Mats Gustafsson - Bengt (Utech, 2012)

On ne voit pas souvent le saxophoniste Mats Gustafsson - souvent qualifié de punk - au saxophone solo. Il y en a eu bien sûr, dont un au saxophone contrebasse même! Là, il s'agit d'ailleurs encore d'une curiosité instrumentale, puisque Bengt est entièrement joué avec un saxophone Grafton. Qu'est-ce que c'est que ça? Pour les amateurs de jazz, il y a un live de Charlie Parker enregistré en 1953 au Massey Hall, un de mes disques préférés du Bird où on peut entendre à ses côtés Dizzy, Bud Powell, Mingus et Max Roach. Outre ce line-up incroyable, cet enregistrement est aussi célèbre parce qu'on y entend le maître bop de l'alto jouer avec un saxophone en plastique, une curiosité qui a été commercialisé durant une dizaine d'années (en gros jusqu'à la fin des années 60) - également utilisée par Ornette d'ailleurs. Et bien c'est ce même saxophone qu'utilise cette fois-ci Mats Gustafsson. Durant deux improvisations - ou compositions spontanées - d'environ vingt minutes. Deux improvisations assez surprenantes où Mats s'étend beaucoup plus sur l'étendue des timbres et des techniques que sur un jeu de puissance. L'énergie punk-rock propre à Mats est moins présente, il ne s'agit pas de cris, de hurlements et de crescendos incessants. Et tant mieux peut-être. Car toute la virtuosité de MG est mise au service d'une recherche plus fine et minutieuse sur les couleurs, les timbres et les textures du saxophone Grafton. Jeux de clés, mise en résonance particulière du plastique, multiples techniques étendues. Après, comme on peut s'y attendre, ce n'est pas non plus contemplatif. MG passe d'une idée à une autre, d'une couleur à une autre sans non plus trop s'y attarder, il s'agit toujours du même musicien que dans The Thing, et il n'a jamais fait particulièrement dans le minimalisme. Les phrases et les idées sont jouées avec une certaine urgence, une spontanéité et une dextérité propres à MG. Même si Bengt possède certains côtés disons plus explorateurs, on retrouve tout de même une part des phrasés nerveux et des mélodies agressives - accentués par les sonorités approximatives mais ressemblantes à un sax normal du Grafton -, d'amour des musiques et du saxophone, ainsi qu'une énergie dignes de Mats Gustafsson.

Informations et extraits: http://www.utechrecords.com/Releases3.html 

noël akchoté / jean-marc foussat / roger turner - acid rain (ayler, 2012)

Passons maintenant à un trio formé plutôt récemment je crois, un trio d'improvisation libre qui utilise une instrumentation qui pourrait s'apparenter à de l'eai (guitare, synthétiseur analogique et batterie). Akchoté/Foussat/Turner pour une improvisation de 3/4 d'heure enregistrée live au Confort Moderne à Poitiers. De la musique improvisée, sans aucun doute. Mais au-delà d'un discours aux apparences spontanées (bien que travaillé par chacun depuis de nombreuses années), c'est avant tout une musique qui sculpte l'espace. Une musique interactive parfois proche du silence et de la contemplation, parfois proche des assauts sonores les plus violents. Les assauts agressent, augmentent, faiblissent, puis reviennent en recrudescence. C'est bien réalisé, c'est sincère, chacun est attentif, chacun apporte sa singularité, mais... rien de nouveau sous le soleil. On commence à connaître ce genre de structure basée sur l'intensité et la tension omniprésente. Oui, c'est joué avec passion, et avec talent, mais ça peut aussi être lourd de réentendre ces formes éternelles. Question d'humeur aussi. Je peux parfois jouir de ce disque, l'écouter assez fort et savourer chaque interaction, chaque tension, chaque sonorité, et chaque rupture avant la recrudescence. Mais il ne faut pas non plus avoir envie de nouvelles formes. Juste s'attarder sur un contenu brillant, énergique, intense, puissant, haut en couleurs, et urgent.

Informations et extraits: http://www.ayler.com/akchote-foussat-turner-acid-rain.html