Neil Davidson - Do not send to Tweed (Cathnor, 2010)


Neil Davidson: guitare acoustique & objets

Après plusieurs enregistrements solo chez Creative Sources et Compost & Height, le jeune guitariste, improvisateur et compositeur écossais Neil Davidson est aujourd'hui publié chez Cathnor. Sur cette unique improvisation de (seulement) 20 minutes, guitare et objets ne s'opposent pas mais se confondent dans une profonde exploration sonique. Personnellement, j'ai le sentiment que ce guitariste, contrairement aux nombreux virtuoses de la scène réductionniste, ne cherche pas forcément à explorer les potentialités inexploitées de son instrument (même s'il les utilise aussi); on dirait plutôt qu'il se plonge dans une introspection de la guitare, dans une exploration de ses fondements plutôt que de ses possibles. Aidées par différents objets, parfois motorisés comme chez Keith Rowe, les vibrations des cordes sont analysées au peigne fin, l'interaction entre les différents matériaux de la guitare est amplifiée, chaque pincement de corde est joué uniquement pour le timbre de l'attaque percussive. Seulement, l'introspection ne touche vraiment que l'instrument, et cette improvisation manque parfois de personnalité et de sensibilité, il y a un aspect assez mécanique, froid et abstrait dans cette pièce qui peut se rapprocher d'une analyse scientifique de l'instrument. Ceci dit, la recherche de Davidson aboutit tout de même à un univers singulier, qui n'est porté que par un timbre original. Tous ces frottements, ces interférences et ces grincements démontrent presque le fonctionnement de la guitare et la magie de cet instrument. Une recherche peut-être un peu froide mais qui suffit amplement en attendant le prochain solo de Marc Baron prévu par Cathnor.

01-Do not send to Tweed

KONK PACK - The Black Hills (Grob, 2010)



Tim Hodgkinson: guitar, clarinet, elctronics
Thomas Lehn: analogue synthesizer
Roger Turner: drums, percussion

Petite chronique du dernier Konk Pack à l'occasion de leur imminente tournée française (plus d'infos ici). Depuis 1997, ce trio germano-anglais en est à son quatrième disque (tous publiés sur le label allemand Grob). Ses membres: le monstre Thomas Lehn (manipulateur extraterrestre du synthétiseur), Tim Hodgkinson,  un ex-membre du groupe de RIO Henry Cow (qui a également participé à quelques enregistrements d'Art Bears), et enfin Roger Turner (déjà chroniqué ici en trio avec Doneda et Russell), figure connue de la musique improvisée avec qui a déjà collaboré plusieurs fois Thomas Lehn.


Dans ce trio, Turner, plus que tout autre percussionniste, semble vraiment servir de cadre à ses deux compagnons, même s’il n’a que rarement de fonction rythmique à proprement parler. Car il est bien le seul à se maintenir dans un langage homogène (typique de l’improvisation libre), tandis que Lehn et Hodgkinson réinvente constamment le leur, notamment grâce aux nombreuses influences de Hodgkinson et à son polyinstrumentisme varié et éclaté, et aussi grâce aux possibilités infinies offertes par le synthétiseur analogique utilisé jusqu’à ses extrêmes par Lehn. C’est bien de l’improvisation libre, pas de doute, mais les frontières avec la noise et l’EAI, le post-punk, le RIO et la harsh noise se brouillent, sont constamment traversées et retournées, et cela de manière complètement naturelle, sans aucun artifice ni aucune volonté d’être apparenté à ces scènes desquelles ils s’écartent tout de même de par l’originalité de leur langage.

Dans les 7 pièces qui forment The black hills, l’intensité ne varie pas beaucoup, il y a presque constamment un véritable sentiment d’urgence et de surtension. Le mérite du trio est alors de savoir faire régulièrement contraster différents types d’énergies, qui, en retour, participent également à l’invariabilité de l’intensité. Que les improvisations soient lentes et aérées, ou rapides et serrées, qu’elles durent 5 ou 20 minutes, il y a toujours la même intensité qui les gouverne et les rend indistinctes les unes des autres, la succession et les transitions passent totalement inaperçues.  Et plutôt que d’utiliser une écriture contrapunctique, où chacun répond à l’autre, toutes les performances semblent être asservies à la maintenance de cette intensité ainsi qu’au son global. Il y a tout de même une part de dialogue, d’interaction, mais au bout de plus d’une décennie de collaboration, Turner, Lehn et Hodgkinson ont su le rendre parfaitement naturel, cohérent, logique et homogène. La force de ce dialogue est dans l’absence de rupture, n’importe quelle intervention est profondément inscrite dans le flux du discours collectif, mais tout en maintenant la singularité de son timbre et de sa voix.

Je l'accorde, il y a peut-être 1/3 du disque où ça sent l'essoufflement et la recherche infructueuse, où l'intensité commence à faiblir et se perdre. Mais hormis ceci, je salue tout de même ce disque, non pour l'originalité de son intensité, pour la fraicheur et la singularité d'un son qui doit beaucoup à Lehn et Hodgkinson. Et contrairement à Derek Bailey, Konk Pack ne refuse pas les idiomes, mais se les approprient sans complexes au contraire, ce qui n'est pas sans donner un certain tonus à leurs improvisations. Des musiciens qui font peut-être ce que l'on attend d'eux, qui ne prennent pas trop de risques, mais qui n'ont pas perdus de leur vigueur ni de leur énergie.

Tracklist: 01-the welcome / 02-saturn bar / 03-the grave / 04-the breakfast / 05-roof party / 06-the trees / 07-gin run

Michael Pisaro & Taku Sugimoto - 2 Seconds / B minor / Wave (Erstwhile, 2010)


Michael Pisaro: electronics
Taku Sugimoto: guitar


En attendant l'arrivée du duo extrêmement attendu Keith Rowe-Radu Malfati chez Erstwhile, voici une chronique de la dernière production vraiment singulière de Jon Abbey. Pour ces trois pièces, Pisaro (membre du collectif berlinois Wandelweiser) et Sugimoto (que les habitués de la scène Onkyo connaissent pour ses nombreuses collaborations avec Otomo Yoshihide, Toshimaru Nakamura et Sachiko M) ont choisis d'enregistrer chacun dans deux lieux différents, clos, ne leur laissant aucune possibilité de s'entendre durant ces trois pièces de 20 minutes chacunes. Pour compliquer encore la chose, il faut ajouter qu'ils ne jouent presque jamais ensemble. Ils se donnent donc pour seules indications, l'utilisation de pulsations, d'ondes et du "pitch" (modification de la vitesse du son, et donc de sa hauteur). On l'aura compris, le voyage sera télépathique ou ne sera pas.

D'abord 2 seconds, où le silence est le premier élément de l'interaction à distance. Une pulsation métronomique sur une fréquence unique, puis une autre légèrement décalée comme pour renforcer la première. Sur ces battements viennent se poser des ondes hétéroclites, des vagues éparses ou des nappes synthétiques. Une véritable confrontation a lieu entre ces battements, ces ondes, et (surtout) ces silences. Mais quand dialectique et magie sont de la partie, la confrontation peut donner corps à une symbiose hallucinante: et c'est bien ce qui arrive à ces deux musiciens qui enregistrent pourtant leur contribution respective dans des lieux différents. Chaque note, chaque silence, contribuent à l'émergence de chaque son, on s'y tromperait presque tant l'écoute semble attentive et les réponses justes. Ce qui frappe également, c'est l'équilibre étonnant entre trois concepts musicaux trop souvent hétérogènes: le silence d'abord, puis le temps strié et le temps lisse. Puis vient, tout en douceur, avec une transition inaperçue, la seconde pièce: B minor. Sugimoto pose ici et là, de manière régulière, des accords harmoniques, ou s'écarte parfois de sa tonalité vers d'autres territoires sans cesser d'utiliser les mêmes attaques et le même phrasé durant ces 20 minutes (et 2 secondes). De nombreux espaces sont une fois de plus accordés au silence par chacun des deux musiciens. Soit un silence apaisant prend place jusqu'à ce qu'un son attendu et répétitif refasse surface, soit il est comblé comme par magie toujours par le collaborateur, qui prend alors un relief surprenant de par sa solitude. L'heure est sombre, triste et mélancolique dans cette pièce douce et reposante où guitares lancinantes se répondent en un contrepoint majestueux et solennel. Pour Wave, le silence, pourtant si bien géré et équilibré auparavant,  est désormais absent. Il a laissé place à de longs drones et de courtes vagues qui se superposent, s'entremêlent, se confrontent, s'opposent ou fusionnent. Du coup, la continuité avec les deux précédentes pièces est rompue, l'atmosphère et l'ambiance, comme l'intensité et l'énergie, sont complètement différentes. Cette dernière pièce forme comme un long panoramique blasé d'un monde dévasté (les sociétés comme la nature), où chaque idéologie est remise en doute, où toute perspective historique a autant de sens que dans un film d'Angelopoulos. Un voyage sombre et dépressif à travers un monde qui n'est pas nécessairement hostile mais tout de même repoussant de par sa pauvreté et son anéantissement. Néanmoins, un espoir émerge devant la magie de cette œuvre télépathique qui est loin de tout conceptualisme, contrairement à ce que l'on pourrait attendre de trois pièces enregistrées dans ces conditions.

Ce duo a décidément quelque chose de magique, la fusion et l'entente sont parfaites malgré l'absence totale d'écoute; ipso facto, cette fusion paraît avoir son origine dans une région infra-consciente, ou supra-matérielle. L'aventure télépathique de ces deux musiciens est absolument unique, elle ne ressemble strictement à rien de connu, et c'est bien une des  premières fois que j'ai réellement l'impression d'être devant un véritable ovni de la musique expérimentale. Et en plus d'être originaux, ces enregistrements sont d'une sensibilité à fleur de peau qui nous entraînent dans des contrées affectives inouïes; en bref, c'est un bijou mémorable.

01-2 seconds / 02-b minor / 03-wave

AMM - Uncovered Correspondance: A Postcard From Jaslo


AMM - Uncovered Correspondance: A Postcard From Jaslo (Matchless, 2010)

John Tilbury: piano
Eddie Prevost: percussion

Depuis 1965, un des plus célèbres groupes de free improvisation anglais nous a déjà livré de nombreuses œuvres mémorables (AMM Music, At the roundhouse, Sounding music par exemple). La nouvelle carte postale d'AMM est un enregistrement live, au sud de la Pologne, par les deux derniers membres courants: John Tilbury et Eddie Prevost (l'un des fondateurs).

Divisée en trois paragraphes, elle commence par quelques notes, puis quelques accords et quelques clusters de piano très espacés, où une place considérable est accordée soit au silence, soit aux frottements de cymbale à la teinte très riche et métallique de Prevost. La présence de Tilbury se fait ensuite de plus en plus éparse, tandis que les cymbales sont jouées avec délicatesse jusqu'au frottement rauque d'un tom basse. Viennent ensuite des battements réguliers de cymbale, des éléments réapparaissent, Prevost semble vouloir nous offrir des repères tandis que Tilbury, au contraire, s'éloigne de plus en plus. Le deuxième paragraphe de cette correspondance offre encore plus de silence, l'abstraction devient plus extrême, le timbre utilisé dans la première pièce est réutilisé et approfondi, radicalisé. En même temps, chaque son, chaque évènement, possède une force incroyable de par le silence où le calme qui l'entoure, même si le jeu est complètement minimaliste et souvent discret. La deuxième partie de cette pièce possède un caractère mélodique, l'utilisation d'accords tonaux, d'arpèges ou de modes, qui finiront par se mélanger et s'affronter, est sous-tendue par le même jeu de cymbale qu'au début du disque, même s'il est devenu plus délicat. En tout cas, les notes en elles-mêmes ne sont pas si importantes pour Tilbury qui s'attache surtout à laisser vivre chaque son qui peut sortir du piano, et le laisser résonner tout en admirant la rencontre des harmoniques qui s'ensuit. Une phase plutôt méditative ou contemplative en ce milieu de disque. Le troisième chapitre suit la même direction, on ressent de plus en plus la décomposition spectrale de chaque son, l'exploration sonique devient de plus en plus profonde, forte, et puissante. Après la méditation, place à une agression murale, à l'amplification extrême des clusters; la tessiture grave du piano se confond avec la grosse caisse, la symbiose s'opère violemment puis la vie peut reprendre son cours, tranquillement et sereinement, presque légèrement. La fin de cet épitre se fait effectivement tout en douceur, le son est aérien, éthéré, tout en maintenant une certaine gravité et une certaine tension.

L'atmosphère est sensible, tendue et inattendue, on ne sait jamais quand est-ce que l'un se décidera à jouer, et encore moins ce qui pourra bien émerger de sa conscience. Mais le développement de chaque matière apaise considérablement l'audition car il se maintient toujours sur le déploiement d'un matériau assez réduit. Après quelques périples aventureux au début de l'enregistrement, le même timbre est exploré tout au long de cette heure, et l'exploration perd de sa froideur une fois que nous acceptons de vivre aux côtés de ces sons, de contempler leur vie, leur structure et leur spectre. Chaque idée est claire, assumée, originale, et ne correspond à aucune attente: la musique d'AMM n'a perdue ni de sa fraicheur, ni de sa créativité.

01-Paragraph One / 02-Paragraph Two / 03-Paragraph Three

Looper - Dying Sun


LOOPER - Dying Sun (Another Timbre/Cathnor, 2010)

Martin Küchen: saxophone & pocket radio
Nikos Veliotis: cello & video
Ingar Zach: percussion

Dying Sun est le troisième enregistrement du trio minimaliste international Looper, publié par les labels Another Timbre et Cathnor. Composé de trois pièces, cet album n'a pas l'air centré sur l'improvisation, pas question de spontanéité, tout paraît minutieusement calculé et mûrement réfléchi. La première pièce, Grand reshift, est une introduction de 30 minutes construite sur un long drone imposant, immuable mais vivant. Quelques pulsations s'ajoutent de temps à autre, lentes ou rapides mais toujours d'une régularité mécanique, le saxophone projette des souffles, une radio grésille, le violoncelle est frottée très faiblement. Voici en gros les ingrédients qui permettent à ce drone de vivre, ils sont tous dispersés sporadiquement mais rationnellement, ils peuvent se répéter ou n'apparaître qu'une fois, mais jamais ils ne sont gratuits. Toute intervention est complètement au service de la musique, il n'y a pas de démonstration de virtuosité ou d'expression individuelle, la musique est pensée comme un son collectif avant tout, mais aussi comme une structure totale. C'est pourquoi les premières pulsations annoncent aussi la fin de la pièce, car le drone, progressivement, se transforme en un battement mécanique auquel participe tout le trio jusqu'à son essoufflement.

La pièce suivante, Hazy dawn, qui est cette fois beaucoup plus courte (8 minutes), se construit également sur une sorte de drone cette fois beaucoup plus mouvant, mouvementé comme une vague, avec la régularité naturelle que ce mouvement implique. L'ambiance est toujours aussi sombre, mais pas stressante ni oppressante. Puis Near eternity commence par quitter le registre jusqu'ici omniprésent des graves: une ligne aiguë et absolument immobile est constamment maintenue à laquelle s'adjoignent une infrabasse de plus en plus forte et quelques bruitages de Küchen. Le titre de ce morceau aurait en fait pu être le titre de l'album, tant la dilatation du temps nous rapproche de l'éternité.

Un temps dilaté, des structures cosmogoniques et organiques, un langage épuré mais riche, un timbre aventureux, original et surtout accessible. Car le trio d'origine suédoise, norvégienne et grecque ne s'est pas réuni pour faire un musique abstraite et autiste, tout est joué avec sensibilité et semble vouloir être communiqué et partagé. Une musique qui peut sembler austère et froide mais qui demande quand même à être écoutée et intégrée par autrui. Looper a su créer un langage peut-être un peu abstrait car très épuré, mais qui n'en est pas moins vraiment original et surtout très ouvert, un langage qui ne s'épuise pas et qui semble pouvoir toujours être renouvelé.

Jason Kahn - Beautiful Ghost Wave


JASON KAHN - Beautiful Ghost Wave (Herbal International, 2011)

Jason Kahn: analog synthesizer, mixing board, contact microphones, short wave radio and electromagnetic coils

Le label malaisien de Goh Lee Kwang nous offre régulièrement des recherches électroacoustiques de qualité et originales, et le dernier Jason Kahn - Beautiful ghost wave - ne déroge pas à cette règle. Après de nombreux enregistrements teintés de minimalisme, voire de formalisme ou de conceptualisme, cette nouvelle œuvre du compositeur suisse  a quelque chose de plus rude et âpre, de plus brutal et frontal. L'atmosphère toujours saturée de cette unique pièce d'une trentaine de minutes est proche des productions harsh noise par certains aspects: une matière sonore parfois très agressive et une énergie virulente. Sauf que Jason Kahn ne se contente pas de superposer un maximum de fréquences inaudibles dans le seul but de former un mur de bruit blanc censé être joué le plus fort possible, afin de faire réagir l'auditeur de manière purement physique et épidermique. Au contraire, le traitement minimaliste que Jason Kahn pratiquait antérieurement sur les matières sonores l'amène aujourd'hui à juxtaposer les sons de manière très sensible, en accordant une place capitale à leur interaction et à leur mouvement respectif. Beautiful ghost wave est tout d'abord fondée sur une seule fréquence/bourdon(-nement) qu'on peut percevoir presque sans interruption du début à la fin, puis viennent se greffer des vagues successives, hétéroclites et dissemblables qui ne s'entrechoquent qu'avec délicatesse. Car ce compositeur suisse sait apprécier les sons à leur juste valeur, il leur laisse toujours le temps de se déployer, de vivre et de s'intégrer à la structure globale du morceau; de même l'apparition de chaque évènement sonore est minutieusement déterminée afin que jamais le changement ne soit trop brusque, ou tout au moins qu'il ne noie pas ce qui se passait précédemment. Cependant, Kahn n'hésite pas non plus à utiliser de nombreux contrastes dans les timbres ainsi que des reliefs au niveau de l'intensité, plusieurs fois, tension et saturation se résolvent presque dans le silence, puis de nouveaux éléments se superposent progressivement dans un mouvement incessant et éternel (peut-être est-ce pourquoi nous ne sommes pas face à une énième production électroacoustique aussi violente que soporifique).

Une pièce vraiment intéressante, riche et créative, qui laisse place à la sensibilité quand bien même elle se meut sur un territoire d'une violence austère.

Chip Shop Music - You Can Shop Around But You Won't Find Any Cheaper


CHIP SHOP MUSIC - You Can Shop Around But You Won't Find Any Cheaper (Homefront Recordings, 2010)

Erik Carlsson: percussion
Martin Küchen: saxophones
David Lacey: percussion, electronics
Paul Vogel: computer, clarinet

Second enregistrement du quartet irlandais-suédois Chip Shop Music, You Can Shop Around But You Won't Find Any Cheaper, publié sur le label irlandais Homefront,  est une autre production EAI aussi proche de l'AMM que de Nmperign. Sur ces trois pièces de durée égale, le matériau sonore est réduit, épuré, voire appauvri à l'extrême, ce qui nous amène dans une plaine froide inexplorée, sur un terrain aussi abstrait qu'aventureux.

Le première pièce, Rules are rules, est principalement composée de battements dans des registres graves et aigus extrêmes qui ont des allures de rituels obscurs et ésotériques. Ces battements paraissent aléatoires mais un soubassement inconsciemment pulsé finit par apparaître en filigrane. Küchen et Vogel survolent parfois discrètement, mais toujours de manière sporadique, ces rythmes étranges, complexes et aliénants avec quelques courtes nappes de souffles altérés ou d'harmoniques immuables. Puis The great war quitte le registre aléatoire et affiche une stabilité plus claires. Des bols tibétains et une grosse caisse créent une pulsation plus évidente, des sinusoïdes parfois modifiées par un oscillateur forment un drone sur lequel se place de longues notes tenues par un vibrato, ou des jeux de clés ou de souffles modifiés par le corps de la clarinette ou du saxophone. Finalement, la pulsation disparait, laissant place à un drone de plus en plus imposant et à des bruitages de plus en plus abstraits et inquiétants qui, à la longue, participent plus du drone qu'ils ne s'y opposent. Quant à la dernière pièce, An uncast wind, elle est plutôt du côté de la liberté et de la spontanéité. Personne ne tient de rôle prédéfini et immuable comme dans les deux précédentes pièces; ici les fonctions se meuvent entre chacun, ou alors tous ont la même fonction. Car la liberté de chacun est proportionnelle à la perte de son autonomie, ce qui importe ici, c'est surtout le son global, collectif: les fonctions structurales disparaissent au profit d'une composition plus spontanée et plus communautaire.

Sur chacune de ces pièces donc, la réduction extrême du matériau sonore (on pourrait même dire la pauvreté du matériau) permet néanmoins un développement et un dévoilement maximal des potentialités propres à chaque son. Cette exploration sonique et d'allure spontanée est un refus ostensible de l'écriture verticale au profit d'une composition dont l'horizontalité, si radicale, est presque effrayante . La structure comme le sens de chaque pièce ne se dévoilent et n'apparaissent que très lentement tout au long de la pièce, voire de l'enregistrement dans sa totalité. Un disque hypnotique et télépathique qui explore plus l'espace et les connexions/relations entre chaque musicien que leur individualité/personnalité.

01-Rules are rules / 02-The great war / 03-An uncast wind

Bertrand Denzler - Tenor


BERTRAND DENZLER - Tenor (Potlatch, 2011)


Bertrand Denzler: saxophone ténor

01-Filters
02-Signals
03-Airtube

A l'instar des labels Creative Sources, Another Timbre ou Erstwhile, Potlatch se distingue par ses choix esthétiques radicaux mais toujours créatifs et variés. En rajoutant un énième disque à l'histoire déjà longue et riche du saxophone solo, on a pourtant encore affaire à quelque chose de nouveau, voire d'inouï. Ces trois pièces de Denzler (Trio Sowari, Hubbub) présentent en effet une facette nouvelle, sensible et organique du saxophone tenor.

Il y a tout d'abord cette première pièce minimaliste, Filters, où Denzler explore le timbre d'une note et la fait vivre, en explore chaque recoin: altération non-tempérée par les clés, enrichissement par les multiphoniques, etc. Puis, Signals, plus ambitieux, qui s'attaque à faire vivre chaque potentialité du saxophone: suite de très courtes phrases où l'attaque est chaque fois mise à l'honneur, notamment grâce au silence ou au timbre contrasté qui la précède. Cette pièce met plus en avant le saxophone, son timbre et ses techniques que la précédente, cette dernière étant plus attachée à ne faire vivre qu'un son, qu'une note. Ceci dit, Signals n'est pas qu'un exercice de style, ni une démonstration de virtuosité, toutes ces phrases forment une structure qui apparaît au fur et à mesure de la pièce, chaque cellule forme un relief avec la précédente et la suivante, puis revient sans que l'on saisisse vraiment le principe de composition, mais la répétition n'est jamais inopportune, et paraît toujours cohérente. Airtube, pièce qui est certainement la plus radicale et la plus extrême, se concentre sur le souffle de Denzler passé au crible d'un saxophone sans bec. Et c'est à ce moment que nous pouvons saisir son intention: faire corps avec l'instrument, brasser sans distinction le mécanique et l'organique, la technique et la vie, le silence et le son.

Tenor explore de manière organique, précise et rationnelle les potentialités du saxophone, mais l'exploration en tant que telle n'est pas le but. Cette exploration sert trois compositions riches et créatives autant servies par le corps de l'instrument que par le corps de Denzler, par son intelligence autant que par l'intelligence sonore et mécanique du ténor. On est proche de la musique minimale et réductionniste certes, mais il y a quelque chose de plus émotif et sensible dans le jeu de Denzler, et je crois que c'est dû au fait que les techniques étendues ne sont pas une fin en elle-même, que le timbre est subordonné à une structure plus profonde en relation avec le corps même de l'instrumentiste. Cette absence d'autonomie du timbre rend ces trois pièces moins abstraites que ce à quoi nous sommes habitués, la force de Denzler réside dans cette chaleur qui se dégage lentement de ce triptyque dont on ne saisit pas tout de suite la démarche, mais dont le sens se profile au fur et à mesure grâce à la cohérence et à la précision de chaque idée comme de chaque structure générée. Une merveille!

Martin Küchen - The Lie & The Orphanage


MARTIN KÜCHEN - The Lie & The Orphanage (Mathka, 2010)

Martin Küchen: alto, tenor & baritone saxophones, pocket radio

01- Named By An Unnamed Source
02- The Testimony Of Marie Neumann (For Alfred-Maurice De Zayas)
03- Warszawa
04- The Orphanage
05- Plausible Lies
06- Other Losses (For James Bacque)
07- An Eye For An Eye / Congolese Women (For John Sack)
08- Killing The Houses, Killing The Trees (Multitracked Version)

Troisième enregistrement solo de l'hyperactif et éclectique suédois Martin Küchen, The Lie & The Orphanage, paru sur le label polonais Mathka, se situe dans la même lignée que les précédents. Un disque encore et toujours aux frontières de l'expérimentation et des résurgences ancestrales.

Car si Küchen utilise uniquement des techniques étendues, sa musique n'a rien à voir avec celle de ses homologues saxophonistes qui poussent l'exploration de l'instrument à ses extrêmes. Les techniques de Küchen servent une musique immémoriale, basée sur le souffle et la percussion. Concrètement, cela donne bien sûr une amplification des clés et des tampons, un souffle accentué et omniprésent: mais le but de Küchen n'est pas d'explorer l'instrument, cette exploration est mise au service d'un contenu beaucoup moins austère que les recherches froides menées sur le timbre auxquelles nous sommes habitués. Ici, le rythme est au premier plan, chaque composition se trame sur une pulsation primordiale, une pulsation sur laquelle peut se déployer la musique, dont l'absence serait dévastatrice. C'est ensuite un souffle qui surplombe cette pulsation, parfois une mélodie aux sonorités proches de la flûte, parfois un simple son modifié par les clés, ou encore les clés seules, etc., les possibilités sont infinies. Küchen nous plonge dans une musique immémoriale, ancestrale, qui appartient aujourd'hui à l'inconscient collectif. L'approche est organique, des idées simples se déploient non sans nous affecter profondément, car les compositions mises au point par ce jeune prodige sont extrêmement émotionnelles, elles sont mêmes brulantes de sentiments: la haine du mensonge, la tristesse de l'orphelinat peut-être, la mélancolie, mais aussi et surtout la joie et l'énergie propres aux rites et aux cérémonies, l'espoir fondé par la magie de la musique.

The Lie & The Orphanage regroupe huit pièces assez courtes, chacune possède son propre caractère, et toutes nous affectent différemment, Küchen nous guide dans des territoires musicaux et sentimentaux uniques (parce qu'inconscients?), mais qui sont néanmoins tous ancrés dans un paysage empreint d'humanité et de ritualisme. Des compositions organiques, puissantes, riches (derrière l'apparente monotonie de la pulsation se cache parfois des compositions rythmiques étonnantes), et toujours créatives. Magnifique!

Otomo Yoshihide, Axel Dörner, Sachiko M, Martin Brandlmayr - Donaueschinger Musikstage 2005/Allurements Of The Ellipsoid


Otomo Yoshihide, Axel Dörner, Sachiko M, Martin Brandlmayr - Donaueschinger Musikstage 2005/Allurements Of The Ellipsoid (NEOS Music, 2010)

Otomo Yoshihide: turntable, guitar, electronics
Axel Dörner: trumpet
Sachiko M: sinewaves
Martin Brandlmayr: drums

Ce quartet, c'est avant tout la rencontre internationale (Japon, Allemagne et Autriche) de quelques uns des plus grands représentants des scènes minimalistes et réductionnistes. Mais aucun ne s'est enfermé dans cette esthétique, Brandlmayr peut aussi bien jouer de la noise-rock (avec Radian), quant à Dörner, il a accompagné Schlippenbach dans son entreprise de réinterprétation des standards de Monk, tandis que Yoshihide et Sachiko naviguent entre toutes les avant-gardes ou s'amusent aussi à réinterpréter des classiques du jazz (Lonely Woman, Bells, Out To Lunch).

Les quatre "allurements" proposées ici se situent dans la lignée de l'esthétique dite réductionniste, aucun doute. Cependant, le Quartet de Yoshihide évite avec virtuosité l'ennui et les clichés: ce qui n'est pas donné à tout le monde dans le domaine expérimental... La première pièce est totalement abstraite et froide, c'est une sorte de sculpture du silence, où chaque intervention prend des allures d'épiphanie, à condition d'accepter le voyage et de rester attentif. Un jeu très pointilliste, savamment calculé et d'une précision chirurgicale, voilà quelques uns des ingrédients qui donnent tant de force à chaque son qui émerge du silence où de l'espace accordé par chacun. Puis le temps se rétracte et l'écoute se facilite dans une deuxième pièce plus courte qui nous offre plus de repères: quelques pulsations, parfois même des phrases mélodiques, des motifs rythmiques répétés de manière sporadique, la trompette de Dörner qui se maintient dans un même registre (presque mélancolique). Et enfin vient le second disque, qui est vraiment la partie la plus réussie à mon avis. Ce n'est pas que la gestion du silence et de l'espace soit une solution de facilité, mais je suis beaucoup plus touché par le relief de ces deux dernières parties. Fondamentalement, le langage n'a pas changé, c'est plutôt le temps qui s'est encore rétracté: le discours devient plus violent, plus virulent, il y a parfois une sorte d'urgence qui contraste complètement avec la sérénité du premier disque. Et c'est à partir de là que nous sortons des clichés. L'énergie du rock comme de la noise apparaissent, l'intelligence de la musique savante pointe, la virtuosité des techniques étendues propres au réductionnisme est conservée mais mise au service de la créativité des idiomes de l'improvisation libre. La construction devient plus collective, le son en tant que tel perd de son autonomie au profit d'une plus grande personnalisation, mais aussi au profit d'une création plus communautaire où l'on tend plus vers un son intersubjectif, où l'on se construit par rapport à l'autre tout en conservant sa singularité. 

Ces enregistrements peuvent comporter quelques longueurs dès que l'on se déconcentre, l'attention de l'auditeur est constamment nécessaire, ou alors on tombe facilement dans un ennui mortel. Mais dès que l'on accepte de jouer le jeu, on entre dans une musique riche, contrastée, et créative; une musique qui a l'intelligence de savoir organiser un matériau sonore peut-être déjà connu, déjà entendu, mais pas de cette manière. L'agencement, la configuration et la réunion de ces matériaux est frais, original et - je le répète - particulièrement riche. Hautement recommandé.

Marc Robot - Une Route


MARC ROBOT - Une Route (Self-released, 2011)

Marc Robot:ordinateur, guitare

01-Une Route

Si la pochette peut rappeler Un lac de Grandrieux, la route de Marc Robot est plutôt proche des longs travellings de Béla Tarr et des cadrages à la précision austère de Pedro Costa. Car, à n'en pas douter, la cinéphilie du jeune rennais a profondément influencé cette nouvelle démo à l'ambiance quelque peu cauchemardesque et apocalyptique. Ce long drone d'une heure est proche d'un gigantesque travelling à travers une nature hostile ou des taudis glauques. Mais, paradoxalement, le voyage est apaisant; il n'a rien d'étouffant, l'atmosphère n'est pas saturée comme chez Khanate ou Sunn O))), le panorama offert tout au long de cette route est souple, détendu et confiant.

Finalement, il y a peu de matière sonore pour de la musique électronique, un drone omniprésent, imposant, et assez stable, ainsi qu'une nappe synthétique parcourent l'ensemble de la pièce. Drone et nappe s'opposent et se complètent, ils ont beau être à l'opposé, leur mouvement est presque toujours conjoint, simultané, une nécessité se noue entre eux. Une trompe lancinante et obsessionnelle revient perpétuellement affronter et hanter ce drone. Puis quelques samples viennent se greffer autour de cette masse première, ils grouillent, grincent, se répondent, appellent parfois la l'hypnotique trompe. Simultanément c'est une guitare discrète, fausse, mais précise qui fait son apparition, qui surgit tout en restant fondue dans cette masse sonore. Une guitare qui prend toute son ampleur grâce aux silences qu'elle aménage. Mais tous ces éléments ne prennent pas le dessus, la première nappe sonore reste intacte, omniprésente, ce qui lui donne un charisme et un relief singuliers.

Alors, la route de Marc Robot ne semble pas loin du récit initiatique, du voyage chamanique. Des contrées menaçantes sont traversées, mais la nécessité de ce passage le rend apaisant. La stabilité de certains éléments rend cette exploration sonique confiante et le drone endosse le rôle d'une sorte d'ange/démon qui protège chaque personne voulant emprunter cette route.

Une Route et Lhassa Riot de Marc Robot sont gratuitement mis en ligne ici.

Toshimaru Nakamura - Egrets


TOSHIMARU NAKAMURA - EgRETS (Samadhisound, 2010)

Toshimaru Nakamura: no-input mixing board
Tetuzi Akiyama: guitar (2)
Arve Henriksen: trumpet (3, 5, 7)

01-Nimb Number 42
02-Semi
03-Tane
04-Nimb Number 43
05-Heater/Refrigerator
06-Nimb Number 44
07-Yura
08- Nimb Number 45

Nakamura est connu pour être LE spécialiste de la table de mixage bouclée sur elle-même, et cela fait maintenant de nombreuses années qu'il explore les possibilités de cet instrument. Publié sur le label de David Sylvian, EgRETS continue l'aventure en compagnie d'instruments classiques cette fois: une guitare et une trompette, soit Akiyama (qui a déjà collaboré maintes fois avec Nakamura, ainsi qu'avec Gunter Müller, Jason Kahn, et d'autres encore) et un membre fondateur du groupe minimaliste Supersilent, le norvégien Arve Henriksen.

Pour ce disque, la musique de Nakamura est assez riche et développée, de longues nappes sonores s'étalent, se déconstruisent ou sont progressivement enrichies. Pas de drones monotones ou de sinusoïdes, chaque nappe est soit constituée d'un matériau déjà riche, ou bien elle est enrichie par les collaborateurs de Nakamura. Durant ces pièces, c'est la notion d'espace qui paraît la plus importante, celui, objectif, qui est entre les musiciens, et qui les sépare, celui, intersubjectif, où se créé le dialogue, et qui les rapproche, enfin, celui qu'ils décident chacun d'accorder à l'autre, l'espace artistique, l'espace de création. Car Nakamura reste relativement discret sur chacun des duos, et accorde une place importante aux deux invités, que ce soit aux arpèges délicats d'Akiyama qui ne sont pas sans rappeler l'Eureka de Jim O'Rourke, ou aux jeux de souffle et de voix modifiés et filtrés par l'action des pistons de Henriksen. Derrière eux, avec eux, la table de mixage bourdonne, crépite, grésille, elle peut être parfois stridente, mais tout cela se fait en douceur sans empiéter l'espace de son interlocuteur. Mais lorsqu'il est seul, Nakamura semble plutôt se concentrer sur la notion de temps: la lenteur du déploiement des textures sonores s'oppose à la concision des pièces; et ce traitement singulier du temps nous plonge dans un sentiment d'atemporalité, de supratemporalité: dès lors, l'aventure devient cosmique.

Toutes les pièces sont relativement courtes mais vont à l'essentiel, rien n'est superflu. Car si je disais que le matériau de Nakamura est plutôt riche, c'est complètement relatif à ses autres enregistrements. Le matériau utilisé ici est toujours quelque peu réduit, mais c'est cette pauvreté qui permet une exploration sonore optimale qui ne sombre pas dans l'évanescence, où un temps digne de ce nom est accordé au déploiement et à l'exploration de chaque nappe sonore. Et ces nappes sont remarquables par leur clarté, car chaque élément qui les composent demeure toujours distinct et cohérent au regard de la progression des pièces.

Nakamura nous délivre ici un disque riche, intelligent, beau, fort et original. Riche pour ses trouvailles timbrales, intelligent de par ses structures et ses progressions, beau pour son son général, fort pour son traitement du temps comme de l'espace qui nous plonge dans une autre dimension, et original pour tout ce que je viens de dire...

Evan Parker, Barry Guy, Paul Lytton - Nightwork


EVAN PARKER, BARRY GUY, PAUL LYTTON - Nightwork: Live At The Sunset (Marge, 2010)

Evan Parker: saxophones soprano et tenor
Barry Guy: contrebasse
Paul Lytton: batterie et percussions

01-Cohobation
02-Cupellation

Janvier 2010, le trio anglais Parker/Guy/Lytton enregistre une nouvelle fois un concert au Sunset (Paris). Ce trio mythique compte déjà une vingtaine d'enregistrements, et ce depuis le début des années 80, mais rien n'a réellement changé depuis Tracks (1983) par exemple. Mais de la même manière qu'avec le Schlippenbach trio qui n'a pas non plus changé d'orientation musicale, on ne se lasse pas de cette formation anglaise, la même fraîcheur et la même énergie sont toujours présentes 20 ans après.

Car la capacité de réaction à chaque intervention paraît toujours aussi adéquate et originale, l'écoute de chacun est particulièrement intensive. De plus, l'énergie est toujours la même: une intensité qui nous amène aux limites de l'essoufflement. Le son global devient plus homogène, plus précis et plus assuré avec les années, l'improvisation collective acquiert alors une unité qui ne fait que redoubler l'énergie. Chacun, parmi ses outils musicaux, a su choisir ceux qui conviennent le mieux à cette formation. Tel langage est ainsi utilisé de manière à ce que chacun puisse répondre de la manière la plus adéquate, à ce que chaque action/réaction soit cohérente avec la totalité de l'improvisation, dans sa structure comme dans sa forme.

En définitive, il n'y a rien de neuf dans cet enregistrement, sauf que le langage, l'écoute, et par conséquent le dialogue se sont affinés, à un point de tension et d'intensité quasiment optimal. L'approche créative n'est pas complètement délaissée, mais stagne quant à elle au point de devenir une marque de fabrique ou un idiome bien propre à la culture européenne de l'improvisation libre (cf. l'absence notoire de hiérarchie instrumentale, de rythme et de tonalité, ainsi que l'aspect polyphonique et collectif de l'improvisation). Mais même si l'aspect aventureux qui a pu faire la gloire de ce trio est quelque peu mis de côté, il reste toujours qu'il déborde d'une énergie indomptable et vraiment affinée par la précision que prend la forme de ce discours toujours aussi marqué par la spontanéité, autant dans les techniques de jeu, dans l'énergie et la présence/absence, que dans l'homogénéité sonore proche de la symbiose.