pour orgue), à un extrait de Treatise par Formanex (Anthony Taillard encore, Julien Ottavi et Emmanuel Leduc), en passant par les expérimentations sur la voix de Luc Kerléo ou encore le synthétiseur halluciné de Clinch, des œuvres électroacoustiques, de la musique concrète pour bande, du harsh noise, des field-recordings, etc. Des esthétiques et des pratiques diverses et dans l'ensemble plutôt réussies. La longueur des pièces (4-5 minutes chacune) permet à chaque musicien de développer son discours en un temps raisonnable tout en laissant pas mal de place à de nombreuses démarches (il y a tout de même 14 pistes au total), juste le temps qu'il faut à l'auditeur pour pénétrer chaque univers sonore et esthétique.

EFG Trio - Kopros Lithos (Multikulti, 2011)

Vous en avez peut-être marre des fois des expérimentations et des abstractions électroacoustiques, de l'art sonore, des musiques minimalistes et réductionnistes. Alors il est temps de se divertir avec l'EFG trio: un trio de choc avec rien de moins que Peter Evans à la trompette, Agusti Fernandez au piano, et Mats Gustafsson au saxophone!

Comme je m'y attendais, il s'agit d'un trio énergique, couillu, agressif et puissant. Le caractère noise-punk des agressions sonores de Gustafsson (avec ses slaps caverneux et ses cris organiques) s'associe à merveille avec le phrasé et les techniques étendues exceptionnellement intenses de Peter Evans, ainsi qu'avec le jeu très dense, souvent proche du cluster, de Fernandez. Ce dernier assure les questions rythmiques quand il en est question, mais il s'agit tout de même d'une musique qui est pour la plupart du temps horizontale - ce pour quoi il utilise également de nombreuses préparations. Il s'agit avant tout de faire converger et interagir des phrasés et des personnalités sonores divergentes pour créer une boule d'énergie la plus intense possible, dans une ambiance teintée de free jazz, d'improvisation libre, de punk rock et de noise. Quelques passages calmes et aérés bien sûr, qui ne sont pas forcément les plus réussis soit dit en passant, mais tout est fait pour faire constamment monter la sauce. Et c'est bien ce que réussit le mieux l'EFG. Faire monter, toujours plus, toujours plus fort, toujours plus intense, toujours plus agressif. Jusqu'à l'explosion, jusqu’à l'insurmontable, jusqu'aux limites humaines et instrumentales.

Tout est tension, énergie, puissance. Comme un hymne à la violence et à l’insurrection. Une musique parfaite en fond d'émeute - pour une émeute dansante aussi. Car EFG crispe les nerfs, sature la tension, déploie l'énergie - et donne envie de danser, crier, hurler, frapper, rire, sourire, boire, baiser, manger. Un cocktail explosif de musiciens libres et sauvages, énergiques et créatifs, agressifs et joyeux. Recommandé!

http://www.multikulti.com/en/efg-trio-peter-evans-agusti-fernandez-mats-gustafsson.html

Sacred Realism

Bryan Eubanks & Catherine Lamb - untitled 12 (after agnes) (Sacred Realism, 2012)

Première publication de ce nouveau label américain: untitled 12 (after agnes) est une "composition" de Bryan Eubanks et Catherine Lamb d'après une peinture d’Agnès Martin. Cette dernière, souvent qualifiée de minimaliste, préfère se ranger dans la longue tradition américaine de l'expressionnisme abstrait avec ses grandes toiles simples, ses énormes monochromes quadrillés qui fourmillent de micro-variations.

Une peinture en particulier a retenu l'attention des deux compositeurs et a servi de point de départ à leur collaboration: untitled #12 (1984), reproduite à l'intérieur de la pochette (je n'ai pas trouvé de reproduction sur internet malheureusement, mais si vous ne connaissez pas, vous pouvez facilement vous faire une idée de cette œuvre en regardant les autres reproductions). La pièce écrite par Eubanks & Lamb est une longue, longue pièce statique d'une heure, générée par un logiciel autonome (un peu de la même manière que la pièce materiality de Bryan Eubanks). Une plage de bruit blanc, un bruit blanc immuable, faible, imperturbable, qui ne se modifie que toutes les quinze précisément. Une couche se rajoute tous les quarts d'heure, mais entre-temps, rien. Rien et tout à la fois. Au début, on s'interroge, puis on s'ennuie, puis étrangement, on croit percevoir du mouvement, alors qu'il n'en est rien. Ce que l'on perçoit? la richesse de la texture proposée, le bruit blanc semblant se décomposer, toutes les couches de fréquences et de sinusoïdes se détachant pour laisser apparaître la structure du bruit. Une pièce en quatre partie qui invitent à la méditation mais aussi et surtout à une écoute participative, à une perception active de l’œuvre pour en saisir la richesse. C'est difficile d'accès, parfois fatigant, mais la démarche et l'expérience sont singulières. Et pas aussi pauvres qu'elles ne le paraissent.

(informations & extrait: http://www.sacredrealism.org/label/sr001.html)

Andrew Lafkas - Making Words (Sacred Realism, 2012)

La deuxième publication de ce label très prometteur est une magnifique composition d'Andrew Lafkas pour instruments et électroniques. Les interprètes de cette réalisation sont le compositeur lui-même à la basse, Ann Adachi (flûte), Adam Diller (saxophone ténor), Tucker Dulin (trombone), Kenny Wang (alto), Margarida Garcia (guitare électrique), Sean Meehan (caisse claire et cymbales), Gill Arno, Keiko Uenishi, Barry Weisblat et Bryan Eubanks à l'électronique.

Là aussi, la forme et l'esthétique sont assez minimalistes, mais certainement beaucoup plus riches en apparence. Durant 70 minutes, il est rare d'entendre l'ensemble des interprètes. Il s'agit avant tout d'un jeu sur les timbres et les densités à partir de longues notes superposées. Jeu sur les timbres, oui, mais sans techniques étendues, les interprètes superposent leurs instruments tels qu'ils sont traditionnellement, ils superposent les caractéristiques "normales" de leurs instruments. Et les mêlent en une nappe linéaire qui progresse par micro-évolutions. Andrew Lafkas explore avant tout les possibilités sonores de l'ensemble instrumental plus que des instruments en eux-mêmes: chaque musicien joue la plupart du temps quelque chose de très simple, de reconnaissable, et de court. Les interventions sont courtes et régulières comme une respiration, ce qui donne un aspect très organique à cette musique. Des notes graves, aiguës, faibles, fortes, dans les extrêmes, dans les médiums, en petite formation, ou en très grosse formation. La musique va crescendo, decrescendo, s'affaiblit, se renforce, s'amplifie, s'intensifie, puis redescend. De nombreuses densités sont explorées, à travers l'instrumentarium utilisé. Mais également de nombreuses couleurs à chaque fois. Ce qui fait de ce continuum linéaire une pièce très riche qu'on peut redécouvrir à chaque écoute, qui parvient à explorer de multiples dimensions tout en restant claire.

Très belle composition, et une réalisation sensible, précise, intense et dense.

(informations & extrait: http://www.sacredrealism.org/label/sr002.html)

Keith Rowe - September (Erstwhile, 2012)

Il est parfois difficile d'écrire sur un disque - notamment quand il nous touche au-delà du raisonnable, et surtout lorsqu'il est abstrait et obscur. Et tel est bien le cas pour September je crois. Voilà pour les informations psychologiques, pour les informations sur la situation de l'enregistrement: il s'agit d'un concert enregistré le 11 septembre 2011 à NY, au festival Amplify, juste avant la performance chroniquée hier de Radu Malfatti et Taku Unami. Keith Rowe y avait apporté son éternelle guitare préparée sur table, des radios, et l'enregistrement d'un quintette pour piano de Dvorák.

L'utilisation de cet enregistrement contribue d'ailleurs en grande partie à la puissance de cette performance. En ouverture, en conclusion, et disséminée tout au long de ces 34 minutes, l’œuvre de Dvorák, une musique de chambre romantique aux allures nostalgiques et solennelles, s'oppose clairement à l'esthétique de plus en plus rugueuse et informelle de KR. Une opposition entre l'ancien et le moderne, entre l'écriture et l'improvisation, entre le beau et le laid, entre l'acoustique et l'électronique, entre l'unicité de la performance et la reproductibilité des enregistrements, mais aussi (grâce aux radios cette fois) entre musiques expérimentales (ou d'avant-gardes, et j'aurais presque envie de dire élitistes - tout comme l'était Dvorák à son époque) et populaires. Autant d'éléments, de questions et d'oppositions qui ont amenés KR à cette pratique unique de l'improvisation libre.

Après de multiples écoutes répétées inlassablement, aucune forme ne paraît surgir. Des interférences radios sont suivies d'un silence, un micro-contact est alors brusqué avec violence, le leitmotiv que constitue le quintette pour piano peut surgir à n'importe quel moment, des morceaux de pop et de rock provenant des ondes radios se mélangent aux grésillements et aux interférences d'une corde agitée par un ventilateur de poche. Mais tout ceci n'est pas linéaire, les changements de dynamique et d'intensité sont brusques et imprévisibles. Même le son de KR se fait de plus en plus radical, un son plus granuleux que jamais, plus rêche et abstrait. Un son qui démange, qui gêne, qui fait mal, et qui s'oppose d'autant plus aux musiques populaires et classiques intégrées à cette performance.

Mais après tout, ce doit être cet aspect imprévisible, spontané et urgent qui font de cet enregistrement un disque qui me remue autant à chaque écoute. Cette forme informelle plus que ce son unique et abstrait. KR joue sur les accidents, mais ne se laisse pas jouer par les accidents, il les connaît de plus en plus intimement et les maitrise aujourd'hui avec une virtuosité et une précision incomparables, hors du commun, surnaturelles. Car l'utilisation de l'électricité et des interférences ne guide plus la performance, la performance n'est guidée que par la volonté et la détermination de KR qui joue ensuite avec les accidents et les imperfections de la modernité. Mais aussi, comme je le disais, avec les oppositions entre l'improvisation , l'écriture, la musique populaire et la musique savante (l'improvisation libre - notamment telle que la pratique KR - se situant dans une zone intermédiaire très floue). KR sculpte une structure informelle qui se joue des oppositions institutionnelles en utilisant des matériaux issus des imperfections et des défauts techniques.

A chaque fois que je découvre un KR j'ai envie de le dire, mais je crois être sûr de moi aujourd'hui: je pense qu'il s'agit du meilleur solo de KR, le plus abouti et le plus savant, le plus précis et le plus puissant en tout cas. Un solo d'une richesse sonore incroyable, sur une structure informelle et obscure et d'autant plus surprenante et envoutante. A écouter impérativement!

Radu Malfatti / Taku Unami - s/t (Erstwhile, 2012)

Déjà, un coup d’œil sur les crédits en dit long sur ce live: Radu Malfatti au trombone et Taku Unami: blanc. En plus de la solide réputation faisant de ces deux personnalités les musiciens parmi les plus extrêmes de Wandelweiser et de l'improvisation (ultra-)minimaliste, on sait à quoi s'attendre. De fait, ce live au festival Amplify est une pièce de 51 minutes où la seule chose entendue clairement est l'entrée du public durant les deux premières minutes.

D'après certaines photos, Taku Unami utilise une installation aussi sonore que visuelle: la pièce est plongée dans le noir, Radu invisible, un pan de mur éclairé par l'installation où des ombres s'installent. Les sons de cette installation ne sont rien que des cordes pincées très légèrement, des objets déplacés, toutes sortes de sons qui se mélangent avec le milieu sonore environnant. Même le trombone de Malfatti est joué si bas et de manière si lointaine qu'il n'émerge qu'avec peine des bruits de chaises, de passants extérieurs, de voitures, de toux du public. Le dialogue entre la scène, le public, et l'extérieur de la salle est minimaliste, très fin, subtil et organique. Hormis le timbre tout de même reconnaissable des cordes et du trombone, on peine constamment à distinguer ce qui provient du duo de ce qui provient du public. Froissement de tissus, chaises déplacées, ou interventions sonores de Taku Unami? Impossible à déterminer.

Un dialogue bien trop intimiste et fusionnel. Mais c'est cette intimité et cette fusion qui font peut-être aussi de ce live un objet aussi intrigant et envoûtant. C'est ce côté aléatoire et indéterminé des sons environnants opposé à la détermination et à la précision des deux musiciens qui font de cette performance radicale une pièce aussi déroutante qui sait maintenir l'auditeur en haleine. Une heure à se demander tout d'abord s'il va se passer quelque chose, puis quoi. Pour enfin se demander qu'est-ce qui s'est passé, et comment? Les questions assaillent: est-ce réellement un concert? une performance? du field-recording? de l'art sonore? autant de questions dont les réponses semblent étrangères au discours de Malfatti et Unami. Car toutes les solutions sont intégrées à leur discours et à leur pratique sonore.

Minimaliste? oui. Formel? oui. Extrême? sans aucun doute. Radical? plus que tout. Exactement ce que l'on peut attendre de ces deux musiciens uniques, toujours aussi déroutants. Le duo Malfatti/Unami répond de manière radicale aux questions musicales de tension/résolution par des interventions sonores rassurantes par rapport à la tension générée par l'attention portée à l'environnement imprévisible. Une performance aléatoire évidemment très, très calme, mais tout de même pleine de tension. La tension propre à la sensation de chaos que l'on peut avoir lorsqu'on prête attention à notre environnement sonore, notamment en plein cœur d'une métropole (la performance a été enregistrée à NY). On peut dès lors être reconnaissant à Malfatti et Unami d'apporter un réconfort musical à notre perception chaotique du monde extérieur.

Chipshop Music with Toshimaru Nakamura - Protocol (Mathka, 2012)

En cette fin d'année, le label polonais Mathka revient en force avec d'une part, l'extraordinaire solo de Martin Küchen, puis aujourd'hui, ce troisième CD du quartet CSM, accompagné de Toshimaru Nakamura (toujours - bien évidemment - à la table de mixage bouclée sur elle-même). Pour ceux qui ne connaissent pas cette formation, elle est composée de Martin Küchen (saxophones alto et baryton, radio), Erik Carlsson (percussion), David Lacey (percussion, électronique) et Paul Vogel (ordinateur, clarinette). 

On le voit tout de suite, il s'agit bel et bien d'eai, de l'improvisation électroacoustique abstraite et minimaliste. Deux pièces réussies et profondes, mais difficiles à décrire. Il s'agit de longues nappes lisses et très horizontales, sur une intensité presque toujours égale à elle-même, deux pièces qui progressent par micro-évolutions, où le son du groupe prime avant tout, où les individus, les sources, les instruments et l'électricité s'entremêlent en un maillage très serré, en un magma sonore (souvent très aéré quand même) d'où peine à émerger une voix. Du coup, disons le tout de suite, ceux qui voudraient écouter cet album pour la collaboration de Toshimaru Nakamura risquent d'être déçus. Ou pas. Malgré son statut d'invité exceptionnel, aucune place prépondérante ne lui ait accordé, les larsens de Nakamura se fondent dans la masse de souffles, de peaux frottés et de grésillements. Mais c'est aussi ceci le génie de Nakamura: conserver sa singularité discrète tout en parvenant à se fondre dans de multiples identités collectives. Comme les quatre membres de CSM, Nakamura est subtil, discret, mais c'est cette discrétion et cette sensibilité collectives qui font de Protocol un album profond, un album qui accède à des sonorités uniques et à une intimité merveilleuse.

Non la présence de Toshimaru Nakamura n'apporte pas une grande évolution à l'esthétique ou à la forme adoptée par le CSM, mais oui, leur musique reste toujours aussi profonde et singulière. Une musique contemplative, abrasive, lente et onirique. Une musique qui propose un son collectif unique, sensible et aéré, où chaque instrument est traité comme une source sonore abstraite et froide, mais où l'interaction est tout ce qu'il y a de plus humaine et chaleureuse. Excellent!

(informations, écoute et extraits: http://mathka.bandcamp.com/album/protocol)

Under The Carpet - s/t (Ruptured, 2012)

Ruptured est un label libanais qui produit certains des musiciens expérimentaux les plus actifs résidant à Beyrouth. Une scène large habitée par le rock, le rap, les musiques électroniques, la pop, les expérimentations sonores, etc. La dernière production de ce label est un trio qui navigue sur des flots electronica aux ambiances post-rock. Under The Carpet réunit trois musiciens de trois pays: le suisse Paed Conca (basse électrique et clarinette), le français Stéphane Rives (ordinateur) et le libanais Fadi Tabbal (guitare électrique & ipad). Des trois, je ne connaissais que Stéphane Rives, saxophoniste très important dans les musiques improvisées libanaises (et au-delà...). Quant à Paed Conca, il semble provenir plutôt des musiques expérimentales tandis que Fadi Tabbal est musicien dans plusieurs groupes de pop-rock alternatifs.

Un mélange étonnant d'origines géographiques et musicales diverses pour un résultat tout aussi singulier. Under The Carpet dessine une vingtaine de paysages sombres mais accueillant, des univers teintés de rêveries urbaines lentes, froides, industrielles, mais rarement agressives. Tout se fait dans un subtil équilibre entre des inquiétants "bruits" acoustiques ou électroniques et des éléments musicaux rassurants (tonalité, modes, rythmes). On est toujours dans un éléments stylistique connu, que ce soit du hip-hop ("get me a pack"), de l'ambient ("a new hope for medical treatment"), du dubstep, ou je ne sais quoi, mais on est également toujours quelque peu à côté. Parfois c'est drôle (comme cette conclusion on ne peut plus brusque), d'autres fois c'est osé, mais le plus souvent, c'est surtout teinté d'une mélancolie qui semble provenir d'une grande influence des ambiances post-rock (comme sur "late night tales" par exemple, ou encore sur la piste suivante "rock bottom" - intitulée ainsi j'imagine en hommage au chef d’œuvre de Robert Wyatt). Des riffs simples et graves de basse et de guitare sont accompagnés de field-recordings sombres et inquiétants, ou de nappes synthétiques de bruits divers, de microcontacts frottés, etc. Une musique expérimentale tout en utilisant abondamment des idiomes connus et divers.

Un album chaleureux et risqué, aventureux tout en restant accessible à beaucoup, plein d'émotions et réussi. 

(informations, biographies & extraits: http://rupturedonline.com/2012/08/30/under-the-carpet-cd-launch-live-performance-in-beirut/)

autour de jonas kocher et gaudenz badrutt

Jonas Kocher - duos 2011 (Flexion, 2012)

Pour ce troisième album proposé sur son propre label, l'accordéoniste suisse Jonas Kocher nous présente ici une suite de six pièces avec différents collaborateurs. Il s'agit pour Jonas de mettre à jour l'essence de sa musique à travers les différentes mises en situation qu'offrent les multiples interactions possibles. Car si le changement de musicien génère des réactions différentes, il y a aussi un style, ou une méthode, ou une forme, qui restent présents quoiqu'il arrive, la marque de l'individualité.

Pour ouvrir ce disque, "l'exception qui confirme la règle" comme on dit, Jonas Kocher forme un trio avec le clarinettiste basse Hans Koch et la violoniste Patricia Bosshard. (Le reste ne sera qu'une suite de duos.) Une pièce très aérée et espacée où les interventions sont rares, subtiles et sporadiques. Comme sur une large partie du disque, une place prépondérante est accordée au silence et aux dynamiques des modes de jeux. Vient ensuite une pièce plus lente et moins réactive, une sorte de drone ou les extrêmes de l'accordéon se mélangent aux cymbales frottées de Christian Wolfarth. La pièce suivante est peut-être la plus radicale et la plus extrême: un duo accordéon/électronique en compagnie de Gaudenz Badrutt, où les interventions deviennent de plus en plus minimalistes et faibles, où le silence devient noble et génère une tension surprenante (peut-être la meilleure pièce de cette "compilation"). Les trois dernières pièces en compagnie d'Urs Leimgruber (saxophone soprano qu'on a déjà pu entendre dans la formation OM), Christoph Schiller (espinette) et Christian Müller (clarinette contrebasse) sont peut-être les plus claires quant à ce qu'il ressort de Jonas Kocher: un intérêt pour les extrémités de l'ambitus, pour explorer les zones les plus reculées de l'instrument, mais aussi un intérêt pour la dynamique que génère tel ou tel type de jeu. Si l'on ajoute la place accordée au silence et l'intérêt porté à l'espace acoustique, on a là la plupart des éléments qui caractériseront l'individualité musicale de l'accordéoniste Jonas Kocher. En tout cas, les six pièces présentées ici révèlent chacune une personnalité sensible et une recherche constante d'un son précis et neuf. Beau travail.

(informations & extrait: http://www.flexionrecords.net/?page_id=608)

Jonas Kocher / Gaudenz Badrutt - Strategy of behaviour in unexpected situations (Insubordinations, 2012)

Le duo Kocher/Badrutt présenté sur la compilation de duos avec Jonas Kocher m'avait déjà interpelé et c'est donc plutôt avec joie que j'ai reçu cette autre pièce d'une trentaine de minutes, improvisée par ce même duo accordéon/électronique.

Le même registre est exploité, dans un contexte aussi minimaliste et très interactif. Kocher continue d'explorer les registres extrêmes de l'accordéon, des registres qui s'entremêlent facilement avec l'électronique (notamment les aigus proches du larsen, mais aussi les bourdons très graves, constants et légers). De son côté, Badrutt tisse des fils très ténus, sensibles et délicats, des drones aigus ou très graves irrégulièrement rompus par des brusques interventions sonores qui peuvent paraître acoustiques: sortes d'interventions bruitistes qui pourraient faire penser à des objets lourds entrechoqués après un calme de plusieurs minutes. On retrouve énormément de bourdons légers, à peine perceptibles, des bourdons qui laissent parfois "entrevoir" des sons extérieurs et étrangers. Mais aussi le même intérêt pour les dynamiques propres aux timbres et aux modes de jeux, ainsi qu'un intérêt pour la tension et l'intensité propres au silence et au calme. Car ce sont bien ces deux termes qui peuvent qualifier la majeure partie de cette improvisation: un calme constant malgré des irruptions violentes sporadiques, ainsi qu'un silence toujours sous-jacent et tendu. Encore une fois: du beau travail - recommandé.

(informations, écoute & téléchargement gratuit: http://www.insubordinations.net/releasescd07.html)

Hans Koch / Gaudenz Badrutt - social insects (Flexion, 2012)

Premier enregistrement du duo Hans Koch (clarinette basse)/Gaudenz Badrutt (électronique, ordinateur, live-sampling), social insects est un disque prometteur qui m'a révélé un duo admirable. Même si c'est leur première publication, il faut quand même savoir que ce duo est formé et actif depuis maintenant plusieurs années - ce qui s'entend et se ressent assez facilement tout au long de ces douze pièces.

Concrètement, Hans Koch et Gaudenz Badrutt développent chacun des nappes linéaires et arythmiques, principalement basées sur la texture: des drones discrets et légers, de longues harmoniques, un chalumeau interminable,. Pour varier, les deux musiciens utilisent également sur quelques pièces des dynamiques plus tendues, rythmiques et donc moins linéaires, faites de slaps, de bruits de clés, de techniques étendues diverses, de larsens, et d'interventions analogiques noise - pièces qui correspondent assez bien à l'évocation des insectes. Mais le plus important à mes yeux reste l'interaction entre chacun, plutôt que les inventions sonores individuelles.

Un duo qui tient avant tout et parvient très bien à explorer l'interaction entre les instruments et la confusion des sources sonores. Les sons s'échangent grâce aux techniques de live-sampling, les timbres s'entremêlent et les registres se télescopent. Durant une heure, Koch et Badrutt nous proposent un jeu musical où les rôles s'échangent, s'inversent, se mélangent, s'identifient, se recoupent et se copient. D'où l'interrogation constante sur la source sonore: combien de fois me suis-je demander si j'entendais bien une clarinette, son imitation électronique ou son détournement par le biais de sample et de live-recordings? L'interaction est si profonde et réussie qu'elle ne peut générer que la confusion. Mais une confusion agréable puisqu'elle est toujours équilibrée par un fil conducteur, une idée musicale qui dirige chaque pièce (que ce soit un mode de jeu, une dynamique, une ambiance, etc.).

Et pour la dernière fois: conseillé.

(informations & extraits: http://www.flexionrecords.net/?page_id=662)